
Le programme F-35 Joint Strike Fighter, conçu comme un pilier de la suprématie aérienne américaine et un atout stratégique pour ses alliés, traverse une zone de turbulences persistante. Malgré des contrats colossaux de 36 milliards de dollars signés en 2023 et un rôle central dans les forces de l’OTAN, la modernisation au standard Block 4 – celui commandé par la Suisse – accumule retards, surcoûts et défis techniques, selon le rapport du Government Accountability Office (GAO) publié le 3 septembre 2025. Ces obstacles, repoussant l’horizon opérationnel au-delà de 2030, devraient inquiéter la Suisse, qui attend 36 F-35A entre 2027 et 2030 pour un budget initial de 6 milliards de francs.
Pourtant, armasuisse, l’Office fédéral de l’armement, se veut rassurante. Dans des déclarations relayées le 6 septembre 2025 par Blick, RTS et Watson, son porte-parole affirme que les avions seront livrés à temps, dans une configuration Block 4 complète, comme si les retards mondiaux n’avaient aucune incidence. Ce contraste saisissant entre les alertes du GAO et l’optimisme helvétique soulève une question : la Suisse bénéficierait-elle d’une exception improbable, avec un Block 4 opérationnel dès 2027, quand d’autres attendent 2031 dans le meilleur des cas ? À l’aube de la session d’automne des Chambres fédérales, cette assurance semble relever d’une communication stratégique, destinée à apaiser les critiques politiques qui ne manqueront pas de fuser. Car, loin d’être nouveaux, ces écueils du F-35 rappellent des promesses anciennes, parfois oubliées ou volontairement écartées.
Livraisons mondiales en retard, calendrier suisse sous pression
Les promesses d’armasuisse
armasuisse assure que les 36 F-35A suisses seront livrés dans les délais, dès mi-2027 depuis Fort Worth (États-Unis) et mi-2028 depuis Cameri (Italie), avec une finalisation prévue pour 2030. Bien que conscient des retards mondiaux, avec une moyenne de 238 jours en 2024, le porte-parole se fie aux « prévisions actuelles du constructeur » pour garantir que la Suisse ne subira pas ces perturbations.
Ce que révèlent le GAO et les experts du programme
Le programme F-35 traverse une crise marquée par des retards majeurs affectant les livraisons et la modernisation Block 4. En 2024, les 110 avions et 123 moteurs livrés par Lockheed Martin et Pratt & Whitney ont accusé un retard moyen de 238 jours, contre 61 jours en 2023, en raison des difficultés de la mise à niveau Technology Refresh 3 (TR-3), indispensable pour activer les capacités avancées du Block 4. En juillet 2024, les avions équipés de TR-3, cloués au sol faute de logiciels adaptés, étaient non opérationnels et limités à l’entraînement. Bien que les forces américaines aient accepté ces appareils pour désengorger les chaînes de production, leur pleine opérationnalité n’est attendue qu’en 2026, soit trois ans de retard sur le calendrier initial.
Initialement prévu pour 2026, le Block 4 est désormais repoussé à 2031, sa portée réduite à un sous-ensemble de 66 capacités prioritaires, loin des 80 améliorations envisagées. Les retards matériels, notamment le moteur F135 (version améliorée prévue pour 2029) et le système de gestion thermique (PTMS), entravent les progrès en armement, guerre électronique et communications. Les goulets d’étranglement persistants dans la chaîne d’approvisionnement exacerbent ces défis, sans exception signalée pour des clients comme la Suisse. Par ailleurs, la réduction des commandes de l’US Air Force en 2026 (de 48 à 24 unités) risque de perturber la production globale, menaçant le calendrier suisse (2027-2030). Malgré ces obstacles, Lockheed Martin, souvent critiqué pour ses promesses ambitieuses mais irréalistes, maintient son objectif de livrer 170 F-35 en 2025.
Ces incertitudes jettent une ombre sur la capacité de la Suisse à recevoir des F-35A pleinement opérationnels dans les délais prévus, exposant le pays à des surcoûts potentiels et à des limitations opérationnelles.
Contrastes troublants
armasuisse affiche une confiance inébranlable en des livraisons ponctuelles des F-35A suisses dès 2027, s’appuyant sur les « prévisions du constructeur ». Pourtant, le rapport du GAO et les analyses convergentes d’experts révèlent des retards systémiques : la mise à niveau TR-3, essentielle au Block 4, ne sera finalisée qu’en 2026, et la pleine maturité du Block 4 est repoussée à 2031. En 2024, les avions livrés, non opérationnels et limités à des vols d’entraînement, témoignent d’une production chaotique. La réduction des commandes de l’US Air Force en 2026 risque de perturber davantage les chaînes de production, rendant improbable un respect du calendrier suisse sans une priorisation exceptionnelle, jamais mentionnée. Face aux critiques documentées sur les engagements irréalistes de Lockheed Martin et la livraison d’avions partiellement opérationnels, l’optimisme d’armasuisse semble déconnecté des réalités du programme.
Block 4 : disponibilité et ambitions à l’épreuve
Les promesses d’armasuisse
Les F-35A suisses devraient être livrés dans la configuration Block 4, présentée comme la plus avancée, et pleinement opérationnels avec le moteur actuel. Des mises à niveau ultérieures sont prévues dans les années 2030, en phase avec l’Engine Core Upgrade attendu pour 2033.
Ce que révèlent le GAO et les experts du programme
Le programme de modernisation Block 4 du F-35, initialement ambitieux avec plus de 80 améliorations prévues (radar, imagerie infrarouge, armement, guerre électronique, communications), a été réduit en 2024 à un sous-ensemble prioritaire de 66 capacités. Repoussé à 2031, soit cinq ans de retard sur le calendrier initial, il reste grevé par des coûts incertains, avec une réévaluation attendue à l’automne 2025. Certaines capacités, dépendantes d’un moteur F135 amélioré, ne seront disponibles qu’en 2033.
La mise à niveau Technology Refresh 3 (TR-3), essentielle pour activer le Block 4, accuse un retard significatif et ne sera finalisée qu’en 2026. En juillet 2024, les avions équipés de TR-3 étaient non opérationnels, cloués au sol en raison de logiciels inadaptés, limitant leur usage à l’entraînement. Les problèmes informatiques, déjà évidents avec le TR-2 et amplifiés avec le TR-3 (40 fois plus performant), entravent l’opérationnalité des avions. Par ailleurs, le système de gestion thermique (PTMS), mal dimensionné pour évacuer 32 kW de chaleur (contre 14 kW prévus), réduit la durée de vie des moteurs de 20 à 30 %. Une version améliorée du PTMS, nécessaire pour résoudre les surchauffes en vol, n’est attendue qu’en 2031.
Enfin, la communalité entre les versions A, B et C du F-35, initialement promise à 75-80 %, est tombée à environ 50 %, fragmentant le programme en trois projets distincts. Ces contraintes – retards de TR-3, surchauffes, moteur F135 limité et communalité réduite – compromettent les capacités des avions livrés avant 2029-2033, posant un défi majeur à l’opérationnalité du F-35.
Contrastes troublants
armasuisse affirme que les F-35A suisses seront livrés dès 2027 dans une configuration Block 4 « complète » et pleinement opérationnelle. Pourtant, toutes les sources convergent pour décrire une réalité bien différente : le Block 4, réduit à un sous-ensemble de capacités, est retardé à 2031 et dépend de systèmes inachevés, notamment la mise à niveau TR-3, le moteur F135 et le PTMS. En 2024, les avions équipés de TR-3 étaient non opérationnels, plombés par des logiciels inadaptés, tandis que la communalité entre les versions A, B et C du F-35 s’est effondrée à 50 %. Les détails du Block 4, toujours incertains jusqu’à l’automne 2025, combinés aux problèmes de surchauffe moteur, rendent improbable une pleine opérationnalité en 2027, en contradiction flagrante avec les assurances d’armasuisse.
Coûts et conséquences financières
Les promesses d’armasuisse
Les estimations fournies par les États-Unis pour le Block 4 suggèrent une stabilité budgétaire, sans mention explicite de surcoûts significatifs.
Ce que révèlent le GAO et les experts du programme
Le programme F-35, dont le coût global est estimé à 2 000 milliards de dollars sur 77 ans, fait face à des dépassements financiers significatifs, notamment pour la modernisation Block 4, dont les coûts dépassent de 6 milliards de dollars les estimations initiales, avec une réévaluation attendue à l’automne 2025. Initialement évalué à 16,5 milliards de dollars en 2021, le Block 4 reste entouré d’incertitudes financières. Pour la Suisse, qui a budgétisé 6 milliards de francs pour 36 F-35A, ces surcoûts se traduisent par une augmentation potentielle de 650 millions à 1,3 milliard de francs (jusqu’à 1,6 milliard de dollars), imputable à l’inflation, à la hausse des coûts des matières premières, aux impacts de la pandémie de COVID-19 et à l’alignement sur les lots de production de Lockheed Martin. L’absence de clauses de pénalité pour les retards expose la Suisse à une charge budgétaire accrue sans possibilité de recours.
À cela s’ajoutent des coûts opérationnels prohibitifs : chaque heure de vol coûte environ 42 000 dollars, avec seulement 100 à 120 heures de vol annuelles pour les clients étrangers, contre les 180 heures de la norme OTAN. Les mises à jour du Technology Refresh 3 (TR-3) engendrent des frais supplémentaires pouvant atteindre 25 millions de dollars par avion, tandis que le système de gestion thermique (PTMS) défaillant entraîne des surcoûts de plusieurs milliards pour les moteurs, en raison d’une usure prématurée. Ces défis financiers, masqués par l’ampleur du programme global, placent la Suisse dans une position vulnérable face à des dépenses imprévues et à une dépendance croissante envers un programme aux coûts toujours incertains.
Contrastes troublants
armasuisse minimise les risques financiers, mais les sources révèlent des surcoûts conséquents : jusqu’à 1,6 milliard de dollars pour la Suisse, incluant 25 millions de dollars par avion pour la mise à niveau TR-3. Les défaillances du PTMS et l’absence de clauses de pénalité pour retards accroissent la vulnérabilité budgétaire de la Suisse, infirmant l’idée d’une stabilité financière garantie.
Gestion des retards et primes : une confiance à l’épreuve
Les promesses d’armasuisse
Le porte-parole d’armasuisse se fie aux « prévisions du constructeur », passant sous silence les recommandations du GAO, qui appelle à une révision des primes d’incitation inefficaces et à une intervention accrue pour pallier les goulets d’étranglement persistants dans la chaîne d’approvisionnement.
Ce que révèlent le GAO et les experts du programme
Le GAO critique les primes d’incitation, s’élevant à des centaines de millions de dollars, versées à Lockheed Martin malgré des retards de livraison pouvant atteindre 60 jours. Ces incitations, jugées inefficaces, s’ajoutent aux promesses ambitieuses mais irréalistes du constructeur, qui vise à livrer 170 F-35 en 2025 malgré des retards persistants et l’absence de clauses de pénalité.
Le GAO recommande une intervention renforcée dans la chaîne d’approvisionnement, entravée par des goulets d’étranglement. La réduction des commandes de l’US Air Force en 2026, passant de 48 à 24 appareils, traduit une méfiance croissante envers la gestion du programme. Les retards, tant logiciels (TR-3) que matériels (moteur F135, PTMS), reflètent une planification inadéquate, aggravée par des décisions passées : en 2008, Lockheed Martin a supprimé des ingénieurs et des avions d’essai, ignorant les alertes du Director of Operational Test and Evaluation (DOT&E) et du GAO. Le démantèlement partiel du DOT&E, réduisant la transparence, obscurcit davantage les failles du programme, marqué par la livraison d’avions non opérationnels.
Contrastes troublants
La confiance d’armasuisse dans les engagements de Lockheed Martin surprend, alors que de nombreuses sources dénoncent une gestion défaillante – primes inefficaces, production d’avions non opérationnels, suppression de tests essentiels – et une opacité croissante, marquée par le démantèlement partiel du DOT&E.
Résumé des contrastes troublants entre promesses suisses et réalités du programme F-35
armasuisse affiche un optimisme confiant, promettant la livraison ponctuelle de 36 F-35A entre 2027 et 2030 dans une configuration Block 4 complète, avec une stabilité budgétaire. Pourtant, le rapport du GAO, corroboré par des analyses critiques, dépeint un programme F-35 en proie à une crise profonde : retards systémiques (TR-3 attendu en 2026, Block 4 repoussé à 2031), coûts imprévisibles (surcoûts potentiels de 1,6 milliard de dollars pour la Suisse, 25 millions de dollars par avion pour TR-3), absence de pénalités pour les retards, limitations opérationnelles (avions non opérationnels, surchauffe, furtivité limitée), dépendance stratégique via le système ALIS/ODIN, et opacité accrue avec le démantèlement partiel du DOT&E.
Les retards de la mise à niveau TR-3 et du Block 4 compromettent les capacités des avions livrés avant 2026. En 2024, les F-35 équipés de TR-3, cloués au sol faute de logiciels adaptés, se limitent à des vols d’entraînement, avec une disponibilité de seulement 35 à 40 %. Les problèmes de surchauffe, causés par un PTMS inadéquat, et les redémarrages logiciels en vol entravent leur efficacité. Le moteur F135, dont l’amélioration est prévue pour 2029, contribue à livrer des avions sous-optimaux, loin des ambitions initiales du Block 4, désormais attendu en 2031.
Pour la Suisse, ces défis techniques et stratégiques impliquent que les F-35A livrés entre 2027 et 2030 risquent d’être sous-optimaux, nécessitant des modernisations coûteuses pour atteindre la pleine configuration Block 4. Cette situation expose le pays à des risques financiers et opérationnels, tout en soulevant des interrogations sur son autonomie face à une dépendance excessive envers les États-Unis.
Conclusion
Le programme F-35, bien qu’indispensable à la stratégie militaire des États-Unis et de l’OTAN, reste englué dans une spirale de retards, de surcoûts et de défis techniques, comme le souligne le rapport du GAO du 3 septembre 2025. Avec un Block 4 repoussé à 2031, des livraisons d’avions non opérationnels en 2024, et des coûts supplémentaires menaçant le budget suisse de 6 milliards de francs, l’optimisme affiché par armasuisse – promettant des livraisons ponctuelles de F-35A pleinement opérationnels dès 2027 – semble déconnecté des réalités documentées. Cette assurance, énoncée à l’aube d’une session parlementaire houleuse, pourrait n’être qu’une manœuvre pour apaiser les critiques, mais elle élude des questions cruciales : la Suisse recevra-t-elle des avions sous-optimaux, grevés par des logiciels inadaptés et des moteurs défaillants ? Devra-t-elle financer des modernisations coûteuses pour atteindre les capacités promises ? Alors que les détails du contrat des lots 18 et 19, ainsi que les coûts définitifs du Block 4, attendus à l’automne 2025, pourraient éclaircir l’horizon, une certitude demeure : le chemin vers un F-35A suisse pleinement opérationnel est jalonné d’obstacles. La transparence s’impose pour que les citoyennes et les citoyens-contribuables helvétiques ne se lassent pas d’une communication qui, trop souvent, privilégie l’apparence à la réalité.
Cet article a été rédigé par François Monney, que l’on remercie pour son travail.
Sources :
Déclarations du porte-parole d’armasuisse
- https://www.blick.ch/fr/suisse/defense-les-f-35-seront-livres-a-temps-promet-armasuisse-id21206209.html
- https://www.rts.ch/info/suisse/2025/article/f-35a-suisses-livraison-prevue-des-2027-malgre-les-retards-mondiaux-28990766.html
- https://www.watson.ch/fr/suisse/avion/208586369-les-f-35-seront-livres-a-la-suisse-dans-les-delais-prevus
Rapports du GAO et analystes
- https://www.gao.gov/products/gao-25-107632
- https://www.airandspaceforces.com/gao-action-needed-to-solve-f-35-block-4-issues/
- https://www.airandspaceforces.com/new-f-35-engine-contract-puts-fighters-price-tag-over-100m/?fbclid=IwY2xjawMtHVBleHRuA2FlbQIxMQABHq_WS4N5_Q18lf0XuR7jpH6uV7RPdNwRoEt5TIjV7n_yZq-hpD6KNvq9DJoj_aem_3_Q2husmlsG4UXVwM4D1ww
- https://breakingdefense.com/2025/09/f-35-block-4-upgrade-delayed-until-at-least-2031-gao/?fbclid=IwY2xjawMtHNBleHRuA2FlbQIxMQBicmlkETEwUGw5RjdwVG1EbllpSzIwAR59G0KiPL_AG4uWnSgPeFjaZPkbxkTa5BDFW5DJZgnv2SQlXSXwqT6An1mqdg_aem_lUfUrHG1E9kGK78x91UJQw
- https://www.aspistrategist.org.au/where-the-f-35-program-stands-big-upgrades-long-future/?fbclid=IwY2xjawMtHSFleHRuA2FlbQIxMQABHsf_6hkc56BDeky9x0aR8eDdfe3x7LmKCCRZ6eKmmGA0GjzT0gfBbLJFafsl_aem_42rFQTRi87_-MN0kScC7rg