Il y a de cela 7 ans, le Conseil fédéral a décidé de vendre différents secteurs de RUAG, comme RUAG Ammotec, et de ne conserver que RUAG MRO, notamment chargé d’entretenir, voire de moderniser environ 130 systèmes de l’armée suisse allant du véhicule d’exploration Eagle au chasseur F/A-18. Ainsi 80% du chiffre d’affaires de l’entreprise provient du seul DDPS.
Malgré cette réorganisation et ces cessions, d’ailleurs malheureuse en ce qui concerne RUAG Ammotec, aucun changement n’a été opéré dans le fonctionnement de la compagnie. En effet, depuis sa création en 1997, RUAG est une entreprise privée mais dont le capital est entièrement détenu par la Confédération, lui permettant d’engranger de juteux bénéfices. Il était par exemple question de 40 millions annuels environ pour la seule filiale produisant les munitions. Outre les dividendes, les objectifs de cette privatisation des années 1990 étaient de favoriser la collaboration avec le secteur privé et de permettre au secteur étatique de l’armement de mieux maîtriser la période de vache maigre budgétaire d’après Guerre froide en commercialisant des technologies militaires sur le marché civil.
Mais cette forme juridique n’a pas débouché sur les collaborations attendues ni permis de contrôler suffisamment la firme, la Confédération souhaitant se limiter à l’exercice de ses droits d’actionnaire pour laisser un maximum de liberté entrepreneuriale à RUAG. En outre, la diversification initialement voulue par le gouvernement a servi d’argument à la privatisation de RUAG Ammotec, certains parlementaires arguant que la compagnie ne faisait plus uniquement un travail en lien avec la défense. Quand on veut tuer son chien…
Ce contrôle relativement lâche a pu faciliter les mauvaises pratiques de gestion, sans parler du très important roulement qu’a connu le conseil d’administration, empêchant celui-ci d’avoir une vue d’ensemble. C’est ainsi que plusieurs scandales ont en émaillé la vie de la firme, comme celui lié à la cyberattaque de 2016 ou plus récemment une affaire de corruption dans laquelle un employé vendait à prix cassé des pièces de blindés à une entreprise détenue par sa femme, pour ensuite les revendre à des tarifs nettement plus élevés.
Dès lors, et dans le but de pouvoir orienter la stratégie de la firme, ce qu’un simple actionnariat ne permet pas, le Conseil fédéral souhaite faire de RUAG MRO une entreprise privée de droit public, comme le sont les CFF, Swisscom ou la Poste. À noter qu’il est assez surprenant qu’un secteur aussi primordial et régalien ait été jugé moins stratégique que La Poste et l’envoi de lettres A et B…. S’il fallait encore une preuve que la défense ne faisait vraiment pas partie des priorités de Berne ces dernières décennies, la voici.
Le gouvernement n’a pas souhaité revenir au temps des fabriques fédérales d’armement, qui comprenaient 4 entités : SW – Schweizerische Unternehmung für Waffensysteme à Thoune, SM – Schweizerische Munitionsunternehmung à Thoune, SF – Schweizerische Unternehmung für Flugzeuge und Système à Emmen et SE – Schweizerische Elektronikunternehmung à Berne. Cette mesure donnerait aux employés le statut de fonctionnaires mais le Conseil fédéral estime que cela handicaperait RUAG au niveau de la gestion du personnel. En clair : l’entreprise ne pourrait guère licencier de personnel en cas de baisse importante du volume des commandes, ou augmenter les rémunérations pour attirer de nouveaux collaborateurs. En outre, les structures et processus décisionnels seraient trop lourds alors qu’il s’agit d’un secteur où il est question d’aller vite, voire très vite désormais. Ces considérations de la part du gouvernement ne manquent dans tous les cas pas de piquant… La solution intermédiaire entre entreprise de droit privé et intégration pure et simple dans l’administration a donc été privilégiée.
La modification, déjà envisagée par Viola Amherd en 2024, pourrait intervenir au 1er janvier 2028. Nous ne sommes pour l’instant qu’aux prémices de la démarche, le Conseil fédéral en étant pour l’instant aux consultations sur son projet. Ce projet ne sera quoi qu’il en soit pas de trop, les attentes vis-à-vis de RUAG s’étant renforcées ces derniers mois, de même que les besoins de l’armée.
Sources :
Communiqué de presse du DDPS, « Nouvelle forme juridique pour RUAG MRO : consultation portant sur la transformation en société anonyme régie par une loi spéciale », 26.11.2025 : https://www.vbs.admin.ch/fr/newnsb/oglbaG67Xfecb0gRstmZe
DDPS, rapport explicatif « Adaptation de la forme juridique de RUAG MRO Holding SA », 26.11.2025 : https://cms.news.admin.ch/dam/fr/der-schweizerische-bundesrat/ozonGP82FBvz/Rapport_explicatif_ouverture_consultation.pdf
PAUCHARD, Yan, « Le Conseil fédéral veut reprendre la main sur Ruag », in Le Temps, 26.11.2025 : https://www.letemps.ch/suisse/le-conseil-federal-veut-reprendre-la-main-sur-ruag
DE WECK, Hervé, « Fabriques fédérales d’armement » in Dictionnaire historique de la Suisse, 14.04.2011 : https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/041663/2011-04-14/