Le Programme d’Armement nouveau est là, et il est décevant

Vous l’attendiez, il est là : le Message sur l’armée 2023. Le rituel est maintenant bien rôdé : le chef de l’armée et la Conseillère fédérale viennent annoncer chaque début d’années quelles seront les acquisitions demandées au Parlement lors de la dernière session annuelle.

Nous aussi, nous rôdons notre rituel et allons donc procéder comme l’année dernière : en plusieurs partie, de manière à vous présenter chaque volet du message sur l’Armée en détails. Pour ce premier volet, le Programme d’Armement (PA) sera à l’honneur. Ensuite, nous nous pencherons sur le Programme Immobilier (PI), puis sur les Acquisitions de Matériel (AM).

Ainsi, quels matériels le Conseil fédéral souhaite-t-il acquérir cette année ? En premier lieu, une nouvelle tranche de 24 chars de grenadiers à roue dédiés aux formations de sapeur de char. Il s’agit concrètement de véhicules Piranhas IV disposant de matériel du génie, comme des lames ou des bras articulés. Ceux-ci seront en outre équipés de drones pouvant être lancés depuis l’habitacle. Une première acquisition de 60 exemplaires avait été acceptée en 2021, mais ne permettait pas d’équiper l’entier des formations, et notamment… les chefs de section. Cet achat permettra donc de combler cette lacune.

Pour ce faire, il faudra compter 217 millions de francs, soit 9 millions par véhicules, mais aussi… 3 millions de plus que pour la première tranche ! Si celle-ci ne disposait pas de drones, cela n’explique pas cette différence colossale. En outre, Armasuisse estime que, contrairement à ce qui avait été calculé en 2021, les coûts d’exploitation seront 20% plus élevés, puisque manifestement on découvre ce véhicule au DDPS. Le prix de 2021 était pourtant déjà passablement élevé, surtout comparé aux acquisitions de Piranhas V par le Danemark et la Roumanie (environ 3 millions l’unité) mais l’on atteint ici des sommets, puisque l’on n’est pas si éloigné du coût d’un VBCI comme le CV-90, vendu pour environ 11 millions d’euros la pièce à la Slovaquie. Et cela sans compter que la pertinence d’un engin à roues est loin d’être fermement établie, au contraire de ce que prétend le Conseil fédéral. En effet, les engins chenillés, comme l’est le M-113 qui doit être remplacé par cette acquisition, peuvent manœuvrer sur de bien plus petites aires, sans compter leurs importantes capacités tout terrain et l’adhérence plus importante dont ils disposent, utile lorsque l’on doit utiliser une lame.

À vrai dire, l’on s’interroge dans les formations blindées de la manière dont ce véhicule, qui devrait entrer en service en 2025, pourra effectivement être utilisé pour la mission qui lui est théoriquement dévolue. L’on peut donc se demander si le parti pris du « tout roue » (voire du tout Mowag) manifestement établi chez Armasuisse ne va pas affaiblir les capacités de nos brigades mécanisées. Il faut avouer que le CV-90, déjà en service sous nos latitudes, ne disposait pas de versions du génie lorsque les évaluations ont été faites. Malgré tout, il aurait tout à fait possible de commander un tel développement, RUAG ayant l’expérience pour ce faire, puisqu’elle avait effectué un travail similaire avec les chars Leopard II pour en faire une version du génie, appelée Kodiak, et ce sur demande de la Confédération. Une occasion manquée ?

Un autre volet de ce PA est la rénovation d’ancienne munition de mortier de 120 mm qui serviront au Mortier 16, acquis en 2016 (32 exemplaires) et 2022 (12 exemplaires) pour des montants prohibitifs également (14.5 millions de francs la pièce, soit plus cher qu’un obusier blindé) et… aussi monté sur châssis de Piranha IV. Il s’agira donc notamment de contrôler ces munitions qui ne sont pas toute première jeunesse et de remplacer les détonateurs, le tout pour 49 millions de francs.

Le troisième volet de ce programme d’armement est de procéder à l’acquisition de missiles PAC-3 MSE (Missile Segment Enhancement) pour le système anti-aérien Patriot, plus tôt que prévu. En effet, la légère augmentation du budget de l’armée et les enseignements de la guerre en Ukraine impliquent un investissement plus rapide et soutenu dans les solutions permettant de traiter les menaces à courte portée. Ces nouvelles munitions seront mises en œuvre par les unités de feu déjà commandées. L’augmentation du nombre de celles-ci n’est pour l’instant pas envisageable. Il est prévu que ces missiles soient opérationnels en même temps que le Patriot lui-même, soit en 2031. Il en coûtera 300 millions au DDPS.

Les deux derniers éléments de ce projet concernent des crédits supplémentaires liés à des programmes ayant pris du retard et coûté plus cher qu’initialement escompté, en l’occurrence le système de surveillance de l’espace aérien et de conduite des opérations aériennes Florako. En effet, une modernisation de ce système en service depuis 2004 avait été acceptée en 2020 pour 155 millions de francs. Il est apparu, comme envisagé d’ailleurs il y a trois ans, que les besoins en chiffrement et en réseaux sont plus élevés qu’initialement prévus, entraînant donc surcoûts et ajournement. Pour y remédier, le DDPS propose donc des investissements supplémentaires dans divers composants électroniques (61 millions de francs) ainsi qu’un développement des centres de calcul du département selon les besoins dorénavant établis (98 millions de francs).

Il apparaît donc que ce Programme d’Armement ne permet donc pas forcément de singulièrement combler les lacunes de notre armée. Pire encore, les maigres budgets supplémentaires accordés à l’armée ne servent manifestement qu’à compenser les surcoûts de programmes qui n’étaient dès le départ pas bien emmanchés. Ces différentes acquisitions sont peut-être encore une fois la démonstration que si le DDPS doit obtenir de nouveaux crédits, ceux-ci doivent en priorité être employés pour engager des spécialistes qui permettront à ces programmes, et notamment leur volet informatique, d’être menés de manière efficiente. En l’état, débuter de nouvelles acquisitions ne conduiraient certainement qu’à de nouveaux surcoûts et scandales, entamant de ce fait la confiance de la population dans son armée.