
La période des vacances d’été étant traditionnellement moins chargée, tant politiquement que pour nous, nous allons tâcher d’en profiter pour rattraper nos différents retards, et peut-être même une fois rester définitivement à jour ! C’est beau de rêver.
Ces derniers mois, la question du service militaire a été largement abordée, en Suisse comme à l’étranger, et, une fois n’est pas coutume, ce n’était pas (toujours) pour le dévaloriser, bien au contraire. En effet, ces derniers jours le gouvernement danois a annoncé qu’il allait porter sa conscription de 4 à 11 mois et la rendre obligatoire pour les femmes, et cela quasiment sans débat. En Allemagne également, le retour de la conscription, suspendue en 2011, fait régulièrement parler de lui. Le ministre de la Défense, Boris Pistorius, promeut la mise en place du système norvégien, selon lequel tous les membres d’une classe d’âge sont évalués, mais seule une partie d’entre eux est effectivement sélectionnée pour servir sous les drapeaux. En France aussi, les cadres de l’Armée de Terre militent pour qu’un un service militaire volontaire soit mis sur pied, de manière à permettre une montée en puissance des effectifs, chose difficilement imaginable en ne tablant que sur l’engagement de professionnels supplémentaires.
Mais si la conscription est populaire en Norvège et que l’armée française arrive à remplir ses objectifs en termes de ressources humaines, la chose militaire ne fait manifestement pas rêver les jeunes Européens. Il manquerait des dizaines de milliers d’hommes aux armées italiennes, tandis que l’Allemagne peine depuis des années à compléter ses effectifs. Les États tablant sur la conscription ne sont pas mieux lotis, à l’image de l’Autriche ou de la Suisse.
Sous nos cieux, les effectifs de l’armée tendent en effet à fondre, et à un rythme accéléré. Avec plus de 6000 départs annuels du service militaire vers le service civil, la conscription est manifestement en crise en Suisse. Cela fait plusieurs années que l’état-major s’en inquiète et que le Parlement débat de la chose, sans prendre de mesure forte, jusqu’à très récemment, comme nous allons le voir.
Nous avions déjà évoqué les raisons de ce désamour en début d’année 2024, alors que le Conseil fédéral mandatait une énième étude pour comprendre le pourquoi du comment (dans le vide, il suffisait de demander. Ils ne nous lisent malheureusement pas). Les résultats ont été diffusés en novembre de l’année passée et… nous avions raison. Eh oui, ça nous arrive. En résumé, l’armée est souvent vue comme inutile, du fait du matériel vieillissant, des longues attentes, de la structure hiérarchique rigide et de l’instruction lacunaire, tandis que le service est parfois difficile à concilier avec la vie privée et professionnelle.
Des mesures viennent d’être prises par le Parlement, notamment pour durcir l’accès au service civil au travers de différentes mesures. Le Conseil fédéral estime que cela permettra de ramener le nombre de départ à « seulement » 4000. Les conseillers nationaux Jaqueline de Quattro (PLR, VD) et David Zuberbühler (UDC, AR) ont quant à eux proposé de remettre en vigueur l’examen de conscience en début d’année via un postulat non encore traité, tandis que le Parlement s’est prononcé en juin en faveur d’une fusion de la PCi, qui connaît elle aussi des problèmes d’alimentation en effectifs, avec le service civil. L’objectif de ce nouveau Service de protection contre les catastrophes est de diminuer les départs de l’armée, tout en permettant aux objecteurs de conscience de disposer d’un service de remplacement. L’instruction de ces troupes durerait plus longtemps que ce qui existe aujourd’hui au sein de la PCi. Il y aurait 146 jours d’école de recrues et de cours de répétition et 99 jours d’activités individuelles. Cette nouvelle organisation constituerait une réelle amélioration en comparaison de la situation actuelle, qui ne permet pas de former convenablement les astreints, avec 10 à 19 jours d’instruction de base auxquels s’ajoutent 19 jours d’instruction complémentaires. En outre, cela permettra une meilleure équité avec le service militaire, dont le nombre de jours de service est similaire. Enfin, nous voterons en novembre sur l’initiative « service citoyen » visant, grossièrement, à introduire un service universel.
Nous n’allons pas revenir en détail sur ces différents éléments, que nous avons déjà couverts ou que nous allons couvrir plus en détails prochainement. En revanche, nous sommes d’avis que si le service civil a été dévoyé de sa fonction initiale – il est aujourd’hui de facto un choix effectué par les jeunes citoyens notamment pour des raisons de confort et de conciliation avec la vie privée et professionnelle – durcir son accès ne rendra pas l’armée meilleure. Or, et même si le service militaire ne pourra devenir toujours sympathique – ce n’est pas son but – il faut impérativement le rendre plus attractif aux yeux des jeunes. Il ne faut pas y voir ici une volonté d’assouplir l’instruction des recrues afin de rendre leurs obligations plus attrayantes et moins pénibles. Au contraire, un certain nombre de changements l’amélioreraient certainement. Passons donc en revue ce que nos autorités proposent, et ce qu’elles devraient proposer, sans vouloir faire œuvre d’exhaustivité.
Ainsi, en janvier de cette année, le Conseil fédéral a indiqué vouloir rendre la journée d’information obligatoire pour les femmes. Cette mesure a été mise en consultation, démarche dont les résultats devraient être connus d’ici la fin de l’année. L’introduction de cette mesure impliquant un changement de la constitution, nous serons appelés à voter sur la question, potentiellement à l’horizon 2027. L’on pourrait juger que le Conseil fédéral est relativement tiède avec cette décision, mais il semble douteux qu’une mesure plus forte, à savoir l’introduction de la conscription pour les femmes, remporte aujourd’hui une majorité dans les urnes, surtout dans un contexte de défiance généralisée envers le DDPS. En outre, ne pas inclure cet élément dans une réforme plus importante permet de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain en cas de refus et d’exposer clairement la chose aux votants. Notons d’ailleurs que le Conseil fédéral estime que si seulement 10% des femmes assistant aux journées d’information se portent volontaires pour porter la Taz, cela représentera déjà 2400 militaires de plus chaque année. Les ambitions de Berne ne semblent pas excessives, puisqu’une étude publiée récemment indique que 26% des Suissesses se verraient effectuer un passage sous les drapeaux. Le frein à leur engagement est justement constitué du manque d’information. La stratégie des 7 sages se voit donc confirmées à deux niveaux : il n’y a pas forcément de majorité pour qu’un service militaire féminin soit instauré, mais la journée d’information est un levier passablement intéressant pour maintenir le niveau des effectifs.
Un autre élément, étonnamment passé sous les radars, peut être lu dans le rapport intitulé « Renforcer la capacité de défense », alias le « livre noir ». Rédigé en 2023, dans l’urgence après l’attaque russe contre l’Ukraine, celui-ci esquisse le futur de notre armée, et tente de justifier l’augmentation de budget alors largement débattue au Parlement. Un des points de ce document qui nous intéresse ici est lié à l’alimentation en effectifs, abordée au chapitre 4.4. En effet, il est ici question de créer des forces légères. Celles-ci nécessiteraient, théoriquement, des cours de répétitions plus courts (deux semaines), permettant une plus grande flexibilité, et ainsi une plus grande attractivité auprès des jeunes citoyens. Nous n’avons malheureusement pas réussi à obtenir de renseignement sur la structure, la composition et l’équipement de ces forces légères, mais la mesure semble tout de même optimiste, du point de vue de la formation. En effet, même en ayant qu’un équipement restreint (armes d’épaule, lance-roquettes antichars, drones, voire des mortiers), l’entraînement de ces soldats implique de nombreux aspects (maniement des armes, sanitaire, NBC, déplacements tactiques, etc.) qu’il sera peut-être difficile d’entraîner en si peu de temps, à moins que l’armée n’arrive subitement à mettre sur pied des cours de répétition durant lesquels les temps d’attente sont rares et courts… On ne demande qu’à être surpris !
Une autre mesure proposée dans ce même document est la flexibilisation (entendre raccourcissement) de la durée de l’école de recrues et des cours de répétition dans les unités « de soutien ». Là aussi, le flou demeure, même si l’on comprend entre les lignes qu’il s’agit ici essentiellement des bataillons logistiques. Il serait même question d’introduire des jours uniques de service, planifiés ici ou là sur l’année. Ici également, l’armée devra fournir un effort non négligeable par rapport à ses capacités organisationnelles si elle compte effectivement introduire cette possibilité. La mise sur pied du livret de service numérique, par ailleurs fort réussi (à notre sens et selon notre expérience ; il faut aussi dire quand c’est bien) devrait aider l’armée sur cette voie. Il en découlera en outre une plus grande incertitude encore quant au niveau des effectifs, puisque chaque soldat aura, potentiellement, un nombre de jours de service restant à accomplir qui diffèrera de celui de ses camarades. Dans ce domaine, le Conseil fédéral avance rapidement puisqu’un projet de loi englobant ces différents éléments (flexibilisation et numérisation) a été proposé en mars dernier. Elle permettra de déroger à un certain nombre d’articles de la Loi sur l’armée durant cinq ans, permettant ainsi de tester le concept.
Une autre piste que nous promouvons depuis longtemps est l’augmentation du nombre de cadres professionnels dans notre armée, de manière à améliorer le niveau de formation des miliciens, gradés comme hommes du rang. Nous estimons en effet que les 3000 militaires professionnels actuels ne sont de loin pas suffisants pour encadrer une masse de 147 000 hommes. Nos voisins autrichiens, qui peuvent compter sur un effectif d’environ 16 500 nouveaux conscrits annuels, disposent, eux, de 14 600, professionnels, dont 9300 sous-officiers. De même, le ratio entre militaires professionnels et miliciens est sensiblement plus élevé en Norvège, où le service militaire a très bonne presse.
Les sommes libérées par le Parlement pour l’armée, et qu’Armasuisse ne semble pas pouvoir investir rapidement sans aboutir à de nombreux scandales et autres gaspillages, pourraient être utilisées pour recruter des cadres professionnels et contractuels, destinés à former et encadrer les officiers et soldats de milice. Dans l’idéal, il faudrait qu’il y ait en permanence un professionnel ou un contractuel auprès de chaque section. L’idée n’est pas de remplacer les cadres de milice mais de permettre de diminuer la charge administrative qui pèse sur les officiers et sous-officiers issus de la conscription, de diminuer les temps morts et d’améliorer sensiblement l’instruction de la troupe. Cette mesure, si elle est simple sur le papier, rencontrerait toutefois deux défis importants. Le premier est la (très) forte résistance de la droite à l’augmentation des effectifs de fonctionnaires, d’autant plus dans la situation budgétaire actuelle. Pour l’UDC ou le PLR, les moyens alloués à l’armée doivent prioritairement servir à acquérir du matériel et non faire grimper le nombre d’employés de la Confédération. En outre, le marché du travail est aujourd’hui très tendu en Suisse. Il serait peut-être difficile de trouver plusieurs centaines de jeunes personnes motivées à faire de l’armée leur métier. Quoi qu’il en soit, il ne semble pas qu’il y ait quelconques réflexions sur la chose actuellement, malheureusement.
Enfin, un certain nombre de mesures a déjà été évoquées, ici ou ailleurs, comme une augmentation importante de la rétribution des militaires, ou au contraire, des diminutions d’impôts, la reconnaissance de crédits universitaires (ECTS) à la suite de certains cours suivis par les cadres de l’armée et la modernisation du parc immobilier et du matériel de l’armée. La majorité de ces pistes impliquent de gros investissements et un temps de mise en œuvre relativement grand. Le rééquipement de notre armée est (péniblement) en train de s’amorcer tandis que les universités et autres hautes écoles semblent de plus en plus ouvertes à reconnaître les compétences de nos officiers, mais les deux autres mesures ne sont pour l’instant qu’un vœu pieux.
On le voit, plusieurs pistes sont aujourd’hui sur la table afin de rendre le service militaire plus attractif, mais il n’existe pas de baguette magique permettant subitement de rendre l’armée tendance auprès de nos jeunes citoyens. Un travail de refonte important devra être fourni, et rapidement, faute de quoi notre budget quelque peu augmenté ne servira à rien, faute de personnel pour le mettre en œuvre.
Sources :
https://meta-defense.fr/2025/02/05/armee-de-terre-italienne-45000-soldats/
https://www.news.admin.ch/fr/nsb?id=103809
https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/91782.pdf
https://www.zivi.admin.ch/fr/nsb?id=104187
https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/91453.pdf
https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/70491.pdf
https://www.svs-rns.ch/fr/newnsb/o5FlNOBPGl1lq2Y5maCsw
https://www.innovationsraum.vbs.admin.ch/fr/nsb?id=104410
https://www.armee.ch/fr/travailler-pour-armee-suisse
https://www.derstandard.at/story/3000000228606/mehr-frauen-mehr-panzer-das-bundesheer-in-zahlen