
Voilà un autre sujet, pourtant important, qui a été discuté au Parlement l’année dernière et que nous n’avions pas couvert. Décidément, on est incorrigibles. Bouuuuuh ! Aux chiottes, les rédacteurs ! Rembour…. Ah mince, non. Tout est fait gratuitement. Fort heureusement, on peut toujours critiquer leur amateurisme. Ouf ! Trêves de plaisanterie, bandes de garnements, et revenons à nos moutons en treillis.
En 2024, donc, le Conseil fédéral n’a décidément pas eu l’oreille du Parlement en ce qui concerne les sommes allouées au département militaire. Tant mieux ! serait-on tentés de dire.
En effet, l’exécutif fédéral proposait d’allouer à l’armée, au travers du Plafond d’investissement quadriennal (2025-2028), 25,8 milliards de francs. Pour rappel, cela représentait un petit peu moins de 20% d’augmentation par rapport à la période précédente. Selon la stratégie des « sept sages », les dépenses devaient croître de 3% en 2025 et 2026, puis de 5.1% les deux années suivantes. Même si toute augmentation est bienvenue, celle-ci demeurait donc faible par rapport, par exemple, à notre voisin autrichien, qui passera d’environ 2.7 milliards d’euros de budget militaire en 2022 à 5.25 milliards d’euro d’ici 2027, soit un quasi doublement en seulement 5 ans. Même si la Bundesheer n’aura alors pas rattrapé l’armée suisse en termes nominaux, l’effort fourni et les ordres de grandeurs restent largement plus importants que chez nous. Il faut aussi avouer que nos amis autrichiens partaient de (encore) plus loin que l’armée suisse, et ce dans de nombreux domaines. Ne parlons pas de l’Espagne qui a annoncé il y a quelques jours un effort de 10 milliards d’euros cette année encore pour passer d’un niveau de 1.28% du PIB à 2% dépensé dans la défense, soit une augmentation de 45% en quelques mois !
Quoi qu’il en soit, la plus ou moins prise de conscience helvète n’arrive que tardivement, empêchant de lisser les efforts sur une longue période, comme le fait méticuleusement la Chine depuis maintenant plus de 25 ans, avec les succès que l’on observe aujourd’hui, et qui inquiètent passablement par ailleurs. Dans tous les cas, le besoin en financement est important aujourd’hui. En réalité, il l’est depuis fort longtemps… Mais tout cela nécessite une vision à long terme pour notre outil militaire, ce qui a manqué en Suisse depuis la chute du Mur de Berlin.
Fort heureusement, le législatif a, semble-t-il, plus pris la mesure de l’important effort de rattrapage à fournir, et ce le plus rapidement possible. Tout du moins la droite du Parlement… Ainsi, en 2024, et après discussions entre les différentes commissions (finances et sécurité) des deux chambres de l’Assemblée fédérale, un compromis a pu émerger. Au lieu des 25,8 milliards initialement prévus, ce seront 29,8 milliards qui devraient finalement être à disposition du DDPS pour la période 2025-2028. En détail, les augmentations annuelles par rapport au plan initial sont les suivantes : 530 millions de francs en 2025 (dont 200 millions pour la défense sol-air de longue portée), 840 millions en 2026, 1185 millions en 2027 et 1445 millions en 2028. En 2025, l’armée devrait donc pouvoir compter sur environ 6.4 milliards de francs au total, tandis qu’elle devrait en recevoir un tout petit peu plus de 8 milliards en 2028. Enfin, si tout se passe bien car la chose ne semble pas très claire au sein du DDPS, question leur ayant été posée. La page « Financement et équipement de l’armée » indique que « Le budget prévu pour 2026, 2027 et 2028 est respectivement de 6,6, 7 et 7,4 milliards. » ce qui, représente au total 27.4 milliards de francs, et non 29.8 comme voté par le Parlement en décembre dernier. Ces montants semblent plutôt étranges car ils ne correspondent ni à ce que le Conseil fédéral avait proposé initialement en 2024, ni à ce que l’Assemblée fédérale a finalement voulu. Les sept sages auraient-ils déjà décidé de ne pas atteindre le plafond des dépenses tel que décidé par le législatif ? Il est vrai que la décision laisse une marge de manœuvre, puisqu’il s’agit d’un maximum à dépenser, et non d’une obligation de dépenser.
À noter qu’une minorité de gauche a proposé que le plafond des dépenses pour les 4 années se monte à… 16 milliards de francs, soit 4 milliards par année. Non, ce n’est pas une (mauvaise) blague, même si ça y ressemble furieusement.
L’objectif est d’atteindre 1% des dépenses dans la défense d’ici 2032. Le national désirait que ce soit le cas en 2030 déjà tandis que le Conseil fédéral visait 2035. Comme souvent, la « chambre de réflexion » qu’est le Conseil des États a su trouver un compromis. Si cet objectif peut paraître modeste en comparaison européenne, où la norme fixée par l’OTAN est plutôt de 2%, il faut aussi reconnaître les particularités de la Suisse, à savoir un PIB monstrueux, une armée de milice dont les « salaires » ne sont pas pris en charge par le DDPS mais par l’Assurance pour Perte de Gain (APG) et l’absence d’accès à la mer qui évite à la Confédération les coûteux investissements qu’impliquerait une marine de guerre. Avec 1% de PIB, la Suisse n’aura ainsi pas à rougir, en termes absolus, face à certaines nations européennes investissant, elles, 2% de leur PIB pour leur armée. Cela ne suffira toutefois pas pour renouveler et acquérir tout le matériel nécessaire, disons-le clairement.
Là où les choses se corsent, c’est que si le Parlement a voté ces hausses… il n’a pas expliqué comment les financer à long terme. Aïe. L’on pourra se rassurer en se disant que les comptes fédéraux 2024, annoncés initialement comme catastrophiques, ne présentent finalement qu’une petite perte de 80 millions de francs. Mais ce serait évidemment faire preuve de légèreté quant à la tenue du ménage fédéral. Pour 2025, ce sont notamment la coopération internationale (-110 millions de francs), l’asile (-180 millions), diverses dépenses fédérales (-78 millions) et le personnel (-30 millions) qui feront les frais d’une cure d’amaigrissement. À noter que le budget fédéral intégral totalisera 86,5 milliards de dépenses et 85,7 milliards de recettes, soit un déficit d’environ 800 millions de francs. L’équilibre n’est donc de loin pas assuré et la Conseillère fédérale Karin-Keller Sutter n’a d’ailleurs pas manqué d’insister sur le fait que d’autres efforts importants devront être fournis.
L’on soulignera enfin que le Conseil national avait pour velléités d’économiser quelque peu (50 millions) sur le fonctionnement de l’armée, où il est sûrement possible d’être plus efficient. Là où le raisonnement est plus scabreux, c’est qu’il était question de diminuer l’enveloppe… d’Armasuisse, entité chargée de gérer les programmes d’armement de l’armée. En clair, le législatif fédéral voulait avoir plus d’argent, pour acheter plus de systèmes, mais moins de personnel pour gérer lesdites acquisitions. Lorsque l’on sait que le personnel actuel n’est déjà pas suffisant pour gérer les projets en cours, l’on peut s’imaginer ce qu’une telle décision aurait signifié… Il ne semble en effet pas pertinent de multiplier le budget et les achats si les ressources humaines ne sont pas disponibles pour les conduire, faute de quoi cela risque fortement de déboucher sur de nouveaux scandales et gaspillages faramineux. Or, il n’est vraiment plus le temps de jeter le discrédit sur le DDPS, dont la réputation est déjà fortement entamée, ni sur les autorités fédérales en général.
Sources :
https://www.bmlv.gv.at/cms/artikel.php?ID=11569
https://www.bundesheer.at/aktuelles/detail/2024-mission-vorwaerts
https://meta-defense.fr/2025/04/22/effort-de-defense-espagnol-2025-sanchez/
https://www.24heures.ch/suisse-les-previsions-erronees-du-budget-suscitent-un-tolle-176516467500
https://www.parlament.ch/press-releases/Pages/mm-fk-n-2024-11-13.aspx?lang=1036
https://www.parlament.ch/fr/services/news/Pages/2024/20241219112110380194158159026_bsf087.aspx