Demandeeeeez le programme (d’armement 2025) ! (partie 2/2)

Explorateur utilisant un système électronique, @DDPS

Il y a de cela quelques semaines, nous avons abordé la première partie du Programme d’armement (PA) 2025, notamment celle qui portait sur les équipements de combat, avec le nouveau système d’artillerie AGM monté sur Piranha et la remise en état des différents modèles de chars Leopard II.

Aujourd’hui, nous allons donc nous pencher sur les autres volets de cette demande de crédits, qui sera discutée au Parlement au deuxième semestre 2025. Plusieurs projets en font partie et intègrent notamment des éléments liés à la numérisation de l’armée et à la conduite des troupes, comme chaque année ou presque. C’est que notre outil de défense a pris passablement de retard dans ce domaine et doit donc fournir un effort non négligeable pour y remédier. Ainsi, le législatif fédéral débattra de l’Infrastructure informatique de la troupe (tranche 1), des Services numériques transversaux (tranche 1), de l’Environnement de test et d’intégration pour les TIC indispensables à l’engagement, de solutions de cryptage, de radar passif pour la surveillance de l’espace aérien et d’une acquisition supplémentaire de mini-drones. Abordons chacun de ces éléments dans l’ordre et tâchons de comprendre de quoi il retourne.

Premièrement, l’Infrastructure informatique de la troupe est un projet visant à créer un réseau numérique de capteurs, de décideurs et d’effecteurs permettant à l’armée de réaliser ses missions dans tous les espaces d’opération, que ce soit au sol, dans les airs ou dans le cyber-espace, par exemple. Si des éléments de ce genre sont déjà disponibles pour l’état-major, ce n’est pas le cas à l’échelon tactique (unité et corps de troupe). Afin de combler cette lacune, il faut acquérir des systèmes pouvant être utilisés en mouvement ou de manière semi-stationnaire. Concrètement, il s’agit d’acheter des ordinateurs, des serveurs et des logiciels, et de mettre le tout dans un réseau du DDPS sécurisé. L’objectif est de tester et déployer les solutions informatiques d’ici fin 2027. Cette première tranche coûtera 110 millions de francs. Il y en aura deux autres d’ici le milieu des années 2030 qui coûteront au total 370 millions de francs.

Le deuxième poste de ce PA est constitué de la première tranche des Services numériques transversaux. Le lien entre cet élément et le précédent est important, puisqu’il s’agit de permettre au matériel sus-cité d’utiliser des applications et services communs à toutes les formations et états-majors, afin de permettre aux différentes unités et commandements de l’armée de communiquer de manière rapide et standardisée entre eux. Pratiquement, il sera question de communication audio, vidéo et textuelle ou de permettre la recherche, l’analyse, la préparation et l’archivage de données, tous des éléments qui n’existent pas au niveau de la troupe aujourd’hui. L’objectif est de doter en priorité les formations de milice à disponibilité élevée (MADE) d’ici fin 2027, puis d’étendre ces services au reste de la troupe durant les années 2030. Ces deux étapes devraient coûter 100 millions de francs, dont 72 pour la première.

Le troisième élément porte sur l’Environnement de test et d’intégration pour les TIC (Technologie de l’Information et de la Communication) indispensables à l’engagement. Simplement soit dit, il existe à Dübendorf un simulateur visant à reproduire l’infrastructure de communication sans laquelle les engagements ne sont tout simplement pas possibles. Il permet de tester les interactions entre les différents systèmes du Réseau national de sécurité, notamment en cas d’attaque ou de catastrophe, de former et d’entraîner la troupe, mais aussi de tester et préparer les mises à jour avant de les installer.

La plupart des troupes ainsi que des systèmes d’aide au commandement ayant été concentrés à Frauenfeld avec la réforme Développement de l’Armée (DEVA), il s’agit de démanteler l’infrastructure de Dübendorf et de la reconstruire dans le canton de St-Gall. Bien évidemment, pareille machine ne pouvant simplement être déconnectée pendant des mois, la nouvelle devra être construite avant que l’ancienne ne soit mise hors service. Le nouvel environnement de test et d’intégration devrait pouvoir fonctionner à plein régime dès 2029, moyennant 30 millions de francs d’investissement.

Le quatrième projet de ce Programme d’armement concerne l’acquisition de solutions de cryptage. La sécurité des données étant aujourd’hui primordiale, le DDPS entend mettre de l’ordre dans ses procédures de chiffrement, aujourd’hui hétéroclites, ce qui constitue une faille. Dès lors, un nombre limité de solutions de cryptage standardisées pour tous les domaines de l’armée sera acquis à partir de 2026 et durant six ans, pour un coût de 50 millions de francs. Deux autres crédits de 30 millions de francs compléteront l’acquisition initiale. Ils sont planifiés au début et au milieu des années 2030 pour la gestion du cycle de vie et le développement des solutions de cryptage.

Les deux derniers postes concernent des acquisitions supplémentaires pour des éléments déjà utilisés aujourd’hui. La première d’entre elle porte sur des radars passifs. Acquis en petit nombre en 2021 via les crédits de l’équipement personnel et au matériel à renouveler (BER), qui se font aujourd’hui au travers de plans quadriennaux, les systèmes ont donné entière satisfaction. L’armée souhaite maintenant en étendre le nombre afin de compléter la surveillance de l’espace aérien. Ces petits radars pouvant être montés sur des véhicules civils et n’émettant pas d’ondes électromagnétiques, ils sont relativement peu onéreux et faciles à mettre en œuvre. Il en coûtera 80 millions de francs.

Enfin, en 2019 au toujours grâce au BER, des mini-drones de reconnaissance avaient été acquis, là aussi en petites quantités. Ils servent notamment à surveiller des secteurs, reconnaître des complexes immobiliers, obtenir des renseignements ou explorer des zones sinistrées. Les essais auprès de la troupe, et plus particulièrement des explorateurs, ayant été concluant, le DDPS souhaite en équiper de nouvelles unités, avec des machines de la même famille que celles déjà en service. L’objectif est de donner aux bataillons des capacités de reconnaissance accrues et d’intégrer ce nouveau capteur à un système global. Cette capacité complémentaire nécessitera 30 millions de francs.

Voilà pour les différents crédits demandés auprès du Parlement. Nous verrons si, comme en 2024, celui-ci souhaitera y ajouter des éléments. La probabilité semble toutefois faible, étant donné que le PA nécessite déjà 1,512 milliard de francs, alors que celui de l’année dernière ne portait que sur 490 millions de francs.

L’on constate toutefois que, même si le Conseil fédéral se targue d’un retour sur investissement de près de 92% grâce aux affaires compensatoires, seuls 40% des sommes articulées (environ 600 millions de francs) iront directement à l’industrie suisse. Dans un contexte où celle-ci est en difficulté, il aurait peut-être été utile de procéder à des acquisitions dont le besoin est aujourd’hui avéré, mais pouvant être produites en majorité en Suisse. Nous pensons ici au remplacement des M113 par des Eagle V et l’acquisition de défenses anti-aériennes à courte portée Skyranger 30/35.

En définitive, ce Programme d’armement va dans le bon sens, permettant à l’armée suisse de mettre des systèmes obsolètes au rebut, de revaloriser ceux qui peuvent encore l’être, et de rattraper le retard concernant nos capacités de conduite. Malgré tout, il s’agira de voir comment ces projets sont menées et quels seront les budgets et délais effectifs. Car s’il est facile de publier des belles brochures, gérer des programmes d’acquisition de systèmes complexes et interconnectés l’est beaucoup moins, surtout dans le domaine informatique. Et sur ce point, le DDPS a tout à prouver.

Sources :

https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/2025/888/fr

https://www.vtg.admin.ch/fr/programme-darmement-2025