
Le 12 juin 2023, le Conseil des États adoptait un postulat de Josef Dittli (PLR/UR) intitulé « Renforcer la coopération avec l’OTAN dans le domaine de la défense, sans adhésion ! ». Suite à cela, le Conseil fédéral devait présenter un rapport envisageant de quelle manière travailler de manière plus approfondie avec l’Alliance atlantique tout en restant dans les clous du droit de la neutralité. Ceci fut chose faite le 31 janvier dernier avec le rapport « Capacité de défense et coopération ». Celui traite deux postulats différents. Nous n’aborderons ici que celui de M. Dittli, étant donné que l’autre reprend passablement d’éléments figurant dans le rapport « Renforcer la capacité de défense », sur lequel nous nous pencherons… un jour.
Pour rappel, la Suisse participe au Partenariat pour la Paix (PPP) depuis 1996. Celui-ci vise à établir les bases d’une coopération entre notre État et l’Alliance, en fixant leurs propres objectifs et priorités, de manière personnalisée pour chaque acteur. C’est notamment dans ce cadre qu’agit la KFOR, le contingent suisse au Kosovo.
Le rapport souligne également en préambule que « la neutralité n’est nullement incompatible avec la coopération internationale ; elle lui fixe toutefois des limites claires : aucune obligation d’assistance ne peut être convenue ; le territoire suisse ne peut pas être mis à la disposition de belligérants ; ces derniers ne peuvent pas être appuyés militairement ; aucune contrainte ni obligations internationales de droit public ne peuvent être convenues qui rendraient impossible le respect des devoirs de la Suisse en tant que pays neutre en cas de guerre sans qu’elle soit elle-même attaquée. »
Enfin, ce document précise que le renforcement de la coopération ne vise pas à remplacer le renforcement même de l’armée, mais à le compléter, notamment dans le domaine de l’instruction. Jusqu’à aujourd’hui, l’instruction effectuée en coopération internationale a surtout concerné le personnel professionnel, civil comme militaire. Des Suisses vont ainsi se former à l’étranger, tandis que la Confédération met sur pied des cours ouverts aux membres de l’OTAN dans le cadre du PPP. Ceux-ci concernent notamment l’instruction alpine, la formation au commandement pour sous-officiers supérieurs, le droit international des conflits armés, la coopération civile-militaire, le déminage humanitaire et l’entraînement à la communication.
De la même manière, de petits groupes de citoyens helvétiques participent annuellement à 5 à 10 exercices organisés par les forces de l’OTAN, notamment pour se former au travail d’état-major. En revanche, il n’existe pas aujourd’hui de grands exercices menés en commun et impliquant des unités complètes. C’est justement ce que l’armée souhaite modifier. Cela impliquerait à chaque fois qu’une demande soit déposée auprès de l’Alliance, et que celle-ci l’accepte. Le problème est qu’aujourd’hui, la législation ne permet pas à la Confédération d’obliger ses conscrits à se rendre en territoire étranger lors des cours de répétition, quel que soit le motif. Une adaptation de la loi serait donc nécessaire. De même, la durée des cours de répétition ne peut excéder trois semaines, or se rendre à l’étranger pourrait nécessiter plus de temps que cela. Il est donc proposé d’avoir une limite plus haute en cas d’instruction en dehors des frontières nationales. Ces différentes adaptations devront se faire dans le cadre de la révision de la loi sur l’armée (LAAM) et de l’ordonnance sur l’organisation de l’armée (OOrgA), d’ici 2026. En revanche, il n’y aurait aucune limitation législative dans le cas où une unité étrangère serait invitée à s’entraîner en Suisse.
Un autre problème soulevé par le rapport est que les exercices organisés par l’Alliance le sont sur relativement court préavis, alors que la Suisse a besoin de plusieurs années pour mettre les siens sur pied. Cela est dû à notre système de milice, qui impose de planifier longtemps à l’avance les engagements de nos citoyens-soldats. Enfin, envoyer une unité entière à l’étranger soulève des défis matériels auxquels notre armée n’est pas forcément habituée, puisque tous ses entraînements et sa chaîne logistique sont taillés pour un engagement sur sol national. Il en découlerait des coûts estimés à une centaine de millions de francs.
Outre l’expérience que les unités de milice pourraient trouver dans ces entraînements à l’étranger, le rapport souligne que les places d’armes étrangères peuvent fournir des espaces et prestations que nous n’avons pas chez nous (notamment au niveau de la surface d’entraînement et du type de terrain rencontré, comme une ville). Aujourd’hui déjà, des exercices sont réalisés à Allentsteig en Basse-Autriche tandis que des militaires étrangers viennent chez nous, notamment à Emmen, pour s’entraîner sur le simulateur d’hélicoptère ou à Thoune.
Même si le but premier de la coopération semble être aux yeux de l’état-major suisse de renforcer l’instruction de la troupe, quelques questions de défense au sens strict sont abordées dans ce rapport, notamment celles liées à l’interopérabilité entre notre armée et celles de l’Alliance. Pour rappel, l’interopérabilité est « la capacité d’agir en commun, à travers des normes, des doctrines, des procédures et des équipements harmonisés. »
Partant du principe que tous nos voisins, même autrichiens, utilisent les normes de l’OTAN, il est donc impossible de vouloir coopérer avec eux sans parler la même langue technique, organisationnelle et matérielle. Pour favoriser cela, le rapport préconise dans un premier temps de mettre en place l’OCC (operational capability concept), programme visant à vérifier, puis certifier le cas échéant, l’interopérabilité des formations militaires qui y sont soumises, mais seulement pour les formations professionnelles comme la police militaire et les Forces aériennes, dans un premier temps. Cela permettra d’évaluer la pertinence de cette mesure.
Il n’y aurait pas besoin de changement juridique pour cela, la Suisse et l’OTAN ayant signé un document non contraignant intitulé Individually Tailored Partnership Programme (ITPP) définissant le cadre dans lequel notre pays et l’alliance atlantique collaborent.
Concernant le matériel, le rapport souligne qu’il est déjà en grande partie standardisé par rapport aux normes de l’OTAN. Logique, puisque nous achetons l’écrasante majorité de celui-ci, si ce n’est l’entier, à des pays occidentaux qui en font partie. De même, les principaux clients de notre petite industrie de défense en sont également membres. Notons que la Suisse participe déjà aux programmes BICES et ASDE qui sont des plateformes informatiques permettant d’échanger des informations respectivement entre états-majors et service de police aérienne. Elle participe également au projet Federated mission networking (FMN) qui vise à intégrer des systèmes de conduite et de communication des forces armées en un seul et même système. Enfin, la Suisse a rejoint récemment l’initiative European sky shield visant à coordonner et harmoniser l’acquisition de systèmes anti-aériens et à échanger des données, coopérer dans les domaines de l’instruction et de la logistique et, en cas de besoin, intégrer un système coordonné dans un but d’engagement.
Enfin, un certain assouplissement concernant les transits militaires par la Suisse sont également proposés, notamment en accordant des autorisations annuelles plutôt que des autorisations individuelles pour ce qui est des survols. Le transit au sol, par exemple pour des militaires devant se rendre à un exercice, devrait quant à lui être réglé par une nouvelle base légale qui n’existe pas actuellement.
On le voit, la Suisse participe déjà dans une certaine mesure aux exercices, acquisitions, communication et programmes de l’alliance. On ne doute pas que des exercices menés en collaboration avec d’autres forces, et notamment celles ayant connu l’expérience du feu, amènerait une plus-value certaine à nos miliciens. En revanche, nous restons méfiants quant à une intégration trop poussée dans l’OTAN, sapant les bases de notre neutralité. Il semblerait que différents échelons militaires et politiques réagissent à court terme, oubliant que l’Alliance n’existera peut-être pas toujours, ni que celle-ci sera toujours bien intentionné à notre égard, notamment pour des questions de géopolitique de l’eau, qui commence à faire gentiment parler d’elle sous nos latitudes, comme la visite de Macron cet automne nous l’a montré.
Sources :
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