
Tout comme le programme F-35, l’acquisition du drone Hermes 900, alias Aufklärungsdrohnensystem 15 (ADS 15) en Suisse, n’en finit plus de faire parler de lui, et pas de la meilleure des manières.
Pour rappel, cet aéronef non piloté a été commandé à l’israélien Elbit Systems au travers du Programme d’armement 2015, au nombre de 6 exemplaires pour 298 millions de francs. Il avait alors pour objectif de remplacer les ADS 95 vieillissants dès 2019 avec des capacités d’emport, d’autonomie et d’imagerie bien supérieures à ses prédécesseurs. Il n’était en revanche pas prévu de l’armer. La question était éthiquement (et curieusement) sensible à l’époque. Pas qu’en Suisse d’ailleurs, la France ayant également renoncé à armer ses drones américains Reaper, au grand dam de ses militaires. Force est de constater que ce curieux dogme a totalement disparu des radars, l’on se demande bien pourquoi… Quoi qu’il en soit, lorsque le Hermes 900 est proposé à la Suisse, il vient d’entrer en service et intéresse, outre Tel-Aviv, bien d’autres gouvernements.
Mais les ennuis débutèrent bien vite. En cause ? Les demandes de la Confédération. En effet, plutôt que d’acheter sur étagère, c’est-à-dire sans modification vis-à-vis de la version proposée par l’industriel, Armasuisse a notamment demandé qu’un moteur différent de celui d’origine soit monté, afin de faire face aux éventuelles pénuries en cas de guerre. L’on pourrait y voir une grande prudence de la part de nos militaires, mais cela a conduit à une complexification du programme, changer la motorisation d’un aéronef n’étant pas une mince affaire. Et puis, Armasuisse a, semble-t-il, prévu les pénuries de carburant, mais pas qu’il peut faire froid en Suisse et n’a donc pas commandé tout de suite de système antigivre… Soupire.
Un des autres gros points noirs est le système d’évitement automatique (Detect and Avoid) qui doit (encore) être développé par RUAG puis intégré nativement au drone. Le problème est qu’il n’existe actuellement aucun système de ce genre dans le monde. Si RUAG était parvenu à le développer dans les temps, la Suisse aurait été précurseur, et aurait pu commercialiser largement son produit. Mais cela suppose que RUAG soit une entreprise fonctionnant à satisfaction, ce qui, nous ne le savons désormais que trop bien, n’est pas le cas.
Ainsi, entre retards de développement, crash d’appareil suisse en Israël, pandémie de covid et autre guerre dans la bande de Gaza, l’entrée en service de l’ADS 15 n’a fait que d’être repoussée, devant une sorte de running gag (mais pas très drôle) du DDPS. Tant et si bien que le nouveau Conseiller fédéral, Martin Pfister, a dû prendre des décisions, notamment suite à l’énième rapport du Contrôle fédéral des finances (CDF) publié en tout début d’année. Trois variantes étaient proposées : tirer purement et simplement la prise, continuer comme si de rien n’était en croisant les doigts et serrant les fesses et, enfin, accepter le drone « en l’état » en renonçant à des fonctionnalités.
C’est cette dernière variante qui a été annoncée au début du mois. Exit le système d’évitement automatique, de dégivrage et de décollage et d’atterrissage indépendant du GPS, mais au moins, l’ADS 15 pourra voler rapidement. Enfin, un peu. Sans ces équipements, le drone ne peut pas voler quand il gèle, ni quand il y a du brouillard, ni, de jour, seul jusqu’à 3000 mètres en plaine et 4000 mètres au-dessus des Alpes. Voilà qui limite quelque peu l’intérêt de la bête. Mais le DDPS n’avait guère le choix : 288 millions avaient déjà été dépensés pour ce projet à la fin de l’année 2024. Il ne restait donc plus guère de marge de manœuvre financière, tandis que l’unité en charge des drones commençait certainement à s’ennuyer ferme.

Le département a tenté de se montrer rassurant avec un exemple concret le 11 septembre déjà (même s’il n’y a pas de quoi être rassuré dans le domaine des aéronefs ce jour-là, mais passons) en annonçant que l’ADS 15 avait servi à la conduite de tirs d’artillerie à Bière, alors que l’officier de conduite de tir se trouvait à Emmen. Si cette nouvelle est positive, elle ne parvient pas à masquer le retard massif qu’a connu ce programme, les attentes non remplies et les défis qui subsistent, puisque l’autorité militaire chargée d’homologuer les avions de l’armée n’a pas donné son feu vert pour tous les drones, ceux-ci ayant, forcément, été passablement bidouillés par le fabricant pour essayer de répondre aux exigences helvètes. Le DDPS estime d’ailleurs que 4 des 6 drones ne pourront jamais être homologués… Pointe de réconfort, Elbit Systems fournira un drone supplémentaire afin que la Suisse en dispose tout de même de 3 exemplaires utilisables sans restriction.

Il est très intéressant de lire qu’au même moment, en France, l’Armée de terre songe apparemment à tirer la prise du programme Patroller. Sélectionné en 2016 pour 330 millions d’euros, ce drone MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) a lui aussi connu passablement de problèmes de mise au point. Mais, contrairement à la Suisse, Paris aurait décidé d’arrêter les frais ici. Pourquoi cette différence de traitement, pour deux dossiers au calendrier au financement semblables ? La première raison est que 300 millions de francs représentent une fortune pour le DDPS, quand les armées françaises ont mis plus de 16 milliards d’euros sur la table pour payer leurs commandes de matériel en 2024.
Ensuite, nos voisins disposent de plus de moyens de reconnaissance, permettant de compenser, au moins partiellement, les défaillances de l’un avec les autres. Enfin, il semble que les esprits soient un petit peu plus agiles de l’autre côté de la frontière, les militaires de l’hexagone s’étant rendus compte que ce genre d’aéronef n’avait guère de chance de survie au-dessus du champ de bataille, comme l’ont montré les drones Bayraktar TB-2 mis en œuvre par Kiev. Efficaces au début du conflit, lorsque la Russie n’avait pas encore déployé de significatifs moyens antiaériens, leur taux d’attrition a rapidement augmenté. Retiré des premières lignes, ils ont refait récemment parler d’eux… au-dessus de la mer Noire.
Cette malheureuse affaire n’a semble-t-il pas fini de faire parler d’elle, mais le plus dur est, nous l’espérons, derrière nous. Elle aura permis de démontrer, si besoin était, la lenteur de nos processus d’acquisition, et l’amateurisme avec lequel ils ont été gérés jusqu’ici. Martin Pfister semble toutefois l’avoir compris, en nommant à des postes clés des cadres issus du CDF, ceux-là même qui tirent à boulets rouges sur de nombreux projets menés par Armasuisse ces dernières années.
Sources :
Communiqué de presse du DDPS du 04.09.2025 : https://www.vbs.admin.ch/fr/newnsb/5sFRNbR3podxPU2egF6ja
Communiqué de presse du DDPS du 11.09.2025 : https://www.vbs.admin.ch/fr/newnsb/Z40vFtiC6jwFgGl6wDzIs
Rapport sur les projets du DDPS – Projet ADS 15 – Drones de reconnaissance : https://www.vbs.admin.ch/fr/projet-ads15-drones-reconnaissance
Contrôle fédéral des finances, rapport « Audit de l’aptitude à l’emploi des drones de reconnaissance » 22.10.2024 : https://www.efk.admin.ch/wp-content/uploads/publikationen/berichte/sicherheit_und_umwelt/verteidigung_und_armee/24171/24171_version-definitive-v04.pdf
KÜMMERLING, Pascal, « Hermes 900, comprendre ce qui fonctionne et ce qui pose problème ! » in Avia News, le 24.01.2025 : https://www.avianews.ch/post/hermes-900-comprendre-ce-qui-fonctionne-et-ce-qui-pose-probl%C3%A8me
KÜMMERLING, Pascal, « Maintien du drone Hermes 900, mais avec des limitations ! » in Avia News, le 05.09.2025 : https://www.avianews.ch/post/maintien-du-drone-hermes-900-mais-avec-des-limitations
LAGNEAU, Laurent, « L’armée de Terre serait sur le point d’abandonner le programme de drone tactique Patroller » in OPEX360, 10.09.2025 : https://www.opex360.com/2025/09/10/larmee-de-terre-serait-sur-le-point-dabandonner-le-programme-de-drone-tactique-patroller/
POWIS, Gaétan, « Nouvelle attaque d’un drone Bayraktar TB2 en Ukraine : les drones TB2 repassent-ils à l’offensive ? » in Air&Cosmos, 03.09.2025 : https://air-cosmos.com/article/nouvelle-attaque-d-un-drone-bayraktar-tb2-en-ukraine-les-drones-tb2-repassent-ils-a-l-offensive-70429
Ministère des armées, « Projet annuel de performances – Programme 146, équipement des forces » 2024 : https://www.budget.gouv.fr/documentation/file-download/21423