La Patrouille suisse devrait dire adieu à ses F-5

F-5 Tiger, @Neo-Falcon Creations

Cela fait maintenant de longues années que le sort de la Patrouille Suisse est en suspens. En effet, lors de la votation sur le Gripen, Ueli Maurer avait déclaré qu’en cas d’acceptation, les F-5 seraient retirés du service en 2016, laissant planer quelques inconnues sur le maintien pur et simple de la patrouille acrobatique. Les avions suédois s’étant vu refuser leur financement en mai 2013, la mise hors service des F-5 avait été repoussée, même si des propositions allant de ce sens revenaient ponctuellement.

La dernière discussion sur le sujet datait de 2022, le Message sur l’Armée demandant la mise hors service de ces appareils. Les deux commissions de politique de sécurité du Parlement s’étaient prononcées contre cette proposition, arguant qu’il fallait attendre que les premiers F-35 rentrent en service avant de retirer les anciens aéronefs des inventaires. Il apparaissait que derrière ces arguments soi-disant opérationnels se cachaient surtout des raisons émotionnelles, les parlementaires bourgeois étant attachés à la patrouille acrobatique équipée de jets. C’est que les missions que devaient assurer les F-5 jusqu’en 2030 n’avaient évidemment rien à voir avec leurs « remplaçants », puisqu’outre les vols de démonstration, ils ne servent pratiquement plus qu’à la formation, prenant alors le rôle de plastron ou d’agresseurs.

Deux ans plus tard, étrangement, les positions semblent avoir évolué, alors même que la composition des chambres et des commissions n’a pas fondamentalement changé depuis. En revanche, les finances fédérales se sont, elles, péjorées et les élus sont donc placés devant leurs responsabilités, quand bien même ce trou dans les finances fédérales était annoncé depuis longtemps déjà…

Ainsi, ces derniers jours, le DDPS a annoncé la suspension du F/A-18 Swiss Hornet Solo Display Team, l’abandon des Swiss Para Wings au 1er janvier 2025, et une diminution de près de moitié des présentations des autres formations de démonstration, PC-7 Team exceptée. Ces annonces avaient sans doute pour objectif de maintenir la pression sur le Parlement qui devait siéger juste après, en montrant que l’armée elle-même faisait des choix difficiles concernant ces formations certes appréciées, mais qui ne se justifient guère en cette période de vache maigre budgétaire et de fortes tensions géopolitiques.

Le 8 novembre déjà, la commission de politique de sécurité du Conseil des États avait estimé à une très courte majorité que les F-5 devaient finalement être mis hors service en 2027, décision entérinée ce lundi par la chambre des cantons par 25 voix contre 19. Comme de coutume, l’UDC Werner Salzmann a défendu bec et ongle le maintien de la Patrouille Suisse dans sa forme actuelle, arguant que les capacités de défense et l’image de l’armée dépendaient fortement de ces antiques appareils à la livrée blanche et rouge, mais il n’a fort heureusement pas été entendu par ses pairs.

Cette décision nous semble tout à fait avisée, mais tardive. En effet, cela fait fort longtemps que le législatif et l’exécutif fédéraux savent que l’armée doit faire face à d’importants investissements du fait du vieillissement de nombreux systèmes au sein de l’armée. Malheureusement, rien ou presque n’a été entrepris pour y faire face avant que la guerre en Ukraine ne remette les questions de sécurité sur le devant de la scène, et même depuis, ce n’est rien de dire que peu de monde semble avoir une vision d’ensemble et à long terme sur le futur de notre défense.

Dans le cadre de ces réflexions, il a semblé que les 44 millions de coûts annuels occasionnés par les F-5 constituaient une dépense trop importante en regard de ce que l’armée en retirait. Si cette somme peut paraître peu importante en regard du budget total de l’armée, rappelons que le Programme d’armement 2024 se monte à… 490 millions de francs. La mise au rebut de nos vieux chasseurs permet donc une augmentation non négligeable des capacités de l’armée à investir.

Tâchons de ne pas oublier que nos miliciens attendent avec beaucoup d’impatience les nouvelles tenues, ou que l’on remplace nos antiques M-113 qui ont trois fois l’âge des conscrits qui les utilisent, pour ne citer que ces exemples criants. Si certains disent que la Patrouille est primordiale pour l’image de l’armée, il serait à notre sens bien plus efficace, à tous points de vue, que nos conscrits rentrent chez eux satisfaits de ce qu’ils font sous les drapeaux. Or ce n’est pas le cas, à cause du matériel vieillissant ou manquant, de l’instruction lacunaire ou encore des trop nombreux programmes informatiques se soldant par des fiascos, faute de ressources humaines suffisantes. Tous ces problèmes ne se règleront évidemment pas sans un apport d’importants moyens financiers.

Rappelons en outre que la Suisse fait partie des très rares nations à disposer de patrouille aérienne équipée d’avions de combat. En effet, toutes les grandes nations européennes volent sur avions d’entraînement. Ainsi, l’on ne pourrait guère reprocher à la Suisse de diminuer la voilure sur ce point, surtout en période de difficultés budgétaires. D’autant plus que les Forces aériennes disposent déjà de la PC-7 Team, qui, bien qu’équipée d’aéronefs moins puissants et impressionnants, fait déjà un excellent travail de représentation. Il semble d’ailleurs qu’elle soit toute désignée pour devenir la nouvelle Patrouille Suisse. Pour ce qui est des autres missions accomplies jusqu’ici par nos F-5, le travail de plastron est censé diminuer avec l’introduction prochaine du F-35. Et si besoin impératif il y a, alors ce ne sont pas les sociétés privées qui manquent pour offrir ce genre de prestation, et à bien moindres frais !

Enfin, il semble qu’il aurait été difficile de justifier des coupes dans un certain nombre de domaines tout en épargnant la Patrouille Suisse, dont les avions doivent de toute manière bien être mis hors service un jour. Il en va évidemment de la cohérence des décisions parfois difficiles prises par le Parlement lors des discussions actuelles sur le budget. Car si nous et nos lecteurs apprécient probablement la Patrouille, ce n’est pas forcément le cas de toute la population et il s’agit aussi de se montrer responsable par rapport à ces citoyens-là.

En définitive, la disparition de la Patrouille suisse telle que nous la connaissons aujourd’hui suscite un sincère pincement au cœur, mais il faut reconnaître qu’il s’agit d’un luxe que nous ne pouvons plus nous payer. Il serait dangereux d’hypothéquer la modernisation de notre armée pour des raisons purement émotionnelles. Bien évidemment, ce n’est pas cet objet à lui seul qui remettra le budget de l’armée sur les rails, mais il constituera un signe que la situation est prise au sérieux, tandis que 44 millions ne sont pas une économie négligeable non plus. Notre pays mérite que des décisions sérieuses et forte soient prises pour sa sécurité.

Sources :

https://www.letemps.ch/suisse/lavenir-patrouille-suisse-menace-apres-2016

https://www.parlament.ch/…/mm-sik-n-2022-07-05.aspx…

https://www.vbs.admin.ch/fr/message-armee-2022

https://www.vbs.admin.ch/fr/nsb?id=103365

https://www.parlament.ch/press-releases/Pages/mm-sik-s-2024-11-08.aspx

https://www.parlament.ch/fr/services/news/Pages/2024/20241202192142061194158159026_bsf143.aspx