Le DDPS met à jour sa planification des acquisitions

Véhicule de commandement blindé sur la base du Mowag Eagle V, @DDPS

Depuis le début de la guerre en Ukraine, de nombreux États ont augmenté leurs dépenses militaires. La Suisse ne fait pas exception à la règle, le Parlement ayant accepté une hausse graduelle des finances de l’armée. Celle-ci touche, en comptant les services de renseignement et Armasuisse, un peu plus de 5,975 milliards de francs. Les dépenses du Groupement de la défense à lui seul se montent à 5,1367 milliards de francs. D’ici 2030, ce dernier montant devrait grimper à 7 milliards, à coup de 300 millions de francs annuels.

L’une des grosses critiques de la gauche était que l’armée ne savait pas quoi acheter avec cette nouvelle manne, oubliant que toutes les acquisitions étaient aujourd’hui taillées au plus juste, permettant le plus souvent uniquement de préserver les compétences, mais pas forcément les capacités. Le DDPS s’est donc rapidement mis au travail et a livré une nouvelle planification des investissements, jusqu’à 2035. Si cette rapidité est à saluer, il faut toutefois signaler que ce document reste très flou, et qu’il n’indique pas quels sont les changements par rapport à l’ancienne planification ni où les crédits supplémentaires déploieront précisément leurs effets. Tout au plus signale-t-il que des nouvelles acquisitions qui n’étaient initialement pas planifiée permettront d’améliorer la capacité à durer de l’armée et que le matériel acheté le sera le plus souvent « sur étagère », c’est-à-dire qu’il ne subira pas de modification spécifique à la Suisse (« helvétisation »).

Le message sur l’armée 2023 ne pourra compter que sur une petite enveloppe de 700 millions de francs. On est loin des 0.9 à 1.2 milliards visés initialement par le la réforme DEVA. Peut-être le Conseil fédéral anticipe-t-il déjà l’impact budgétaire de la pénurie d’énergie, faisant des finances de l’armée une variable d’ajustement dans laquelle il est possible de couper allègrement. Le conflit en Ukraine et les tensions ailleurs dans le monde (Grèce-Turquie, Arménie-Azerbaïdjan, Serbie-Kosovo, Chine-Taïwan, etc.) devraient au contraire impliquer un effort soutenu, et surtout, stable dans le temps. En prenons-nous le chemin ? On a vraiment de la peine à observer cela dans ce document…

Avec les faibles moyens disponibles, il est prévu d’acquérir des missiles supplémentaires Patriot (déjà ? Simple prévoyance de la part du DDPS, ou sont-ce des coûts cachés du programme 2022 noyés dans celui de 2023 ? Dans tous les cas, les Forces aériennes semblaient déjà avoir été suffisamment alimentées en 2022…), une deuxième tranche de véhicules à pneus blindés pour les sapeurs de chars (dont les utilisateurs ne sont guère enchantés, préférant nettement les véhicules à chenilles pour ce genre de mission mais comme déjà dit, « chenilles » semble désormais être un mot prohibé chez Armasuisse. Exit donc des CV-90 du génie) et une augmentation du stock de munitions. L’année 2023 ne permettra donc pas, loin s’en faut, de retrouver une quelconque capacité, ni de remplacer de vieux engins. Il s’agit simplement là de commandes supplémentaires de programmes existant. Même si toute augmentation de format est bonne à prendre, ces matériels-là étaient-ils les plus pertinents à prioriser ?

Le message sur l’arme 2024 prévoit des investissements pour 800 millions de francs et servira à acquérir un missile sol-sol à des fins de défense antichar. Là encore, rappelons que l’armée a acquis plusieurs de ces systèmes récemment. Elle investira également dans « les centres de calcul du DDPS afin d’améliorer la cyberdéfense, d’assurer la sécurité de la communication et d’obtenir une image uniforme de la situation à tous les échelons ». De même, de nouveaux systèmes de de capteurs passifs pour la défense aérienne seront acquis. Enfin, une première tranche de nouveaux véhicules de commandement blindés sur la base du Mowag Eagle V sera achetée, permettant de mettre hors service les chars de grenadiers M113. Il s’agit là d’un des rares nouveaux matériels dont la dénomination est clairement établie.

Le budget 2025 devrait servir à moderniser une dernière fois les chars 87 Leopard ainsi que les hélicoptères EC-365, remettre à niveau les centres d’instruction au combat de Bure et de Walenstadt, « investir dans le domaine de l’infrastructure informatique et des services (transversaux) en faveur de la troupe » et « investir dans l’autonomie de l’approvisionnement en électricité de la troupe ». Acheter des génératrices, quoi.

Cette planification se fait plus floue des 2026. Cette année-ci et la suivante devraient servir à acquérir le nouveau système d’artillerie, un nouveau système de défense sol-air moyenne portée, un « système d’information intégré pour la planification et le suivi de la situation pour planifier les actions et de suivre la situation dans tous les espaces d’opération et à tous les échelons de conduite », des camions, du matériel sanitaire et de sauvetage, des machines de chantier, des appareils pour le cyberespace et la guerre électronique, une tranche supplémentaire de Eagle V et des radars « partiellement mobiles ».

Enfin, ce court document résume les années 2028 à 2035 de manière assez lapidaire. Il est ainsi question de continuer à renouveler les capteurs pour l’espace aérien, de maintenir les capacités des forces terrestres (oui, c’est tellement flou que ça peut tout et rien vouloir dire), de développer celles dans le domaine exo-atmosphérique (les satellites) et de la conduite intégrée (centres de calcul, réseaux de conduite et services de renseignement).

Pour la période 2032-2035, « les investissements porteront sur la défense sol-air de proximité (courte portée), la capacité à durer, le transport aérien (acquisition de remplacement des hélicoptères de transport moyens de types Super Puma et Cougar) et la mobilité protégée et non protégée. »

Voilà, vous savez tout, et en même temps, vous n’en savez pas forcément beaucoup plus. Comme nous. L’on peut déduire de ce papier que l’exercice a été réalisé dans une relative urgence. L’on ne perçoit guère les effets de l’augmentation du budget de l’armée, surtout dans les premières années et l’on peut constater que la plupart des acquisitions se focalisent sur des systèmes déjà en service ou au moins approuvés par le Parlement. Il n’y a donc pas ici de révolution, tandis que les évolutions ne sont pas forcément très intenses. La remontée en puissance des capacités de notre armée semble donc être faite aussi vite que possible, mais aussi lentement que nécessaire.

Sources :

https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/73033.pdf