Le Conseil fédéral souhaite continuer à gaspiller de l’argent

Membre de la Swisscoy en formation, @Swissint

En voilà un titre racoleur. Et on ne pourra donner tort à ceux qui le diront. Or chacun sait que le tort tue.

Mais trêve de subtile galéjade et voyons plutôt ce qui nous pousse à employer pareils propos. Le Conseil fédéral a en effet décidé de proposer au Parlement la prolongation de la mission de maintien de la paix au Kosovo, communément appelée Swisscoy (contraction de swiss company) et cela jusqu’en 2029 avec un effectif de 215 personnes. Présente depuis 1999 dans ce pays des Balkans, la Suisse y maintient actuellement 195 militaires avec possibilité de monter jusqu’à 225 en cas de besoin. Ce contingent effectue notamment des missions de déminage, de récolte de renseignements, de transport aérien, de construction de routes ou encore de logistique au profit de la KFOR (Kosovo Force), la mission de l’OTAN chapeautant le tout.

Le gouvernement justifie cette proposition notamment en arguant que les tensions y sont encore bien présentes, comme en témoigne l’épisode de 2023, mais aussi que l’armée en tire également d’importants bénéfices en termes d’entraînement et d’interopérabilité. Malgré le numéro thématique de la RMS consacré à ce sujet, ce n’est rien de dire que nous ne sommes guère convaincus de la pertinence de cet engagement.

L’on pourrait résumer notre scepticisme par la question suivante : que ferons-nous en 3 ans que nous n’aurions réussi à accomplir en 25 ? Un si long engagement démontre que la méthode employée jusqu’ici n’a guère porté ses fruits. Errare humanum est, perseverare diabolicum disons-nous pour étaler notre culture. Et si l’entraînement et l’interopérabilité sont si chers que cela aux yeux du Conseil fédéral et des hauts-gradés, alors on peut arguer que les manœuvres en commun, comme celles effectuées en Autriche en début d’année ou dernièrement en Suisse avec l’armée française, permettent certainement de les travailler et pour des coûts bien moindres.

Reste encore la participation de l’effort helvétique à la sécurité du continent. Si l’argument est pertinent, nous estimons là encore que l’armée pourrait le remplir en engageant de manière impromptue ses unités en service long dans des interventions liées aux catastrophes naturelles à l’étranger. Ces missions auraient une bien meilleure visibilité que notre interminable engagement dans les Balkans et permettraient peut-être de travailler en termes d’opérations, avec d’importantes contraintes de temps et de logistique, des éléments primordiaux pour tout engagement militaire. Cela constituerait une expérience peut-être plus valorisable pour notre armée dans son ensemble, tout en motivant la troupe, qui a parfois tendance à s’ennuyer, comme l’indiquait ce rapport du Contrôle fédéral des finances.

Ainsi, les près de 50 millions de francs annuels que coûte cet engagement semblent être un important gaspillage, surtout dans une période où l’armée a un massif et immédiat besoin d’être renforcée. D’ailleurs, le budget 2026 de l’armée ne devrait être supérieur à celui de 2025 « que » de 300 millions (augmentation de 6,3 à 6,6 milliards). La croissance ne sera donc que d’environ 5%, c’est-à-dire très peu, surtout lorsque l’on prend en compte l’inflation. Rappelons également que les programmes d’armement, 2025 excepté, dépassent rarement le milliard de francs. Au regard de ces chiffres, les 50 millions de la Swisscoy sont loin d’être négligeables.

Le Conseil fédéral et l’armée ont déjà pris des mesures pertinentes et déployé quelques efforts, notamment en ne distribuant plus la disgracieuse tenue A, en annulant quelques sorties et démonstrations aériennes et en proposant de retirer les derniers F-5 du service. Ces mesures permettent d’économiser quelques dizaines de millions, notamment la dernière. Mais il ne s’agit pas d’un travail systématique de réallocation des ressources financières qui semble nécessaire depuis longtemps déjà.

Un autre exemple de gaspillage d’argent ? Le logement des officiers dans les hôtels lors des cours de répétition (CR). Cette mesure, qui coûte plus de 8,5 millions de francs, n’a guère de justification militaire. D’ailleurs, un certain nombre de cadres n’en fait en réalité pas usage. La raison ? Cela les éloigne de la caserne, et leur prend ainsi un temps précieux alors que les CR ne sont que trop courts. L’armée paie donc des chambres qui restent parfois vides. Le DDPS indique que cela ne se fait qu’exceptionnellement, mais c’est en réalité faux, entre autres arguments contestables. Le dernier cours de répétition du seul Bataillon de sauvetage 1 à Épeisses (GE) aurait par exemple coûté plusieurs dizaines de milliers de francs rien qu’en frais d’hébergement, alors qu’une caserne était disponible. Celles-ci sont en effet rarement occupées au maximum de leurs capacités. Ce n’est de toute manière pas comme si le secteur hôtelier avait besoin de l’armée pour remplir ses établissements. Quand bien même, ce n’est pas le rôle de l’armée que d’officier de béquille pour l’industrie du tourisme. Et cela sans compter l’image que la pratique renvoie auprès de la troupe et des citoyens…

Ne parlons pas de la fermeture de l’hôtel du Chasseron car Armasuisse Immobilier n’aurait pas les moyens de réaliser les quelques malheureux travaux nécessaires à l’exploitation de l’établissement… Résultat des courses : un bâtiment risquant de rester vide, un « bad buzz » considérable pour l’armée et des rentrées financières en moins. Drôle de vision à long terme de la gestion du parc immobilier. Le DDPS a peu de moyens de se financer autrement que par les impôts, mais il souhaite apparemment supprimer les rares alternatives existantes.

Il apparaît donc que si Martin Pfister a mis en branle une appréciable réforme dans la gestion des projets d’acquisition de son département, une analyse fine du budget n’a pas encore été effectuée, ou n’est tout simplement pas souhaitée, et il est probable que moult pistes, comme celles évoquées ci-dessus, s’y trouvent encore. C’est évidemment en multipliant les économies ou rentrées d’argent de quelques millions que le DDPS parviendra à dégager des montants qui, sans bouleverser fondamentalement la donne financière, seront certainement appréciables. Le besoin est là et il est urgent.

Sources :

Communiqué de presse du DDPS, 19.11.2025 : https://www.vbs.admin.ch/fr/newnsb/tVQwQ9HzSArHy1G-woeqK

Conseil fédéral, « Message relatif à la prolongation de la participation suisse à la Force multinationale de l’OTAN au Kosovo (KFOR) », 19.11.2025 : https://cms.news.admin.ch/dam/fr/der-schweizerische-bundesrat/zJhbW3EASsJS/Message_prolongation_de_la_participation_suisse_a_KFOR.pdf

SWISSCOY KFOR: https://www.vtg.admin.ch/fr/swisscoy-kfor-3

Financement et équipement de l’armée, 02.10.2024 : https://www.vbs.admin.ch/fr/financement-armee

NUSSBAUM, Virginie, « L’armée, principale cliente des hôtels suisses » in Le Temps, 06.08.2023 : https://www.letemps.ch/suisse/l-armee-principal-client-des-hotels-suisses

Groupement défense, « Des hébergements séparés pour les cadres : c’est approprié et légitime, mais loin d’être du luxe », 01.09.2023 : https://www.vtg.admin.ch/fr/des-hebergements-separes-pour-les-cadres–cest-approprie-et-legitime-mais-loin-detre-du-luxe

PIRSZEL, Jacqueline, « ArmaSuisse décide de fermer le mythique Hôtel du Chasseron, suscitant l’émoi dans le Jura vaudois », in RTS Info, 07.08.2025 : https://www.rts.ch/info/regions/vaud/2025/article/fermeture-de-l-hotel-du-chasseron-colere-et-incomprehension-dans-le-jura-vaudois-28961701.html