
Le Message sur l’armée 2025 vient d’être accepté par le Conseil des États, après que le Conseil national a fait de même lors de la session de juin. Pour rappel, il s’agit d’un gros morceau, qui comprend des investissements pour un montant de 1.67 milliards de francs. Sans revenir en détail sur les différents objets concernés, rappelons simplement qu’il est question d’acquérir de nouveaux systèmes d’artillerie AGM monté sur Piranha IV 10×10 HMC, des radars passifs pour la surveillance aérienne ainsi que des mini drones d’observation, de rénover (très) partiellement la flotte de Leo 87 WE et des différentes versions en service chez nous (génie, dépannage, poseur de pont), et de continuer la mise à niveau informatique et numérique de l’armée. Le reste du financement (185 millions) est dédié au Programme immobilier, qui n’a d’ailleurs guère suscité de discussions.
Avant de revenir sur les débats, il semble curieux que les mesures visant à garantir l’utilisation de la flotte de chars d’assaut figurent dans le Programme d’armement, puisqu’il ne s’agit ici en réalité pratiquement que de maintenance. La situation était quelque peu similaire lors du maintien de la valeur des CV-90, votée en 2020 pour 438 millions de francs. En ce qui concerne les Leo 87. Il s’agira de réviser les boîtes de vitesse de 80 moteurs et de remplacer des pièces usées. Les calculateurs de conduite du tir seront remplacés et des « modifications techniques au système d’armement des chars » seront effectuées afin de « pouvoir tirer de nouvelles munitions polyvalente ». Rien de bien folichon pour 255 millions de francs. Une bonne partie de ces mesures devrait figurer dans d’autres budgets que ceux destinés aux investissements, même si ce sont de coûteuses mesures. Est-là le signe que l’entretien du parc de véhicules de l’armée devient tellement onéreux qu’il en vient à empiéter sur la capacité d’investissement du DDPS ? Cela n’a dans tous les cas pas suscité d’interrogation en plénum.
Le Conseil national a débattu de la chose le 5 juin et le Conseil des États le 17 septembre dernier. Comme à leur habitude, les Verts ont tout simplement demandé de ne pas rentrer en matière sur la question, tandis que le reste de la gauche a souhaité que le Conseil fédéral propose un Programme d’armement « adapté aux menaces. Celui-ci ne doit pas se baser sur le scénario improbable d’une guerre conventionnelle terrestre, mais sur les défis réels en matière de politique de sécurité, à savoir les menaces hybrides, les cyberrisques et les dangers terroristes ». En bref, pour la gauche, rien ne semble s’être passé sur le continent européen depuis 2022. Bien évidemment, l’on peut et doit critiquer le DDPS pour sa gestion de nombreux dossiers, mais cela ne doit pas signifier occulter la situation géopolitique actuelle du continent, ni la réalité des opérations en Ukraine ou dans le Haut-Karabagh, par exemple. Le pays n’est certes pas directement menacé mais une partie du Parlement semble, bien opportunément, oublier que nous n’achetons pas des équipements pour les prochains mois, mais pour les décennies à venir. Difficile de dire quelle sera la situation de la Suisse à pareille échéance. Une part significative du débat, stérile, s’est malgré tout cristallisée sur ces questions.
Le reste du Parlement s’est quant à lui écharpé sur plusieurs propositions, dont la motion déposée la veille du débat au Conseil national par Beat Flach (PVL, AG), sur laquelle nous reviendrons. Celle-ci visait à investir 500 millions de francs dans divers domaines tels que l’aide à la conduite et la mise en réseau, les capacités antiaériennes à courte portée, les capacités logistiques et la mobilité protégée au sol. Sans entrer dans les détails, soulignons que cette proposition va dans le bon sens mais qu’elle est malgré tout relativement tiède en regards des besoins de l’armée et du coût des nouveaux systèmes. Elle a quoi qu’il en soit été rejetée par 155 voix contre 35 et 3 abstentions, notamment parce qu’elle avait été déposée trop tard pour être analysée par la commission compétente, ou car elle n’entrait pas dans le cadre budgétaire mais aussi parce qu’un dépôt aussi tardif laisse penser que la motion n’est tout simplement pas très sérieuse ni étayée.
Les commissions de politique de sécurité des deux chambres avaient quant à elles proposé d’acquérir des munitions pour un milliard de francs supplémentaire, notamment pour les systèmes antiaériens et l’artillerie, afin de repourvoir des stocks au plus bas et s’assurer des créneaux de livraison, les délais s’étant considérablement rallongés depuis le début de la guerre en Ukraine, du fait d’une demande en forte augmentation. Les deux chambres du Parlement n’ont pas souhaité suivre leurs commissions de politique de sécurité respectives, notamment pour des raisons financières. Le législatif fédéral a décidé que l’armée aurait à sa disposition annuellement l’équivalent de 1% du PIB d’ici 2032 et ne souhaite pas accélérer les choses, les finances de Berne étant devenues moins bonnes depuis la pandémie de Covid, tandis que les chargent continuent d’augmenter, au risque d’enfreindre le sacro-saint frein à l’endettement.
Comme les élus à la base de cette proposition l’ont souligné, à quoi peuvent servir nos systèmes s’ils ne disposent pas de munitions en suffisance ? Si d’aventure les pays d’Europe devaient connaître des incursions aériennes soutenues, la Suisse ne pourrait certainement y faire face que durant quelques jours, au mieux, et cela uniquement lorsque les systèmes IRIS-T et Patriot nous auront été livrés, c’est-à-dire dans des années. La fabrication, le transfert puis l’instruction de la troupe signifient déjà que nous n’aurons des capacités aériennes fonctionnelles qu’au début des années 2030. Est-il raisonnable de repousser à plus tard encore leur capacité à opérer sur la durée ? En outre, l’armée se trouve aujourd’hui dans une situation paradoxale : elle coûte des milliards par année, ce qui n’est évidemment pas négligeable, mais quand même trop peu pour être efficace et crédible. À ce rythme de sénateur (c’est le cas de le dire) de montée en puissance, le constat ne risque pas de changer avant longtemps. Dans le même temps, notre voisin allemand prévoit de passer des commandes militaires pour 83 milliards d’euros sur les 12 prochains mois!
En outre, à l’aube de taux d’intérêt qui risquent de redevenir négatifs, le Parlement devrait réfléchir à deux fois quant au caractère intangible, voire sacré du frein à l’endettement. De manière un peu provoquante, l’on pourrait se demander à quoi nous serviront nos finances saines en cas de crise. D’ailleurs, l’objectif du frein à l’endettement n’était-il pas justement d’épargner pendant les périodes de bonne conjoncture et de calme afin de pouvoir dépenser lorsque la situation le nécessite ? À voir l’empressent qu’ont nos voisins à doubler leurs budgets militaires, il semblerait que ce moment est arrivé. Mais la Suisse est apparemment toujours une île, à l’écart des dangers et des défis industriels posés à l’Europe. Dont acte. La situation de la fin des années 1930 risque ainsi de se reproduire, avec des finances disponibles, mais un délai trop court pour les « convertir » en armement.
Certains, à gauche comme à droite, ont argué que le DDPS avait déjà suffisamment de problèmes à gérer les programmes existants et qu’il devait faire de l’ordre dans ceux-ci. S’il n’est rien de dire que les projets, surtout les plus complexes, ont posé passablement de défis au département, cela ne doit toutefois pas empêcher d’en lancer de nouveaux, surtout s’ils sont techniquement simples. En effet, changer une part non négligeable de notre système informatique est extrêmement complexe. En revanche, acheter des munitions sur étagère ne l’est pas. Et si la droite du Parlement désire réellement que le DDPS puisse gérer ses nombreux programmes au mieux, elle doit lui fournir les moyens pour ce faire. Cela permettrait d’engager du personnel qui manque, comme le répète année après année le rapport sur les projets. Mais, apparemment, la meilleure manière de régler les problèmes et de faire comme si de rien n’était et de poursuivre comme auparavant. Vous avez parlé d’autruche ?
Enfin, le débat s’est également focalisé sur la proposition du Conseil fédéral de mettre au rebut les avions de combat F-5 afin d’économiser 44 millions de francs par an. Cette fois-ci, c’est une partie de la droite qui a freiné des quatre fers, arguant que cet appareil pourrait encore être utilisé pour l’entraînement, voire lors d’opération de combat, faisant fi des capacités de plus en plus limitées de cet appareil. Il apparaît clairement dans les propos des uns et des autres que c’est l’avenir de la Patrouille suisse qui suscitait ces réticences, comme s’il n’y avait pas plus important à faire actuellement que de la représentation. Fort heureusement, la majorité a suivi le Conseil fédéral et ces avions pourront enfin prendre une retraite bien méritée et libérer des crédits indispensables à la modernisation de notre armée.
En définitive, le Message sur l’armée a été approuvé, et c’est une excellente chose, mais la pauvreté des débats et le manque de prise de conscience des autorités fédérales quant à la situation de notre outil de défense ne laissent pas entrevoir une amélioration rapide et sensible des choses. Voir qu’il y a des problèmes, c’est déjà faire un grand pas vers leur résolution. L’Assemblée fédérale en est-elle seulement capable ?
Sources :
Communiqué de presse de la Commission de politique de sécurité du Conseil national du 08.04.2025 : https://www.parlament.ch/press-releases/Pages/mm-sik-n-2025-04-08.aspx?lang=1036
Communiqué de presse de la Commission de politique de sécurité du Conseil des États du 04.07.2025 : https://www.parlament.ch/press-releases/Pages/mm-sik-s-2025-07-04.aspx?lang=1036
Message sur l’armée 2020 : https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/2020/569/fr
Message sur l’armée 2025 : https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/2025/888/fr
Débat sur le Message sur l’armée au Conseil national du 05.06.2025 : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=68017
Débat sur le Message sur l’armée au Conseil des États du 17.09.2025 : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=69089
WOLF, Fabrice, « La Bundeswehr va passer 83 Md€ de commandes d’équipement dans les 12 mois à venir » in Meta-défense, le 23.09.2025: https://meta-defense.fr/2025/09/23/bundeswehr-83-mde-commandes-12-mois/