
Depuis le début de la guerre en Ukraine, les questions de coopération, d’interopérabilité et de renforcement des capacités de l’armée font fréquemment parler d’elles. Les visions s’entrechoquent d’ailleurs sur ce que doit être ce renforcement et ces coopérations. Ainsi, certains n’hésitent pas à dire que chaque collaboration de nos militaires avec leurs homologues étrangers est un coup de canif dans notre neutralité, tout en oubliant que pareille pratique a cours depuis des décennies, entre 5 à 10 fois par année, par petits groupes d’officiers, notamment dans les exercices d’état-major de l’OTAN. Henri Guisan lui-même s’était par exemple rendu dans les tranchées françaises durant la Première Guerre mondiale pour essayer, autant que possible, de faire des observations utiles sur la conduite d’un conflit moderne pour le compte de l’état-major helvète. Il n’est donc rien de dire que les échanges avec les armées voisines ne datent pas d’hier…
Quoi qu’il en soit, les coopérations avec l’étranger sont indispensables pour l’armée suisse, que cela plaise ou non. En effet, le territoire est trop exigu et densément peuplé pour permettre à nos aéronefs de déployer toute leur puissance en temps de paix. De même, les places d’armes de Bure et de Walenstadt sont trop petites pour permettre des entraînements au-delà de l’échelon de la compagnie. Dès lors, il faut bien trouver des palliatifs à l’étranger, faute de quoi la formation de nos soldats et officiers ne peut être complète.
C’est ainsi que, en février dernier, deux chars Leopard 2 accompagnés d’une vingtaine de militaire se sont rendus à Grafenwöhr en Allemagne pour participer à l’International Tank Challenge mis sur pied par le 7th Army Training Command. Ce concours est une résurgence de l’European Strong tank Challenge, qui avait été mis sur pied en 2016 avant de faire les frais de l’épidémie de Covid 19. 16 équipes provenant des États-Unis, d’Italie, du Danemark, de Slovénie et de Suisse se sont donc rendues en Allemagne pour y participer. Malgré l’embargo sur le classement final intégral, il semblerait que les 2 pelotons suisses se sont passablement bien comportés, un classement intermédiaire ayant fuité sur internet indiquant que la seconde équipe helvète était en 4ème position au 2/3 des épreuves.
Quoi qu’il en soit, cette compétition n’était que de faible envergure, comme la plupart des coopérations entre la Suisse et les pays étrangers jusqu’ici. L’exercice TRIAS25 vient donc changer la donne. En effet, il s’agit de déployer du 14 avril au 9 mai près de 1000 militaires sur le terrain d’entrainement autrichien d’Allentsteig, nom de code « TÜPL », six fois plus grand que ce que nous pouvons trouver en Suisse. Les plus anciens se souviendront d’ailleurs avoir participé à une manœuvre similaire, en 1996 avec MOBILITY96 et ses 300 soldats déployés sur la même place d’entraînement.
Cette fois-ci, ce sont diverses unités de la Brigade Mécanisée 11 (Mech Br Stabsbat 11, Mech Bat 14, Pz Sap Bat 11, San Kp 7, Log Br 1, FU Br 41, MP Gren Kp 4/1) ainsi qu’un détachement de militaires professionnels qui ont été mobilisés. Les manœuvres au niveau brigade pourront donc enfin être testées, et non uniquement sur simulateur ou dans des « wargames ».
Notons d’ailleurs que ce déploiement est atypique à plus d’un titre. En effet, la Loi sur armée et l’administration militaire (LAAM) ne permettant pas d’obliger les conscrits à effectuer leurs cours de répétition (CR) à l’étranger, c’est sur une base volontaire que nos militaires de milice se rendent en Autriche. Rappelons d’ailleurs qu’un rapport faisant suite à une interpellation de Josef Dittli (PLR/UR) et intitulé « Capacité de défense et coopération » proposait justement de modifier la législation afin de rendre la participation à pareils exercices en dehors du sol national obligatoire, mais aussi d’étendre la durée des CR, trois semaines n’étant pas toujours suffisantes, comme on peut d’ailleurs le constater avec TRIAS25.
Les militaires suisses ne s’entraîneront pas seuls à Allentsteig. L’armée fédérale autrichienne met en effet à disposition une unité de la taille d’une compagnie (150 hommes), tandis que l’armée allemande participe également (140 militaires). Cela permettra de s’entraîner au combat interarme, élément parfois manquant en Suisse, ainsi qu’à la collaboration avec l’étranger. Le média autrichien « Militär Aktuell » indique que des partenaires industriels tels que Thales et Saab seront également présents.
Ce déploiement constitue de plus un défi logistique pour l’armée. Ainsi, 250 militaires sont nécessaires pour assurer les énormes besoins qu’implique le transport d’un bataillon de chars. Le DDPS indique d’ailleurs que ce déplacement depuis Thoune nécessitera par moins de 11 convois ferroviaires, d’une longueur totale de près de 4.3 km !
Cet impressionnant déploiement permettra de vérifier concrètement que l’armée suisse est capable d’engager des grandes unités, de collaborer avec des partenaires étrangers et d’assurer la logistique d’une formation lourde loin des centres de la Base Logistique de l’Armée (BLA).
C’est donc un nouveau genre d’exercice que notre armée met sur pied et nul doute que les enseignements seront précieux pour nos militaires, autant officiers que simples soldats. Notons d’ailleurs que la bonne participation volontaire de nos miliciens montre l’intérêt que cet entraînement a suscité auprès d’eux. Peut-être s’agit-il là d’un élément, parmi de nombreux autres, à mettre sur pied pour remotiver nos troupes. Comme l’indique l’armée, TRIAS25 n’est que le premier exercice de ce type et d’autres devraient encore se tenir à l’avenir, au grand dam de quelques obsédés d’une vision surannée de la neutralité et qui n’entendent rien ou presque à la chose militaire. Il s’agit là d’un impératif pour que notre armée (re)monte en puissance.
Sources :
https://www.vtg.admin.ch/de/fitmachen-fuer-die-verteidigung
https://www.news.admin.ch/fr/nsb?id=104040
https://www.news.admin.ch/de/nsb?id=104335
https://www.admin.ch/cp/d/1996May7.101308.5848@idz.bfi.admin.ch.html
https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/85929.pdf
https://militaeraktuell.at/8-fragen-antworten-uebung-trias-schweizer-armee/