
Il y a quelques jours, le Commandement de l’Instruction a dévoilé les chiffres concernant le taux d’aptitude des conscrits évalués lors du recrutement, auquel 34 259 ont été soumis. Dans ce cadre, il apparaît que 81.2% des jeunes assujettis aux différents examens ont été déclarés aptes au service. Plus précisément, 72.4%, soit 24 804 hommes et femmes ont été déclarées capable d’accomplir le service militaire ou civil et 3008 individus (8.8%) ont été orientés vers la protection civile. Rappelons que pour effectuer le service civil, il faut être apte au service militaire, ce qui est logique puisqu’il s’agit d’un modèle de remplacement. Cela laisse 6447 personnes (18.8% du contingent) déclarées inaptes et 1781 (5.2%) dont la décision a été ajournée pour diverses raisons.
Le Commandement de l’instruction relève encore que le taux d’aptitude au service militaire fluctue grandement, entre 62.2% à Glaris et 82% à Obwald. Enfin, 540 femmes ont passé les tests de manière concluante pour intégrer l’armée.
Si ces chiffres sont importants à analyser, c’est qu’il s’agit de la première année de recrutement à se dérouler dans le contexte de la guerre en Ukraine. Il paraît donc intéressant de voir si cet événement a eu une influence sur la motivation des jeunes helvètes à effectuer leur service militaire. En effet, le service civil n’a plus besoin d’être motivé, selon le principe de la « preuve par l’acte », pour lequel on estime qu’une personne effectuant une obligation 1.5 fois plus longue que le service militaire doit forcément avoir de bonnes raisons de le faire. En outre, il n’est pas si difficile que cela de trouver un médecin acceptant de rédiger un certificat médical frauduleux, certaines personnes préférant et ayant les moyens de payer la taxe militaire plutôt que d’effectuer un service, quelle que soit sa nature. L’on peut donc se demander si ces deux catégories de personnes sont toujours présentes dans les mêmes proportions au recrutement, ou si la nouvelle donne géopolitique les a poussés à réfléchir différemment.
Pour tenter de déceler une tendance, rien de plus simple, il suffit de comparer avec les données des années précédentes. Ainsi, en 2021, le taux d’aptitude global au service était de… 81% pour 31 246 conscrits évalués. Le taux de 2022 n’est plus élevé de 0.2% seulement. En revanche, le nombre de personnes s’étant présentées au recrutement est bien plus élevé, mais cela n’est pas forcément lié aux événements en Ukraine, le DEVA ayant permis aux jeunes de se présenter au recrutement jusqu’à la veille de leurs 25 ans. Ainsi, bon nombre de facteurs personnels peuvent expliquer cet afflux de personnes. En 2020, seuls 23 687 jeunes citoyens s’étaient rendus au recrutement, la pandémie ayant forcé les centres à fermer plusieurs semaines durant. Le taux d’aptitude était alors moins élevé qu’aujourd’hui, atteignant 73%, pour un nombre de 17 302 conscrits. Enfin, en 2019, le taux d’aptitude global au service était de 70.9% pour 30 033 conscrits évalués.
Ainsi, même si 2022 était globalement une bonne année pour l’alimentation de l’armée en effectifs, cela n’est pas dû uniquement à l’éclatement d’un conflit en Europe après plus de 30 ans de « dividendes de la paix » totalement fictifs mais bien à une combinaison de facteurs que nous ne sommes pas en mesure d’expliquer, les motivations personnelles expliquant l’afflux des individus au recrutement n’étant pas sondées. En définitive, les taux restent sensiblement les mêmes depuis 2019. Il faudra malgré tout observer si la situation n’évolue pas dans les années à venir, la médiatisation du conflit sur le temps long ayant forcément des implications sur la vision dont nos jeunes citoyens ont des questions de sécurité.
Le Commandement de l’Instruction note pour sa part que « il faut partir du principe qu’il [le taux d’aptitude] a atteint son maximum et qu’il ne va probablement pas s’améliorer de manière substantielle ces prochaines années. D’une part, les critères d’aptitude ont déjà été très fortement adaptés (NDLR vers le bas) et, d’autre part, une nouvelle augmentation du nombre de personnes aptes au service se ferait au détriment de la protection civile, ce qui n’est pas souhaitable. » Outre les taux d’aptitude, ce sont également les évolutions des effectifs sur le temps long qui comptent, un nombre non négligeable de militaires se dirigeant vers le service civil après leur école de recrues, sans compter les blessés et les réexamens.
En ce qui concerne l’attractivité du service militaire auprès des femmes, l’un des chevaux de bataille de Viola Amherd et, selon les médias, l’une des raisons l’ayant poussée à rester à la tête du DDPS, force est de constater qu’il n’y a pas de révolution. En effet, 345 femmes avaient été déclarées aptes au service en 2019, pareil en 2020, 546 en 2021 et 540 en 2022. L’armée n’arrive donc manifestement pas à se rendre significativement plus attractif auprès de la gent féminine, alors que la Conseillère fédérale indiquait vouloir « 10% de femmes dans l’armée en 2030 ».
Comme nous l’avions déjà suggéré, le Conseil fédéral devrait proposer que la journée d’information devienne obligatoire pour tous et ce le plus vite possible. De cette manière, il est possible qu’un nombre plus important de femmes souhaite accomplir le service militaire. Actuellement, le gouvernement ne souhaite réfléchir à cette éventualité que dans le cadre d’une refonte complète de l’obligation de servir. Le problème avec cette vision est que si la proposition est balayée par le peuple en votation, alors tout ce qu’elle contient ne verra pas le jour. Procéder par étape permettrait de limiter les risques et de prendre le pouls de la population sur la question. En outre, cela permettrait une mise en œuvre relativement rapide, et donc un potentiel afflux de candidates au recrutement. Les rédacteurs du rapport sur l’alimentation de l’armée indiquaient en effet que si 10% des femmes débutaient leur école de recrues, cela représentait tout de même un effectif de 2400 personnes. Il serait à notre avis sage de réfléchir rapidement à cette possibilité et de la mettre en œuvre, avant de mettre en place d’autres réformes plus complexes.
Sources :
https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-87268.html
https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-82565.html
https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-78181.html
https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/70491.pdf