Le service militaire sera-t-il étendu aux femmes ?

Soldate incorporée dans les troupes blindées, @DDPS (https://www.armee.ch/fr/recrutement-femmes-dans-larmee)

En mars dernier, le Conseil fédéral a pris connaissance de la deuxième partie du rapport sur l’alimentation en effectifs de l’Armée. Rappelons-nous, la première partie de ce document avait été publiée en juin dernier, exactement à la même date que… le choix du nouvel avion de combat. On aurait été rédacteur, on aurait été un peu vexé sans doute, mais passons. Visiblement ce rapport semble maudit, puisque la seconde partie a été publié 10 jours après le début de l’invasion de l’Ukraine, qui lui a également volé la vedette médiatique. Une initiative « pour un service citoyen » ayant été lancée aujourd’hui, il semblait malgré tout opportun de parler de ce document, qui reprend d’ailleurs une des propositions des initiants.

Pour rappel, la première partie de ce rapport, qui fait d’ailleurs l’objet d’un article dans la RMS de ce mois, dressait un état des lieux, constatant qu’il manquait environ 4800 conscrits par classe d’âge pour garantir les effectifs de l’Armée (de 100 000 hommes « réglementaires », avec un effectif réel d’environ 140 000 incorporés en réalité). Pour enrayer ce déficit, un certain nombre de mesures avaient été prises, notamment une meilleure communication, la possibilité pour les conscrits ayant des restrictions médicales d’être tout de même incorporés dans l’Armée, le programme « Progress » voulant introduire une augmentation progressive de la charge physique lors de l’école de recrues, une meilleure compatibilité de l’instruction de base et des cours de répétition avec la vie privée, des avantages valables dans les hautes écoles obtenus lors du service militaire et une meilleure utilisation du potentiel des femmes dans l’Armée. Ces différentes mesures avaient, pour certaines, donné des résultats encourageants, bien que partiels.

Malgré tout, la première partie du rapport et ces différentes mesures ne répondaient pas à la question de fond : faut-il revoir le modèle de l’obligation de servir ? C’est donc bien dans cette optique que cette deuxième partie, plus volumineuse, a été rédigée. Elle propose ainsi plusieurs variantes, qui se basent toutes sur « le système de milice, ainsi que sur des effectifs et sur une obligation de servir de dix ans et 245 jours de service qui restent les mêmes ». À noter que nous ne parlerons ici que de l’Armée, bien que le rapport se penche également sur la Protection civile. Voici brièvement les différentes options.

  1. Option « obligation de servir dans la sécurité ».

Elle prévoit la fusion du service civil et de la protection civile pour former une protection contre les catastrophes assumant les tâches actuelles de ces deux organisations. L’obligation de servir est accomplie soit dans l’Armée, soit dans la protection contre les catastrophes, et les jours de service sont tous réellement effectués. Lors de l’attribution des personnes astreintes au service, l’Armée a la priorité afin de pouvoir assurer ses effectifs. Il en découlerait un contingent annuel de 28 000 conscrits, soit plus ou moins le même qu’aujourd’hui. La nouvelle organisation de protection contre les catastrophes reprendrait certaines prérogatives aujourd’hui données à l’Armée. Il s’agit de la variante la plus conservatrice, option 5 exceptée. Elle n’a donc que peu d’incidences financières.

  • Option « obligation de servir axée sur les besoins »

Inspirée du « modèle norvégien », elle implique une extension de l’obligation de servir aux femmes. Seules les personnes véritablement nécessaires à l’alimentation des effectifs sont recrutées. L’aptitude de chaque individu est déterminante pour un service la protection civile ou l’Armée. Elle permettrait à cette dernière de disposer de 70 000 conscrits potentiels par année, soit le double d’aujourd’hui. Considérant que 80% des conscrits sont aptes, cela donne environ 56 000 personnes effectuant effectivement le service annuellement. Les effectifs de l’Armée et de la PCi n’ayant pas besoin d’autant de personnes, il est possible de sélectionner les meilleurs éléments. Celles qui n’effectueraient pas de service pourraient être soumises à une taxe. Le rapport parle également d’incitations positives, où ceux qui sont sélectionnés pour effectuer le service reçoivent des gratifications financières, des crédits de formation, des déductions d’impôts, etc. Les coûts de cette variante sont difficilement estimables, mais porteraient sur l’adaptation des infrastructures à l’incorporation des femmes, l’augmentation des travaux de sélection lors du recrutement, les coûts liés à une éventuelle gratification/perte fiscale pour la Confédération. En revanche, plus de personnes étant assujetties à la taxe d’exemption, il en résulterait une augmentation des recettes, entre 170 et 870 millions de francs selon les modèles choisis. Cette option nécessiterait de larges mesures d’explication car il s’agirait d’un nouveau paradigme de l’obligation de servir dans notre pays.

  • Option « obligation d’un service citoyen sans libre choix ».

Elle prévoit aussi une extension de l’obligation de servir aux femmes. À l’inverse de l’option 2, tous les citoyens et citoyennes suisses aptes sur les plans psychique et physique effectuent du service. Lors de l’attribution, l’Armée a la priorité afin de pouvoir assurer les effectifs nécessaires. L’éventail des tâches de cette option regroupe les tâches de l’Armée, la protection civile et le service civil, et donc également des domaines tels que la santé et l’assistance, la nature et l’environnement. Ce système permettrait de disposer du même nombre de conscrit que l’option 2, soit 56 000 « astreint réels » par année. Les effectifs des différents services ne changeraient pas, mais il y aurait, sur 10 ans, 310 000 personnes effectuant un service citoyen. Cette option impliquerait un doublement des coûts de l’APG, de 760 millions à 1.6 milliards de francs. De plus, les coûts administratifs de l’obligation de servir passeraient de 200 millions de francs annuels à 800, et cela sans compter les pertes liées à l’absence relativement massive d’employés sur leur lieu de travail (environ 33 000 emplois temps plein, soit 2.8 milliards de francs). En revanche, la taxe d’exemption de servir, rapportant 174 millions de francs, verrait ses revenus doubler. C’est elle qui fait l’objet d’une initiative populaire « pour un service citoyen », qui sera débattue dans les prochaines années.

  • Option « obligation d’un service citoyen avec libre choix du type de service ».

Elle est similaire à l’option 4, mais les citoyens peuvent choisir eux-mêmes le type de service qu’ils veulent effectuer, ce qui représente un réel danger pour l’alimentation de l’Armée et de la PCi, et donc, la sécurité du pays. Elle n’est donc pas considérée sérieusement. En revanche, il faut noter qu’elle a suscité le plus d’adhésion de la part des jeunes générations dans le cadre d’une enquête d’opinion réalisée en parallèle à cette étude. Notons toutefois que ladite étude a été réalisée avant la guerre en Ukraine, qui semble avoir redonné passablement de son sens au service militaire pour les jeunes.

  • Option « statu quo plus ».

Cette dernière option prévoit simplement d’obliger les femmes à participer à la journée d’information. Cette adaptation peut être incluse dans l’option 1. Cette proposition, même si elle ne donne aucune garantie quant au nombre de recrues féminines qu’elle permettrait de motiver, semble bienvenue. Le rapport indique que si 10% des femmes participant à la journée d’information effectuent le service militaire, l’Armée pourrait compter sur 2400 recrues supplémentaires annuelles, et très motivées qui plus est ! En outre, d’autres études semblent montrer que les équipes mixtes ont de meilleurs résultats que des équipes constituées uniquement de personnes du même sexe. Il ne s’agit donc pas uniquement d’une amélioration quantitative pour l’Armée, mais également qualitative.

Les trois premières options permettraient de garantir les effectifs de l’Armée, tandis que les options 4 et 5 ne garantissent pas cela. L’option 1 et 2 garantissent quant à elles des effectifs au plus près des besoins, mais aussi des compétences des conscrits. Le rapport part également du principe que, le nombre de conscrits étant plus important, sans que les effectifs n’augmentent, il sera plus facile de mettre ceux-ci à l’endroit qu’ils désireront, et qui sera mieux adapté à leurs compétences. Il devrait en découler une diminution des départs pour le service civil lors de l’école de recrues et après celle-ci.

Toutes les options présentées, même celle du « statu quo plus » nécessitent une révision de la constitution, et donc une votation populaire. Cela implique également un long délai entre la décision par le Conseil fédéral et son éventuelle application via les lois et autres ordonnances. Dans tous les cas, une extension de l’obligation de servir sera difficile à faire accepter dans les urnes, même dans le contexte sécuritaire actuel, qui ne durera d’ailleurs pas forcément. Une majorité de femmes ne se voit pas imposer cette nouvelle tâche alors qu’il reste tant à faire dans le domaine de l’égalité des sexes dans le reste de la société. Ajoutez à cela les opposants par principe à l’Armée et vous obtiendrez certainement une majorité confortable.

D’autres variantes ont également été étudiées, comme une complication de l’accès au service civil, en augmentant par exemple sa durée ou en réintroduisant l’examen de conscience. Une précédente proposition du même tonneau ayant été enterrée au Parlement en 2020, elle ne semble toutefois pas réaliste, politiquement parlant. Un autre outil serait de prolonger la durée de l’obligation de servir, seulement il « chargerait » plus encore ceux qui l’accomplissent. Il aurait également été possible de réduire l’effectif réel de l’Armée de 20 000 militaires, pour descendre à 120 000, et l’effectif réglementaire à 85 000 hommes, contre 100 000 actuellement, mais cela aurait réduit les capacités de l’Armée. Dans le contexte actuel, cela semble inenvisageable.

Le Conseil fédéral penche pour les deux premières options et a demandé de poursuivre les travaux sur celles-ci. Les résultats de ces recherches et réflexions doivent être disponibles d’ici à fin 2024. L’on peut toutefois regretter qu’il ne veuille pas déjà introduire la journée d’information pour les femmes. Celle-ci serait, il nous semble, facilement acceptée en votation, surtout aujourd’hui, et permettrait d’alimenter « rapidement » l’Armée en recrues supplémentaires. Même si cette démarche supposerait deux votations, une réforme plus profonde du système en nécessitant également une, cela aurait au moins l’avantage de permettre une avancée progressive sur ce dossier. Car à mettre éventuellement deux choses dans le même paquet, l’on risque de perdre le tout !

Sources :

https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/67496.pdf

https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/70491.pdf

REYMOND, Olivier « Les 12 travaux du DDPS pour garantir les effectifs de l’Armée », in Revue Militaire Suisse, 1/2022, Pully, pp. 26-29.

https://www.24heures.ch/une-initiative-veut-un-service-citoyen-pour-toutes-et-tous-173098272599