
Lorsque Viola Amherd a pris ses fonctions au DDPS, elle a déclaré qu’elle voulait que l’armée compte 10% de femmes d’ici 2030. Si les déclarations étaient volontaristes, les mesures concrètes se sont faites attendre. Tant et si bien que seul 1.5% de l’effectif est féminin aujourd’hui. L’objectif énoncé il y a quelques années ne pourra donc vraisemblablement être tenu. Pourtant, les hauts gradés ne font que d’alerter sur de possibles déficits de militaires dès la fin de la décennie. Ce n’est donc pas comme si le besoin n’était pas très concret.
S’il y a un conseiller national qui s’est quelque peu emparé de la question, c’est bien Marcel Dobler (PLR, SG). Ce dernier avait déjà déposé deux textes en mars dernier. Accrochez-vous, c’est un peu technique et pas forcément passionnant.
Le premier visait déjà à augmenter les APG (Assurance pour Perte de Gain, mais uniquement des cadres. L’élu considérait en effet qu’il était anormal qu’un ou une major touche la même allocation qu’une recrue. En effet, celle-ci étant calculée sur le dernier salaire, une personne officiant à la maison ne recevra que le minimum, c’est-à-dire 69 CHF par jour. Or cela a statistiquement plus de chances d’arriver aux hommes qu’aux femmes. En outre, il s’étonnait que les APG augmentent lorsque les aspirants officiers suivent leur formation, puis retombent à leur niveau de base lorsque le grade est obtenu.
Le Conseil fédéral estimait que l’assurance n’avait pas à prendre le statut militaire en compte pour calculer l’allocation, celle-ci devant simplement compenser une perte de gain. Or un homme ou une femme au foyer n’enregistrerait pas de perte de gain lorsqu’il va sous les drapeaux et ne peut donc prétendre qu’au minimum. Enfin, théoriquement. Car les enfants doivent à ce moment-là bien être gardés et la famille ne peut pas forcément s’en occuper. Et chacun sait qu’un baby-sitter n’est guère bon marché. Fort heureusement, la loi prévoit aussi ce cas de figure, avec des allocations complémentaires pour enfant à charge et une autre de prise en charge, permettant d’augmenter le seuil minimal à 185 CHF par jour, ce qui reste relativement peu dans le cas cité précédemment. L’exécutif a poursuivi en expliquant que si l’allocation est plus élevée durant les périodes de formation, c’est pour inciter les miliciens à se perfectionner. Il est donc quelque peu curieux que ce raisonnement ne s’applique que de manière limitée et ciblée, mais passons. Si les cadres continuaient à percevoir le même montant que lorsqu’ils effectuent de l’avancement, cela coûterait environ 9 millions de francs par an et concernerait environ 8000 personnes. Les sept sages estimaient alors que tout cela fonctionnait très bien et qu’il n’y avait pas lieu d’apporter des modifications.
La deuxième interpellation de M. Dobler visait à interroger le système d’APG selon lequel les allocations pour frais de garde ne s’activaient qu’à partir de deux jours de service consécutifs. Cela pose évidemment quelques problèmes logistiques et financiers aux personnes qui souhaitent ou qui souhaiteraient servir. Il existe la possibilité de faire appel au Service social de l’armée mais il faut alors effectuer une démarche administrative supplémentaire et peu de gens connaissent cette possibilité, manifestement.
Le Conseil fédéral a alors estimé que les potentiels frais de garde pour une seule journée étaient supportables et/ou qu’un membre de la famille pouvait s’occuper de la progéniture en cas de besoin. En outre, le traitement de pareille demande entraînerait, toujours selon l’exécutif, des frais disproportionnés. L’on serait tenté de dire qu’être gradé et devoir payer pour effectuer son service est également disproportionné… Il a également argué qu’en 2024, le Service social de l’armée a été contacté près de 400 fois pour ces questions, démontrant que cette prestation était connue. Il a enfin indiqué que seuls 11% des effectifs de l’armée, de la PCi et du service civil percevaient des allocations pour enfant et que moins de 100 personnes avaient demandé une allocation pour frais de garde. Si l’on peut se dire que cette quantité est négligeable, l’on peut aussi se dire que les gens qui ont des familles renoncent tout simplement à servir, ou ne savent pas qu’ils ont droit à des prestations. Difficile d’en juger en l’état.
Même si ces réponses n’ont guère convaincu M. Dobler, celui-ci ne s’est pas pour autant découragé et est revenu à la charge en juin. Au travers d’une motion, texte plus contraignant qu’une interpellation, il a ainsi demandé que les avantages économiques soient, de manière générale, supprimés pour les femmes, qui ont de manière tendancielle des taux d’activité plus bas que les hommes.
D’une manière étonnante, le Conseil fédéral a alors changé son fusil d’épaule et déclaré en août que la loi sur les APG, datant de 1953, commençait à accuser le poids des ans, et n’était donc plus forcément en adéquation avec la réalité de la société actuelle. Il s’est donc montré disposé à étudier une refonte de celle-ci tandis que le Conseil national a accepté la motion en septembre dernier.
Difficile aujourd’hui de savoir ce qu’il en ressortira mais saluons tout de même ici la pugnacité de M. Dobler, qui permettra peut-être au Conseil fédéral de remplir plus facilement les objectifs qu’il s’était lui-même fixés et pour lesquels il n’a guère déployé de mesures concrètes…
Sources :
Objet 25.3286, interpellation Dobler : « Ajuster les montants minimaux de l’allocation pour perte de gain des cadres supérieurs de l’armée suisse, afin d’encourager les femmes à s’engager » : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20253286
Objet 25.32.87, interpellation Dobler : « Pourquoi les frais de garde ne sont-ils pas systématiquement couverts même pour un seul jour de service ? » : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20253287
Objet 25.38.17, motion Dobler : « Supprimer les facteurs dissuadant les femmes de continuer à servir dans l’armée » : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20253817