Rapport sur les projets 2023 : les années se suivent et se ressemblent (partie 4)

AMBÜHL, Daniel, "Coup d’œil sur la Télécommunication de l'armée" in Revue Militaire Suisse, N° thématique 2, 2023, p. 43.

4ème service de notre synthèse du rapport sur les projets 2023. Après nous être intéressés aux programmes en cours dans les Forces terrestres et aériennes, place à ceux ayant trait au domaine informatique et à la cyber-défense. Il est à noter que cette catégorisation peut effectivement être bancale, puisque tous les systèmes intègrent aujourd’hui des composants numériques, mais difficile de faire mieux, en l’état.

Comme déjà souligné à de nombreuses reprises, l’on peut voir que l’armée mène aujourd’hui de nombreux et conséquents investissements visant à numériser les procédures, la conduite des troupes et la communication. Ainsi, sur les 21 projets principaux du DDPS, 7 sont consacrés à cela, contre 3 pour les Forces terrestres et 7 pour les forces aériennes. Les 4 restants peuvent être classés dans les divers, que nous traiterons en dernier.

Aujourd’hui, nous nous intéresserons aux programmes en lien avec les systèmes de communication inclus dans le programme FITANIA. Il y en a 4, soit la Télécommunication de l’armée (TC A), le Réseau de conduite suisse ainsi que les deux volets du projet Centre de calcul DDPS/Confédération 2020, à savoir KASTRO II et TIC – – architecture & infrastructure.

Prenons-les dans l’ordre. Concernant le TC A, ce n’est évidemment pas la première fois que nous en parlons puisqu’il a été lancé en 2008 et devrait se terminer en 2035. Ce projet consiste, de manière très schématique, à remplacer des systèmes partiellement ou totalement indépendants les uns des autres par de nouveaux, qui puissent s’intégrer à une architecture centrale, de manière à pouvoir les interconnecter et rassembler plus facilement les informations. C’est que, comme le montre le conflit en Ukraine, la rapidité dans le traitement de l’information et l’envoi d’ordres, la capacité à avoir une vision globale du champ de bataille et l’aisance à faire collaborer les unités entre elles sont primordiales pour espérer remporter le succès en opération.

Bien entendu, ce très large et complexe projet doit se réaliser en étapes. La première, aujourd’hui terminée, consistait en l’acquisition de nouveaux appareils à ondes dirigées R-905 BB. La deuxième étape vise à remplacer les radios tactiques, les installations de communication de bord et les garnitures de conversation (casques). La troisième étape a pour objectif d’acquérir une nouvelle génération d’appareils à ondes dirigées, le remplacement du réseau intégré de télécommunications militaires (RITM) et le système de planification de la technologie de communication. Enfin, la dernière étape consiste à mettre en place des systèmes permettant l’utilisation partagée de réseaux civils, comme le réseau radio mobile. Mise à part la première étape, mise en œuvre au travers du Programme d’Armement 2015, toutes les autres ont été acceptées par le Parlement en 2020.

Si les étapes 1 et 4 sont terminées et la 3 en bonne voie, la 2 souffre en revanche du manque de personnel qualifié pour l’intégration de ces nouveaux systèmes tandis que les conflits en Ukraine et au Proche-Orient ont entraîné des difficultés d’approvisionnement au niveau mondial. Outre les retards, ces éléments risquent fort de provoquer des renchérissements pour ce projet initialement devisé à 1.8 milliards.

Le deuxième projet du jour concerne le Réseau de conduite suisse. En fonction depuis 2013, celui se base sur le réseau à fibre optique ainsi que les ondes dirigées pour permettre aux différents acteurs de la sécurité nationale de communiquer entre eux, et ce même en cas de situation dégradée, comme un séisme, un blackout ou un conflit. Ce réseau est en effet redondant, protégé par diverses mesures constructives et possède ses propres infrastructures énergétiques. Lorsqu’il sera terminé il devrait s’étendre sur 3000 km et comporter 300 stations.

Ce projet est assez spécifique puisque sa durée de vie est indéterminée, les composants du réseau étant remplacés en permanence. Il comporte en outre une multitude de sous-projets. Quoi qu’il en soit, la structure principale du réseau est déjà en service tandis que les extensions, la migration de nouveaux systèmes au sein du réseau et la création de redondances sont en cours de réalisation.

Comme pour les autres projets ayant trait aux télécommunications et à l’informatique au sein du DDPS, le manque de personnel constitue le nœud du problème et le projet s’en trouve donc ralenti. En revanche, les montant prévus initialement (environ 940 millions de francs) devraient être respectés.

Enfin, ces différentes réalisations seront bien évidemment reliées aux serveurs de l’armée KASTRO II (en construction), CAMPUS et FUNDAMENT (tous deux opérationnels). La Confédération a en effet estimé durant la décennie précédente qu’il fallait remplacer la multitude de serveurs vieillissants et hétérogènes au sein de grandes infrastructures protégées et intégrées, permettant de mieux gérer l’intégration de nouveaux systèmes, tout en faisant diminuer les coûts d’exploitation.

Initialement, la construction de ces 3 centres de calculs devait se terminer en 2023, mais la date a finalement été repoussée à… 2033 ! En effet, si CAMPUS et FUNDAMENT ont pu aisément voir le jour, ce n’est pas le cas de KASTRO II, qui devait initialement être implanté sur le site de Mitholz. Cela n’a finalement pas pu être le cas, car la dangerosité de l’ancien dépôt de munitions a été sensiblement revue à la hausse. Dès lors, un autre site a dû être trouvé, ce qui a manifestement pris beaucoup de temps. La réalisation de ce dernier centre a été proposée au travers du Programme d’armement 2024 et devrait donc voir le jour dans une décennie environ… si tout va bien.

Pour que ces centres de calculs soient opérationnels, il faut bien évidemment une infrastructure informatique et c’est au travers du projet TIC – architecture & infrastructure que celle-ci est prévue. C’est que le passage d’une multitude de centres avec des systèmes hétérogènes à 3 grands centres inter-opérables n’est pas une mince affaire. Il faut développer les composants matériels et logiciels de la plateforme pour ensuite les automatiser, mettre en place d’autres composants permettant un échange sécurisé de données pour l’intégration des applications et, bien sûr, faire migrer tous les systèmes de l’ancienne vers la nouvelle plateforme, tout en assurant le fonctionnement quotidien du département. Comme pour tous les autres projets, des retards sont de mise. Devant initialement se terminer en 2023, le projet TIC a pris 3 ans de retard, pour des raisons cela dit bien peu claires. L’on imagine que les difficultés sont cependant les mêmes que pour les autres projets.

Comme nous le disons depuis un moment déjà, il semble donc que le DDPS manque de spécialistes en TIC (technologie de l’information et de la communication) permettant à celui-ci de bien gérer ses programmes. Dans ce cadre, nous pensons que l’augmentation du budget de l’armée devrait d’abord servir à engager du personnel supplémentaire dans ce domaine avant de vouloir multiplier les acquisitions. Le cas échéant, cela compliquerait encore la tâches des informaticiens de l’armée, manifestement déjà surchargés, et ainsi entraîner des dérapages et autres scandales. Or l’armée n’a pas besoin de cela par les temps qui courent, mais bien de susciter l’adhésion et la confiance de nos concitoyens.

Sources :

https://www.vbs.admin.ch/fr/projets-principaux

Revue Militaire Suisse, N° thématique 2, 2023, 64 p.