Vers le retour des ouvrages minés et des munitions de poche ?

Une boîte de munition de poche GP90 de calibre, 5,6 mm.

En juin de cette année, le conseiller aux États Werner Salzmann (UDC, BE), dont les questions de défense sont la spécialité, a déposé une motion visant à réintroduire la munition de poche auprès de la troupe. Pour rappel, cette pratique consiste à remettre dans des boîtes scellées 50 munitions pour fusil d’assaut et 24 pour pistolet, selon l’arme en possession du militaire. Ces munitions ont pour objectif, grossièrement, de permettre au conscrit de rejoindre sa place d’armes, en cas de mobilisation dans des conditions dégradées. Or, cette pratique a été suspendue en 2007. À l’époque, c’est notamment le manque de menace et la crainte de violences domestiques qui avaient poussé le Conseil fédéral à prendre cette décision.

Si le politicien agrarien a fait cette proposition, c’est notamment parce qu’il estime que la situation sécuritaire s’est dégradée à un point tel qu’elle redevient nécessaire. La Commission de politique de sécurité du Conseil des États, réunie hier, l’a suivi en majorité. La minorité, dans laquelle l’on retrouve les élus de gauche, craint quant à elle une hausse des drames familiaux et des suicides. Le Conseil fédéral s’oppose également à cette mesure. Il indique en effet que la situation géopolitique de la Suisse n’implique pas de remettre en place cette pratique. Il préfère se concentrer sur l’acquisition et le stockage centralisé de munitions.

Nous sommes d’avis que le Conseil fédéral a ici raison. Comme souligné régulièrement par le rédacteur de ces lignes, les moyens de l’armée sont limités, que cela plaise ou non. Ainsi, il convient de prioriser les dépenses là où elles déploieront le plus d’effets pour la sécurité du pays. À l’heure où la défense (anti) aérienne est famélique, les réserves de munitions faibles, la centralisation des flux d’information embryonnaire, etc., il ne semble pas prioritaire de redistribuer des munitions de poche aux militaires.

Il en va de même pour la proposition David Zuberbühler (UDC, AR), qui veut que les ouvrages soient minés à nouveau. Pour mémoire, plusieurs milliers de constructions (ponts, tunnels, routes, pistes d’aviation, etc.) disposaient d’explosifs prêts à être mis à feu depuis les années 1970. L’objectif de cette pratique était, d’un point de vue tactique, de rendre la progression de l’ennemi plus compliquée. D’un point de vue stratégique, il s’agissait de dissuader un potentiel adversaire d’attaquer un ennemi prêt à s’autodétruire le cas échéant. Que resterait-il donc à exploiter dans ces conditions ? Mais, évidemment, cette mesure avait un coût et décision avait été prise dès la fin de la Guerre froide de le démanteler progressivement, chose qui fut finalisée en 2014.

Le gouvernement estime qu’il faudrait une quinzaine d’années pour que tout ce qui mérite d’être miné le soit à nouveau, sans parler du financement de cette stratégie. Il préfère, dans un premier temps, attendre le résultat de la nouvelle conception de la contre-mobilité en cours d’élaboration par l’armée. Celle-ci devrait être disponible à la fin de cette année, mais il apparaît clairement qu’elle impliquera des forces et des moyens mobiles plutôt que des dispositifs fixes.

Il semblerait qu’une partie des politiciens n’a pas d’autres réflexes que de ressortir de vieilles stratégies de la Guerre froide pour répondre aux besoins de l’armée. Mais ce qui était pertinent il y a 35 ans ne l’est plus forcément aujourd’hui et il s’agit d’analyser cas par cas si les solutions d’alors sont toujours efficaces aujourd’hui, le tout dans un cadre budgétaire contraint. Ces Messieurs de Berne renforceraient bien plus la sécurité du pays s’ils se lançaient dans une chasse aux coûts inutiles, comme proposé dernièrement. Ici, il semble qu’il s’agisse surtout de faire des propositions qui seront à coup sûr médiatisées. C’est sans doute bon pour les élections, mais pas forcément pour notre défense.

Sources :

Communiqué de presse de la Commission de politique de sécurité du Conseil des États, 20.11.2025 : https://www.parlament.ch/press-releases/Pages/mm-sik-s-2025-11-20.aspx?lang=1036

Objet 25.3628, motion Salzmann « Remettre des munitions de poche aux militaires pour améliorer la disponibilité de l’armée et la volonté de défendre la Suisse », 17.06.2025 : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20253628

GASCHE, Delphine, « Les soldats suisses pourraient (re)stocker des munitions dans leur cave », in 24 Heures, 20.11.2025 : https://www.24heures.ch/munitions-les-soldats-pourraient-en-stocker-a-domicile-304400881272

Objet 25.3785, interpellation Zuberbühler « Remettre en place des ouvrages minés pour défendre le pays », 19.06.2025 : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20253785

S. A., « Tous les explosifs placés dans les ponts et tunnels ont été retirés », in Swissinfo, 03.01.2015 : https://www.swissinfo.ch/fre/tous-les-explosifs-plac%C3%A9s-dans-les-ponts-et-tunnels-ont-%C3%A9t%C3%A9-retir%C3%A9s/41197816