Les officiers accros au désamour populaire ?

L'assemblée des délégués de la Société Suisse des Officiers au Signal de Bougy (VD) le 08.03.2025, @SSO

En voilà une question étrange et quelque peu outrancière. On se croirait chez Watson. Et pourtant, derrière celle-ci se cache une interrogation réelle et concrète sur la qualité et la pertinence de la communication des différentes sociétés d’officiers du pays. Voyons tout cela.

En mai 2025, l’OG Panzer, la société suisse des officiers des troupes blindées, publiait un papier de position. Celui-ci réclame notamment une augmentation des effectifs à 250 000 militaires, contre 140 000 aujourd’hui, la transformation des trois brigades mécanisées en divisions mécanisées et le renforcement des divisions territoriales, impliquant plus qu’un doublement du personnel de ces différents corps de troupes, l’acquisition de 110 chars de combat supplémentaires, en sus de la modernisation des systèmes actuels et de la remise en service des 71 Leo 87 actuellement mis en réserve, ainsi que l’achat de 330 véhicules blindés de combat d’infanterie comme le CV-90, avec la logistique et la défense antiaérienne à courte et moyenne portée que tout cela suppose. Pour financer ces demandes, l’association ne réclame ni plus ni moins que 13 milliards de francs immédiatement et 80 à 90 milliards à court terme.

Ces derniers jours, c’est le président de l’Association des sociétés militaires suisses, Stefan Holenstein, par ailleurs ancien président de la Société Suisse des Officiers (SSO) ayant tenté un comeback raté, qui a fait entendre sa voix. Il a en effet proposé d’acquérir… une douzaine de F-35 supplémentaires, afin d’amadouer les États-Unis sur la question des droits de douane et de renforcer les Forces aériennes.

…Que dire ? L’on reprendra premièrement le propos de l’actuel président de la SSO, Michele Moore dans l’ASMZ de juillet dernier : « Il est important que les revendications formulées soient non seulement pertinentes sur le plan militaire, mais aussi viables sur le plan politique. » Comprendre : « arrêtez de formuler des exigences qui n’ont aucun effet sinon celui de nous faire passer pour des débiles, merci. ». On exagère forcément un peu, mais il apparaît bien clair que bien peu de monde en Suisse peut prendre ces prétentions au sérieux, en dehors du cercle des officiers, et encore. En outre, s’il s’agit de la stratégie visant à demander beaucoup pour obtenir peu, il faut malgré tout présenter des propositions à tout le moins raisonnables. Ce n’est absolument pas le cas ici, à tel point que l’on frise le ridicule.

Il en va de même pour M. Holenstein. N’a-t-il personne dans son entourage qui vive en dehors de la petite sphère des hauts gradés ? Si c’était le cas, il pourrait et devrait se rendre compte que sa demande ne fait qu’attiser l’opprobre populaire à l’égard des cadres de l’armée et du DDPS. En effet, l’opinion publique semble avoir foncièrement changé au sujet de l’acquisition des F-35, du fait de l’instauration des droits de douane et des surcoûts annoncés dernièrement par Martin Pfister. Dès lors, pareille proposition ne semble rien amener sinon une franche hostilité de la part des citoyens. Avoir le soutien des votants n’est pas inutile dans un pays où ceux-ci peuvent voter sur pratiquement tout et n’importe quoi. L’on s’attendrait à ce qu’un officier supérieur comprenne ce principe stratégique pourtant simple… Mais non, M. Holenstein préfère mettre de l’huile sur le feu avec des suggestions pour le moins provocatrices. Vas-y, continue, champion, assure-toi de cramer les derniers soutiens qu’a encore l’armée…

Dans le contexte actuel, la meilleure stratégie serait encore, selon nous, de faire profil bas dans les médias généralistes, tant l’institution militaire est aujourd’hui synonyme de scandales, de mauvaise gestion et de démissions en cascade. Pendant ces quelques mois, voire années, tant regagner la confiance de la population demandera des efforts, il s’agirait de montrer patte blanche en faisant avancer les autres programmes selon les budgets et calendriers prévus, et de redonner aux conscrits le goût du service militaire, le tout sans faire de vague. Presque un vœu pieux… Dans le même temps, les militaires et les politiciens devront enfin accorder leurs violons afin de permettre au département de se renforcer progressivement et d’éviter que d’autres affaires ne viennent entacher le tout. Il s’agit d’une gageure, là aussi.

En définitive, le tableau est déjà suffisamment sombre sans que les officiers viennent encore aggraver les choses en communiquant de manière polémique sur les questions des acquisitions de matériel et le budget de l’armée, ce qu’ils ne peuvent aujourd’hui pas se permettre. Encore faut-il que quelqu’un le leur fasse remarquer.

Et oui, on sait qu’on fait exactement la même chose, mais Livret de service est quand même « légèrement » moins influent que ces différents organes. Et si ce papier leur permet de réfléchir un peu à ce qu’ils disent dans la sphère publique, ce ne sera pas perdu pour tout le monde.

Sources :

Papier de position 2025 de l’OG Panzer, mai 2025 : https://www.ogpanzer.ch/single-post/positionspapier-og-panzer-2025

Watson, « Pourquoi cet influent officier suisse veut acheter 12 F-35 de plus », 12.08.2025 : https://www.watson.ch/fr/suisse/armee/948985073-f-35-pourquoi-cet-officier-suisse-veut-en-acheter-davantage

MOORE, Michele, «Zum Positionspapier der OG Panzer», In ASMZ, N°7, 2025, p. 9.