
Publiée depuis 1993, la série d’études nommée « Sécurité » effectuée par deux organes de l’EPFZ (La MILAK et le Center for Security Studies) permet de mesurer les fluctuations de sensibilité de la population suisse sur les questions ayant traits à la défense, la sécurité ainsi que la confiance accordée aux autorités. Ce sondage est effectué sur la base d’appels téléphoniques. Cette année, 1003 électeurs provenant des trois régions linguistiques du pays ont été contactés. L’échantillonnage comprend 48% d’hommes et 52% de femmes et environ ¼ de personnes de chaque tranche d’âge. Il est ainsi représentatif de l’électorat suisse.
Ce rapport s’étendant sur des questions relativement larges, nous allons comme à notre habitude nous concentrer sur celles ayant exclusivement trait à la défense et aux politiques de sécurité.
Ainsi, la « coopération douce », c’est-à-dire l’engagement international et humanitaire sans lien institutionnel réduisant la souveraineté de la Suisse est aujourd’hui clairement soutenue par l’électorat suisse. Ainsi 78% (+ 3 %) d’entre eux souhaite que la Confédération offre plus de médiation dans les conflits, tandis que 68% (+2) des votants aimeraient que le pays renforce son aide au développement. En effet, aujourd’hui la Suisse s’engage très peu dans ce domaine, au contraire de l’Autriche, pays neutre au budget militaire deux fois moins élevé que le nôtre. Il apparaît en revanche que ces pourcentages n’ont guère été modifiés depuis le début de la guerre en Ukraine.
A contrario, le conflit en Europe de l’Est a exercé une influence significative sur la perception que les Suisses avaient de l’OTAN. Ainsi, une minorité de personnes (27%, +1%) souhaite une adhésion à cette alliance, ce qui est toutefois supérieur à la moyenne décennale de 21%. De même, 52% (+7%) des sondés souhaitent que le pays se rapproche de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. Sur les 10 dernières années, ce taux se situait à 38%. C’est dire si le changement de paradigme est aujourd’hui important. Cette tendance était déjà perceptible en 2021. Il n’est donc pas possible de dire s’il s’agit d’un mouvement de fond, ou d’une conséquence de la montée des tensions avec la Russie.
L’étude s’est également penchée sur les autonomies militaire et nationale, c’est-à-dire sur les alliances. Là encore, les citoyens semblent ne plus croire ou vouloir une Suisse indépendante, puisque seuls 38% de citoyens approuvent l’autonomie militaire, c’est-à-dire que nous ne devrions compter que sur nos propres moyens, tandis que 33% souhaitent que la Confédération se tienne à l’écart d’alliance et de regroupements de toutes sortes avec d’autres États. Dans le même ordre d’idée, 39% (+10%) des sondés estiment que l’étroite interdépendance politique et économique avec d’autres nations rend la neutralité impossible.
De manière quelque peu contradictoire, les électeurs sont en revanche toujours une écrasante majorité à vouloir que la Suisse reste neutre (89%, -8%), même si le soutien décroît. Le concept de « neutralité différenciée », c’est-à-dire que le gouvernement prenne clairement position en cas de conflit politique à l’étranger mais sans intervention militaire, recueille aussi une majorité confortable, avec 57% (+2%) des voix.
Concernant l’armée elle-même, les électeurs sont 80% (+5%) à la considérer comme nécessaire (36% [+7 pp] la considèrent comme absolument nécessaire et 44% [-2 pp] comme plutôt nécessaire). La moyenne décennale se situant à 78%, la guerre en Ukraine semble avoir eu une petite influence sur ce pourcentage. Notons tout de même que dans le contexte actuel, il se trouve tout de même 1 citoyen sur 5 pour penser que nous n’aurions plutôt pas (15%, +1%) ou absolument pas (5%) besoin d’une armée. L’influence du conflit ukrainien est importante sur les questions de formation et d’équipement. En effet, 89% (+1%) des personnes interrogées souhaitent une « armée très bien formée » (en même temps, qui aimerait avoir une armée très mal formée… ?), ce qui correspond à un pic d’approbation. De la même manière, l’envie que l’armée soit entièrement équipée n’a jamais été aussi forte. Cela était déjà le cas en janvier de cette année et la guerre n’a évidemment pas diminué cela. Ainsi, 74% (+4%) des citoyens le souhaitent, sans doute sans savoir ce que cela suppose budgétairement parlant…
En parlant de budget, justement, les électeurs ont considérablement changé leur fusil d’épaule depuis janvier. Ainsi, la part de ceux estimant que les moyens financiers alloués à l’armée sont beaucoup trop élevés à diminué à 30%, soit 12% de moins qu’auparavant. Ils sont 46% à juger qu’ils sont suffisants et 19% (+12%) à juger qu’ils sont trop faibles. Malgré tout, il apparaît que les augmentations budgétaires ne sont pas forcément fortement soutenues par la population, et il sera donc primordial que celle votée ce printemps déploie des effets concrets rapidement et ne soit pas entachée de scandales ou de retards, sinon le retour de balancier risque d’être très important et dévastateur.
Enfin, il apparaît que l’armée de milice est toujours populaire (58% d’avis favorable, -2%), mais que dans le contexte actuel, les professionnels aient légèrement meilleure image (36%, +2%), notamment chez les jeunes (43%). Il apparaît que 33% des Suisses (-2%) seraient aujourd’hui favorables à la suppression de l’obligation de servir, soit une valeur inférieure à la moyenne.
Si ces sondages réguliers depuis maintenant près de 30 ans sont des indicateurs importants pour les dirigeants, il faut garder à l’esprit qu’ils sont en partie dictés par l’émotion. Il ne serait donc pas forcément sage de prendre des décisions uniquement sur la base de ceux-ci, ni uniquement du contexte actuel d’ailleurs, qui ne pourra pas durer éternellement, mais bien sur les équilibres qui régiront l’Europe et le monde sur les 20 à 30 prochaines années. En outre, les différentes questions laissent entrevoir des contradictions dans les envies de la population, avec une très forte adhésion au principe de la neutralité, mais une croyance plus que mesurée dans nos capacités à être indépendants et une volonté de se rapprocher de l’OTAN. Bien malin le dirigeant qui saurait quoi faire de ces considérations…
Sources :
https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/72460.pdf