
Ce n’est rien de dire que l’on va quelque peu sortir de notre domaine de compétence aujourd’hui, puisque l’on va parler… soutien-gorge.
« Mais ?!… Ils ont encore fumé quoi à Livret de Service ? » dira le lecteur avisé. Et pourtant, c’est très sérieux. Explications.
Ces derniers jours, les citoyennes effectuant du service militaire ont reçu un courrier quelque peu surprenant intitulé « Remboursement de soutien-gorge de sport (brassière) – information importante sur la sécurité. » Vous imaginez bien qu’avec pareil titre, notre curiosité ne pouvait qu’être piquée !
Il est en effet exposé que porter un soutien-gorge « traditionnel » avec armature métallique pourrait présenter un danger pour nos militaires féminines lorsque ce sous-vêtement est porté sous un système de protection balistique et que ce dernier est soumis à une « exposition à des forces extérieures ». Comprendre des projectiles, des éclats, des explosions.
Dès lors, et comme le catalogue des vêtements fournis par l’armée ne contient pas de brassière, le DDPS a décidé de procéder au remboursement de celles-ci, à concurrence de 100 CHF tous les 3 ans. Pour ce faire, un formulaire papier d’indemnisation a été joint à la fameuse missive.
Alors que pourrait-on bien dire là-dessus, vous demanderez-vous ? A-t-on affaire à de vieux misogynes que cela ferait rire ? Non, au contraire.
Premièrement, cette décision montre que si l’armée suisse souhaite incorporer 10% de soldates dans ses rangs, objectif fixé en son temps par Viola Ahmerd, elle n’a manifestement pas réfléchi à tout ce que cela impliquait… Dès lors, elle doit mettre en place des procédures boiteuses qui embêtent tout le monde : les femmes qui s’engagent à l’armée et qui doivent donc produire des pièces comptables, et le département, qui va devoir les contrôler. On ne pourrait pas faire moins pratique…
Pourtant, il ne nous semble pas si compliqué de trouver un fournisseur d’articles de sport capable d’alimenter l’armée en brassières, au moins à titre provisoire, le temps qu’une solution « militaire » soit mise en place, si telle est la volonté du département. Mais non, on préfère mettre en place des usines à gaz, et demander aux femmes d’aller faire des achats, ce qu’on ne demande pas, ou moins, aux hommes. L’on pourrait en effet au moins attendre que le DDPS soigne les femmes qui font l’effort de se porter volontaires… mais non.
Dans le même ordre d’idée, l’armée pourrait (et devrait) fournir des minishorts faisant office de culottes à ces dames. Pourquoi ? Deux raisons à cela. La première est que lors des exercices NBC, l’on doit se mettre pratiquement nu devant ses camarades. Dans ce cadre, l’on peut comprendre que certaines militaires préfèrent avoir des sous-vêtements longs. La deuxième est que si l’armée fournit certes un caleçon, celui-ci est plutôt taillé pour les hommes. Il est en effet souvent trop large aux hanches et ne tient pas en place, et très large aux cuisses, laissant parfois voir l’entrejambe.
Encore une fois, si l’armée a pour ambition de charmer les femmes afin qu’elles intègrent les rangs de l’armée, alors il ne semble pas disproportionné de fournir un petit effort sur l’habillement, surtout lorsque l’on voit l’offre pléthorique et de qualité qui existe aujourd’hui dans le civil pour les vêtements techniques et de sport. Peut-être que le Système modulaire d’habillement et d’équipement (SMHE), c’est-à-dire les nouvelles tenues de l’armée, comprendront ces éléments, mais rappelons que celui-ci est pour l’instant introduit au compte-goutte, après plus d’une décennie de procédures… En outre, il serait surprenant que le SMHE comprennent lesdits sous-vêtements féminins alors que ce courrier vient d’être envoyé. De plus, cela contredit l’armée elle-même, qui indique sur la page dédiée à son nouvel uniforme que « comme jusqu’alors, les femmes recevront des sous-vêtements spécifiques. » On voit ça…
L’on doit avouer que l’on a bien rien en pensant à Hans-Ruedi, cadre de 61 ans au service comptable du DDPS, chargé de mettre en place une procédure permettant de rembourser les soutiens-gorges de nos militaires. Si l’on était vraiment taquin, l’on pourrait dire que l’on voit que notre nouveau conseiller fédéral en charge de la défense prend des décisions fortes dès le début de son mandat. Mais comme on n’est pas taquin, on ne le dira pas. On sait se tenir !
Là où la chose est sans doute moins drôle, c’est qu’elle témoigne discrètement d’une crainte d’être réellement exposé à un conflit et ses conséquences. En effet, on ne compte plus les déclarations, en Suisse comme à l’étranger, de menaces qui pourraient survenir rapidement, notamment si la Chine décidait de prendre le contrôle de l’île de Taïwan. Dans ce cadre, il serait fort probable (et même annoncé) que les USA concentreraient toutes leurs forces sur le théâtre Pacifique, laissant l’Europe seule et relativement démunie face à une Russie dont l’économie a été placée en état de guerre, contrairement à celle de la France ou de l’Allemagne, malgré des déclarations qui n’étaient… souvent rien d’autre que des déclarations.
Dans un contexte pareil, l’on peut peut-être voir dans la missive reçue par nos militaires un indice que l’on recommence à réfléchir aux conséquences concrètes d’un conflit, et ce dans de nombreux aspects. On peut-être que l’on va un peu loin et qu’il s’agit simplement d’une opération de comm’ visant justement à montrer l’aspect « inclusif » de l’armée. Si c’est le cas, la manœuvre est alors relativement maladroite.
Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une preuve, s’il en fallait encore, que l’objectif d’avoir 10% de citoyennes dans les rangs de l’armée ne sera pas atteint de sitôt et que le Département devra déployer une stratégie d’ensemble, cohérente et sur la durée pour remplir son objectif.
Edit: Nous avons pris la peine non seulement de mettre cet élément en lumière, mais aussi de contacter un journaliste de la RTS pour attirer son attention là-dessus et avons même fourni le contact d’une militaire pour effectuer une interview et… n’avons pas été cité, alors que l’information a ensuite été reprise par tous les autres médias. Merci beaucoup, cher journaliste.