Le SRC publie un rapport de situation

Couverture du rapport « La Sécurité de la Suisse 2022 », @SRC (https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/72369.pdf)

Il y a de cela quelques jours, le Service de Renseignement de la Confédération (SRC) a publié un rapport intitulé « La Sécurité de la Suisse 2022 » dont l’objectif est bien évidemment d’analyser les implications sécuritaires du conflit en Ukraine. Si ce papier est une bonne synthèse générale des événements de ces derniers mois, il ne s’y trouve rien qu’un lecteur assidu de la presse ne connaisse déjà. Bien entendu, les informations sensibles ne s’y trouvent pas, intérêts stratégiques obligent, mais l’on peut toujours se demander l’utilité de publier pareil document. À qui ou quoi servira-t-il ? Probablement à mettre le nouveau stagiaire académique à la page, mais certainement pas aux dirigeants et hauts cadres, ou du moins l’espère-t-on.

Quoi qu’il en soit, voici les grands axes que le SRC, fort d’environ 400 employés, a résumé dans son rapport. À noter que nous nous sommes concentrés sur les aspects les plus militaires, par pur intérêt subjectif. Ainsi, malgré toute l’attention médiatique portée au conflit ukrainien, les USA restent malgré tout focalisés sur la Chine, ses programmes d’armement en progression qualitative et quantitative régulière, ses budgets militaires en croissance constante et la menace qu’elle fait peser sur Taïwan et la Mer de Chine. Dans la vision américaine, la menace russe doit donc être traitée par les Européens eux-mêmes. Ceux-ci renforcent, ou ont annoncé renforcer considérablement leur défense, jusqu’ici bien souvent avec du matériel américain, soit dit en passant. La Suède et la Finlande ont demandé leur adhésion à l’OTAN, finalement acceptée hier par la Turquie, contre d’appréciables concessions diplomatiques et industrielles. Les frontières directes de l’Alliance avec la Russie vont donc relativement rapidement s’allonger de 1200 km. Les risques qu’un incident entre la Russie et l’OTAN ne débouche sur une guerre a déjà augmenté et va donc encore le faire ces prochains mois. De plus, le SRC note que « « Isolée, affaiblie militairement et économiquement, la Russie sous le régime actuel sera un acteur difficile et dangereux des années durant. »

La guerre en Ukraine pourrait encore aboutir à une large crise des réfugiés si la Russie parvenait, de manière très surprenante en regard de l’état des forces des belligérants aujourd’hui, à une percée. Plus que cela, les problèmes d’exportation des céréales ukrainiennes pourraient entraîner d’énormes difficultés économiques et sociales en Afrique, débouchant sur des troubles, voire des guerres civiles comme ce fut le cas durant le Printemps arabe. La vague migratoire en direction de l’Europe serait alors très forte, y provoquant certainement des protestations politiques. Le continent africain a d’ailleurs connu son lot de coups d’État et de conflits ces dernières années. Un nouveau coup dur pourrait le déstabiliser dans son ensemble.

Pour ne rien arranger, la prolifération nucléaire risque d’augmenter puisque ni la Chine ni les USA ne collaborent sur le dossier nord-coréen tandis que l’Iran semble s’acheminer irrémédiablement vers une industrie ayant les moyens de produire l’arme atomique. Si cela devait arriver, il est probable que les autres nations de la région s’engagent elles aussi dans des programmes similaires. Enfin, rappelons que Poutine vient de déclarer vouloir stationner des missiles balistiques équipés d’ogives nucléaires en Biélorussie.

De ces quelques considérations découle un bilan global : le monde s’est définitivement à nouveau découpé en deux blocs qui semblent irréconciliables. L’Occident libéral et démocratique d’un côté et l’axe autoritaire Moscou-Pékin n’écartent plus la possibilité d’un affrontement direct, comme on a pu l’espérer durant ces dernières décennies. D’ailleurs, les échanges entre ces deux blocs devraient se réduire significativement, sans toutefois atteindre les seuils d’imperméabilité de la Guerre froide. La Turquie et l’Inde cherchent quant à elles à rester relativement indépendantes de ces deux blocs.

C’est ainsi que, et comme nous l’avons déjà relevé quelques fois, « La politique de sécurité en général, et la mission de défense en particulier, gagnent à nouveau en importance, alors qu’en Europe justement, elles étaient tombées dans l’ombre d’autres priorités politiques au cours des dernières décennies. »

Mis à part les éventuelles vagues migratoires, la menace militaire qui pèse sur la Suisse reste aujourd’hui mesurée. Les activités d’espionnage pourraient en revanche se renforcer en Suisse puisque celle-ci n’a expulsé aucun agent étranger.

Il conviendra quoi qu’il en soit de rester vigilant quant à une situation géostratégique globale relativement fluide.

Sources :

https://www.vbs.admin.ch/fr/aktuell/communiques.detail.nsb.html/89472.html

https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/72369.pdf