Le F-35 dans une mauvaise passe en Suisse

F-35 à Payerne en juin 2019, @Neo-Falcon Creations.

Le choix de l’avion de Lockheed-Martin par le Conseil fédéral n’a pas été fait depuis 6 mois que des polémiques, interrogations et autres annonces ont déjà défrayé la chronique. En effet, que ce soit à cause des chiffres articulés dans le budget norvégien et qui ne correspondent de très loin pas à ceux donnés par Lockheed-Martin en Suisse, à la destruction des données des concurrents de l’avion américain en passant par l’enquête de la commission de gestion du Conseil national, les médias ne manquent pas d’informations pour faire leurs choux gras. Ces derniers jours, deux annonces viennent s’ajouter aux autres, et celles-ci ne sont pas des moindres.

Vendredi dernier, Armasuisse annonçait que le F-35 coûterait 20% de plus, du fait de l’inflation. Le DDPS explique que les offres de juin, pour un montant de 5,068 milliards de francs, ne prenaient pas en compte la hausse des prix. Il faut ainsi désormais compter 6,035 milliards de francs pour ce contrat. Cela reste dans l’enveloppe prévue, qui était de 6 milliards de 2020, soit, 6.3 milliards d’ici 2031, selon les estimations. Seulement, voilà, l’annonce n’est pas des plus adroite. Pour le citoyen lambda, l’explication est moyennement convaincante, et on ne peut que le comprendre. Si le DDPS et sa cheffe savaient déjà en juin que le prix de 5,068 milliards n’aurait aucune résonnance concrète et serait rapidement réévalué, alors ils devaient s’abstenir de claironner au sujet de celui-ci et attendre d’avoir des chiffres consolidés. Cela est d’autant plus surprenant que, pour le système anti-aérien Patriot, l’inflation avait été prise en compte dès l’annonce du Conseil fédéral, comme en témoigne le communiqué de presse y relatif. Cela laisse donc au minimum un goût d’amateurisme, au pire de maquillage douteux de « renchérissement » du coût du programme F-35 lui-même…

Aujourd’hui, et bien plus handicapant pour notre pays, Armasuisse a indiqué que Lockheed-Martin ne compenserait finalement pas l’acquisition du F-35 à hauteur des 3.6 milliards initialement prévus, mais seulement 2.9 milliards, soit 700 millions de moins. Au lieu des 60% d’affaires compensatoires, les entreprises confédérées ne toucheront donc finalement que 48% du montant investi par l’Etat. Ainsi, un des arguments phares des soutiens à la votation de septembre dernier, les retours économiques, est déjà remis en cause, et dans des proportions importantes, puisque ces 700 millions représentent tout de même 20% de diminution.

Autre problème de taille, les prix donnés par Lockheed-Martin en juin ne semblent déjà plus être garantis jusqu’en 2040, mais jusqu’à 2031 seulement, soit juste lorsque la flotte sera devenue totalement opérationnelle, si le calendrier est tenu. Autant dire que l’entreprise et l’Etat américain qui le soutient ne prennent guère de risques dans ces conditions, et aura tout le loisir de réadapter ses prix à la hausse très rapidement.

L’un dans l’autre, ces annonces posent d’autres problèmes. Le premier est la capacité du DDPS à communiquer correctement sur ce dossier phare. L’on pouvait penser que l’échec retentissant de l’acquisition du Gripen, et les autres affaires de l’armée depuis, avaient permis au Département de la défense d’armer quelque peu ses services de communication, de manière à bien anticiper les critiques. Or, manifestement, ce n’est pas le cas et le DDPS et les cadres qui le composent nous montrent régulièrement leur incroyable capacité à tendre eux-mêmes le bâton pour se faire battre.

Deuxièmement, cela pose la question de la compétence des équipes de négociation et d’acquisition d’Armasuisse. Celles-ci, entre les affaires liées au drone Hermes 900, au mortier Cobra ou à la modernisation des DURO, n’ont pas particulièrement brillé ces dernières années, ce n’est rien de le dire. Dès lors, l’on peut clairement se demander si elles sont de tailles à affronter le personnel de Lockheed-Martin, rompu à cet exercice. Lorsque les clauses soi-disant gravées dans le marbre sont violées avant même la signature du contrat, cela ne laisse bien évidemment pas présager du meilleur pour la suite.

Enfin, il est surprenant de voir que le DDPS se laisse avoir si facilement, alors que tout un chacun avait pu se rendre compte de pratique tout à faire similaire en Belgique, où Lockheed-Martin n’avait absolument pas répondu aux demandes de compensation de l’industrie du Plat Pays. Ayant fait le constat de cette malheureuse expérience, il aurait été judicieux de prendre des mesures pour se prémunir de pareille déconvenue. Il n’en a manifestement rien été et ce sont les industriels suisses, et donc leurs employés, qui en feront les frais.

Quoi qu’il en soit, pour le grand public, le contrat du F-35 vient de coûter 1.7 milliards de plus en seulement quelques jours, ce qui n’est bon ni pour l’image de cet avion dans notre pays, ni pour celle du DDPS en général. Mais l’on viendra probablement nous expliquer que tout va très bien dans ce dossier et qu’il n’y a absolument aucune raison de s’inquiéter…

Sources :

https://www.vbs.admin.ch/fr/aktuell/communiques.detail.nsb.html/86118.html

https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-84275.html

http://www.opex360.com/2021/11/27/le-prix-dachat-des-36-avions-f-35a-proposes-a-la-suisse-a-deja-augmente-de-20/

https://www.letemps.ch/suisse/national-veut-analyser-conditions-choix-f35

https://www.meta-defense.fr/2021/11/30/f-35-suisses-prix-en-hausse-et-compensations-industrielles-en-baisse/

https://www.24heures.ch/le-f-35-ne-tient-pas-les-promesses-de-retombees-economiques-818902156922