Le Conseil national accepte d’augmenter les dépenses consacrées à l’armée !

L'Assemblée fédérale, ©Services du Parlement / Rob Lewis

C’est fait ! Par 111 voix contre 79 et 2 abstentions, le Conseil national a accepté de faire passer le budget de 5 à 7 milliards de francs d’ici 2030, soit environ 1% du PIB, et avec des augmentations annuelles de 300 millions. Cette votation s’est tenue dans le cadre d’une session parlementaire spéciale, par suite de deux motions déposées dans les deux chambres du Parlement. Le Conseil des États doit encore se prononcer, mais compte tenu de sa composition, l’acceptation ne devrait être qu’une simple formalité.

Il n’est rien de dire que compte tenu de l’enjeu, la qualité des débats n’est pas à la hauteur. Chacun y va de sa petite pique, de sa bonne formule, espérant avoir la chance de l’entendre le soir au TJ. L’on ne s’écoute pas, l’on répond rarement aux questions, l’on campe sur des positions purement idéologiques, etc. C’est ainsi que, sur un débat visant à savoir s’il fallait augmenter le budget de l’armée, il est possible d’entendre la question : « Quelles sont les valeurs que vous partagez avec la Turquie ? »… Une question d’une pertinence toute relative, à se coincer les parties dans une porte, de rage, et que l’on doit à Mme Martullo Blocher (UDC, GR). Merci beaucoup pour votre contribution Madame ! Notons toutefois quelques exceptions, notamment chez les Verts-Libéraux. Si nous ne sommes pas d’accord avec leurs positions, au moins amènent-ils un peu de hauteur dans le débat. De même, M. Fridez (PS, JU) a le mérite de répondre de manière claire, posée et quelque peu documentée. Les parlementaires bourgeois n’ont quant à eux guère brillé à la chambre du peuple, hier.

Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une excellente nouvelle pour nos forces armées. Celles-ci doivent en effet conserver un nombre important de compétences sans que les moyens financiers ne suivent. Nous pensons par exemple à l’artillerie, pour laquelle le DDPS a récemment proposé de rénover les antédiluviens M-109 pour leur permettre de tenir encore le temps que leurs successeurs n’arrivent. Le remplacement de ces antiquités pourra donc être accéléré, comme d’autres d’ailleurs. Nous soulignons bien que nous parlons ici de compétences, c’est-à-dire du savoir-faire, et non forcément de capacités. Après 20 ans de disette, rappelons que l’armée suisse n’est globalement plus qu’un noyau de compétences, même si le nombre de celles-ci reste élevé, en comparaison avec d’autres pays européens de la même taille. Il s’agira donc de (re)créer des capacités à partir de nos compétences actuelles.

La seule mesure concrète évoquée au Parlement est l’acquisition de mortiers 16 supplémentaires. La presse et différentes sociétés militaires évoquent quant à elle l’artillerie, la remise en service et la rénovation de chars Leopard II, l’augmentation générale de la dotation de la troupe, incomplètement équipée aujourd’hui, les projets liés au cyber, etc. Mme la conseillère fédérale et la majorité bourgeoise ont considéré que les 3 rapports sur l’avenir des forces aériennes, terrestres et cyber donnaient suffisamment d’éléments quant aux équipements à acheter avec cette augmentation. En effet, la liste des acquisitions actuelles semblait plus s’être adaptée aux contraintes budgétaires qu’aux besoins. Ceux-ci ne manquant pas, le problème ne devrait pas forcément être de ne pas savoir quoi s’acheter. En revanche, il s’agira de procéder efficacement aux acquisitions. Or c’est bien là que peut se situer le problème.

En effet, si le matériel a souvent été évoqué, il n’a pratiquement pas été question ni d’immobilier, ni de personnel. Or, comme le relève le rapport sur les projets 2021, mis en avant par le vert-libéral François Pointet (VD), il semble manquer au DDPS un certain nombre de spécialistes dans le domaine cyber pour mener à bien les projets actuels. De même Armasuisse ne semble pas avoir de marge quant à ses ressources humaines. Ainsi, il faut espérer que cette augmentation budgétaire servira également à embaucher des spécialistes supplémentaires et éventuellement revoir leur rémunération, deux sujets pratiquement tabous à droite. Sans ces renforts, cette augmentation budgétaire ne servira que marginalement, voire débouchera sur d’énormes gaspillages et des scandales.

Une des grandes interrogations, en plénum comme au sein de la population, est de savoir d’où proviendra cette manne financière supplémentaire ? Certains, comme le vert Fabien Fivaz (NE) se sont inquiétés de possibles coupes dans « l’agriculture, la protection du climat, dans la transition énergétique ou encore dans la coopération internationale » pour financer cette augmentation. M. Aloïs Gmür (Le Centre, SZ) a indiqué que cela n’était pas nécessaire. « Si nous regardons la planification financière de la Confédération – d’ailleurs soumise au Parlement pour information -, nous voyons que le plan financier 2023 prévoit un excédent de 1,5 milliard de francs, le plan 2024 un excédent de 1,2 milliard et le plan 2025 un excédent de 1,5 milliard. L’imposition selon les directives de l’OCDE est également en discussion actuellement. Cette mesure pourrait augmenter les revenus de la Confédération. On compte sur un total de 2 milliards de francs ; j’espère que la Confédération en recevra au moins la moitié, c’est-à-dire 1 milliard de francs. Je suis d’avis qu’aucune mesure d’économie n’est nécessaire en matière de politique financière. » Ainsi cette augmentation ne devrait, en théorie et si tout se déroule comme prévu, ne pas obérer d’autres budgets fédéraux. Malgré tout, soulignons que l’armée a très largement été mise à contribution du point de vue financier ces 3 dernières décennies, son budget passant de 1.57% du PIB à ~0.8% actuellement (nous n’avons pas les mêmes chiffres que le parlement, mais les parlementaires eux-mêmes s’étant trompés dans leurs chiffres, on ne se formalisera pas trop), passant de 5.8 milliards de francs à 5.1 milliards aujourd’hui, sans compter une inflation de 30% entretemps, et le plus que doublement du budget fédéral dans le même laps de temps. Si le budget de l’armée augmente à nouveau en termes nominaux depuis 2016, cela ne permet absolument pas d’augmenter ni le niveau relatif du budget, et encore moins l’équipement de la troupe.

En définitive, la droite aura bien su tirer les marrons du feu, mais peut-être un peu vite en regard des capacités humaines du DDPS à gérer les projets. La gauche, quant n’a elle, n’aura finalement pas fait bouger ses idées d’un iota au sujet des questions de défense, alors que son homologue allemande a littéralement renversé la table dans ce domaine. Même si le référendum financier n’existe pas en Suisse, rappelons que le peuple reste le dernier arbitre de toute décision politique. Or un sondage en ligne non représentatif du journal 24 heures montre que 54% des sondés approuvent cette décision. Cela est plutôt marquant en regard des résultats de septembre 2020. 22% pensent que les moyens actuels suffisent, 19% des sondés pensent qu’il faudrait les diminuer et 5% n’a pas d’opinion. Il semble donc que même dans notre partie relativement antimilitariste de la Suisse, cette idée soit relativement bien acceptée.

La guerre en Ukraine ne donne évidemment pas un blanc-seing à la droite et au DDPS en matière de défense, mais force est de constater qu’elle a drastiquement diminué le courant pacifiste dans notre pays. Jusqu’à quand ?

Sources :

https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20223367

https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=56896

https://www.parlament.ch/fr/services/news/Pages/2022/20220509164353441194158159038_bsf128.aspx

https://www.24heures.ch/deux-milliards-de-plus-pour-larmee-mais-pour-quoi-faire-598755782999

https://www.nzz.ch/meinung/schweiz-keine-ueberstuerzte-erhoehung-des-armeebudgets-ld.1683150?reduced=true

https://www.watson.ch/fr/suisse/analyse/165285278-apres-30-ans-de-baisse-le-budget-de-l-armee-repart-a-la-hausse

https://www.letemps.ch/opinions/larmee-suisse-milliards-lieu-dune-mission-claire-lui-serait-confiee

https://www.laliberte.ch/news/suisse/armee-certaines-priorites-a-revoir-645784