
Le débat sur le programme d’armement 2021 aura permis de constater une fois encore le fossé qui sépare la gauche de la droite sur ce que doit être l’Armée. Dans ce cadre, c’est un programme de maintien de la valeur des obusiers M109 KAWEST pour 17.4 millions de francs qui a été âprement discuté.
Pour rappel, ces pièces d’artillerie de 155 mm ont été acquises au travers du programme d’armement 1968 et modernisées à plusieurs reprises. La dernière grande remise à niveau date de 1995, avec la version KAWEST (« Kampfwertsteigerung » soit « augmentation de la valeur de combat »). Celle-ci consistait notamment à remplacer le canon de 39 calibres par un modèle suisse de 47 calibres de longueur, diminuer le nombre de membres d’équipage de 8 à 6, augmenter la capacité d’emport d’obus grâce à un compartiment au dos de la tourelle et moderniser les systèmes de tir. Cette rénovation était tout à fait bienvenue, mais elle a été effectuée il y a 26 ans de cela. Il va donc sans dire que ces engins sont aujourd’hui usés jusqu’à la corde et obsolètes. De plus, la ratification par la Suisse la Convention sur les armes à sous-munition a fait sensiblement chuter les performances de ces pièces.
Il est prévu de remplacer les M109 par un nouveau système d’artillerie durant la décennie, mais les engins actuels devront malgré tout tenir jusqu’à 2030. C’est pourquoi le Conseil fédéral propose un programme de maintien de la valeur à minima. La gauche et les Verts-libéraux, au travers du conseiller national écologiste neuchâtelois Fabien Fivaz, ont proposé de biffer cette ligne de crédit au prétexte « qu’il n’existe aucun scénario réaliste dans lequel cet obusier serait un jour utilisé ». François Pointet (VL, VD) a pour sa part argué qu’il était « dommage que par habitude et manque de vision, nous continuions à maintenir à hauts coûts des systèmes obsolètes et clairement jugés comme tels dans les rapports d’experts. Nous espérons voir bientôt les choses bouger concernant ces systèmes trop lourds, qui s’intègrent mal dans notre domaine construit et qui ne tiennent pas compte de l’évolution de la menace. » La majorité bourgeoise du conseil national a quant à elle défendu cet investissement, de même que la Conseillère fédérale en charge du dossier, Viola Amherd. Celle-ci a expliqué que même si la valeur militaire de l’obusier M109 était effectivement très réduite aujourd’hui, la prolongation de ce système jusqu’à l’entrée en service de son successeur visait surtout à conserver les compétences en termes d’instruction, d’entretien et de mise en œuvre. En effet, si les M109 étaient envoyés à la casse en 2025 comme initialement prévu, il en résulterait une perte de savoirs à laquelle il serait très difficile et onéreuse de remédier. Cet investissement très limité permettra donc d’éviter cette situation problématique.
Cette passe d’armes oratoire aura permis de constater que les membres du PS, des Verts et des Verts-Libéraux ne semblent pas avoir pris compte des retours d’expérience des conflits de ces dernières années en Syrie, en Ukraine et surtout dans le Haut-Karabagh, où l’action de l’artillerie, conjuguée à l’utilisation intense de drones d’observation légers et lourds, a eu un impact significatif sur le déroulement des opérations. Les armées du monde entier ont d’ailleurs observé ce dernier conflit avec grande attention et en ont tiré ou vont en tirer les enseignements nécessaires. Les décideurs politiques feraient bien de s’inspirer de ces différents travaux, et surtout de s’éloigner de considérations purement idéologiques qui risquent bien de voler en éclats ce prochaines années.
Quoi qu’il en soit, le renouvèlement de l’artillerie suisse fera donc encore parler d’elle durant la décennie. De manière générale, un certain nombre de stratégies et d’axe de travail de l’Armée seront prochainement débattus au Parlement. Dans ce cadre, les élections nationales de 2023 seront primordiales, car les partis de droite ne disposent actuellement que de 112 sièges sur 200 à la chambre basse. Une nouvelle poussée des écologistes, comme en 2019, signifierait donc certainement la fin des moyens lourds de l’Armée et une diminution sensible de ses capacités. Cela est d’autant plus susceptible de survenir que les membres du Centre (ex-PDC) semblent quelque peu divisés sur les questions militaires, les femmes ayant une sensibilité plus à gauche que leurs homologues masculins.
À l’avenir, il sera donc particulièrement nécessaire d’expliquer au grand public le fonctionnement de nos forces armées et les développements géopolitiques et militaires, faute de quoi notre armée ressemblera rapidement à celle de nos voisins autrichiens. Ça tombe bien, c’est l’un des objectifs de « Livret de service » !
Sources :
VAUTRAVERS, Alexandre, « L’avenir de l’artillerie en Suisse », in Revue Militaire Suisse, 2016 https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=rms-001:2016:0::637