Faut-il rénover les chars Léopard II actuellement stockés ?

Char Leo 87 du Bataillon mécanisé 17, 2022, @Bataillon mécanisé 17

Hier, la RTS a diffusé un reportage posant cette question.

Premièrement, il convient de s’interroger sur la place du char de combat sur les champs de bataille actuels, notamment en regard du conflit ukrainien. Si, effectivement, un certain nombre de blindés lourds russes a été détruit, il semble malgré tout que ni Moscou ni Kiev n’envisagent de les mettre au rebut, bien au contraire. L’Ukraine ne cesse d’en demander, comme des avions de combat d’ailleurs, tandis que le Kremlin s’efforce de remplacer les pertes subies sur le champ de bataille. Ainsi, il apparaît que même si les chars subissent bien une attrition certaine, la puissance de feu et la mobilité qu’ils apportent restent des atouts importants. De plus, il faut souligner que les chars alignés par les deux camps sont aujourd’hui majoritairement des modèles de conception ancienne, certes rénovés, mais qui conservent les failles initiales de leurs ainés. De plus, il semblerait que la corruption latente en Russie ait passablement touché les programmes de modernisation, en faisant des rénovations cosmétiques et non des refontes massives. Enfin, les failles de logistique et de commandement ont lourdement touché les colonnes blindées russes. Si les unités de chars sont de puissants outils, elles restent complexes à utiliser. Notons aussi que, parti pris (propagande?) oblige, nous recevons de très nombreuses images de blindés russes détruits, mais pas forcément d’autres, ce qui fausse forcément notre perception des choses.

Au vu de ces quelques considérations, l’on peut se demander si la prochaine génération de chars sera moins lourde que celle en service actuellement. Il est possible que cela soit le cas. Mais nous n’aurons la réponse à cette question que dans un certain nombre d’années, les projets européens et américains de nouveaux chars de combat n’étant pour le moment guère avancés. Le cas échéant, les plans déjà produits pourraient être revus. Les Russes sont pour l’instant les seuls à avoir développé un char « de nouvelle génération », le T-14 Armata, mais il n’est pas entré en production de série, en raison de son coût, et n’est pas près de l’être vu les difficultés économiques que rencontre la Russie actuellement. Difficile de savoir ce qu’il vaut réellement, donc.

Alors, que faire de nos chars actuels ? Les déstocker et les rénover, pour 350 à 450 millions de francs ? Précisons d’abord que, comme le dit M. Jean-Luc Addor, notre parc actuel permet d’assurer uniquement la formation de nos militaires. Si nous devions mobiliser nos brigades mécanisées, il n’y aurait pas suffisamment de chars pour les équiper. Ainsi, nos forces terrestres souffrent effectivement d’un déficit de matériels, et ce dans de nombreux domaines. D’après les informations que l’on peut trouver ici et là, seuls 30 à 40 000 hommes peuvent aujourd’hui être totalement équipés, alors que notre armée doit en aligner 100 000 dans ses effectifs réglementaires, 140 000 si l’on compte tous les incorporés. Ce n’est donc rien de dire, comme nous le soulignions récemment, que si nous avons conservé les compétences, les capacités, elles, ne sont plus forcément là.

Maintenant, investir presque un demi-milliard de francs, sans compter la maintenance, dans un blindé devant être remplacé dans une décennie fait-il sens ? Ne vaudrait-il pas mieux investir dans d’autres équipements, dans du personnel disposant de compétences en informatique pour l’intégration des nouveaux systèmes et la lutte cyber ? Ou encore dans l’augmentation du nombre d’officiers professionnels et contractuels, à même d’augmenter le niveau d’instruction de la troupe ? La modernisation du parc immobilier qui souffre lui aussi d’un déficit chronique, et qui permettrait, à terme, de fournir de précieuses économies ? Des systèmes d’armes plus légers (transport de troupes, drones lourds et légers, drones armés) ou plus anciens encore comme l’artillerie ? Ou sur une plus grande numérisation de l’armée (systèmes de communication, administration, etc.).

Nous ne prétendons évidemment pas avoir la réponse à cette question éminemment complexe. Comme souligné dans les débats au Parlement, les trois rapports sur les forces terrestres, aériennes et cyber donnent des axes de réflexion sur cette problématique, mais pas des listes claires de matériels à acheter. En définitive, si les chantiers ne manquent pas, il ne faudrait malgré tout pas se ruer sur les programmes certes emblématiques, mais qui offrent des plus-values moins élevées pour nos forces armées.

Terminons avec une petite réflexion sur les propos de Verts-Libéraux. Si nous avions souligné la qualité de leur intervention lors de la session parlementaire, M. Pointet est ici totalement dans les choux. Premièrement, la guerre est aujourd’hui urbaine, que cela nous plaise ou non. Les batailles en rase campagne sont terminées. Les points d’articulation des offensives sont aujourd’hui les centres urbains et les nœuds de communications qu’ils constituent souvent. Nos soldats s’entrainent pour cela, les matériels sont acquis dans cette optique, etc. Il est donc toujours surprenant de voir des parlementaires s’offusquer que telle ou telle arme puisse être utilisé dans une ville… Cela avait été le cas en 2018, lorsque Guy Parmelin avait proposé, pour 20 petits millions, de donner aux F/A-18 la possibilité de (ré)acquérir cette compétence perdue avec le retrait de Hunters, ce que le Parlement avait refusé, notamment avec cet argument fallacieux, qui a su mobiliser au centre de l’échiquier politique. Il est d’autant plus frappant de voir que cet argument est mobilisé à bien plaire, selon les objets, les Verts-Libéraux et le Centre n’ayant par exemple rien eu à redire au sujet de l’acquisition des Mortiers 12 cm 16, pourtant principalement destinés au combat urbain… L’on a de plus de la peine à voir en quoi les évolutions technologiques bouleverseront la donne en matière de combat urbain, et des dégâts occasionnés aux villes à cette occasion. Les vœux pieux ne font guère de bonnes politiques, et les parlementaires du centre feraient bien de s’en souvenir.

Nous en sommes aux prémices des débats concernant le réarmement de la Suisse, et de sa collaboration voire intégration à l’OTAN et n’avons donc pas fini d’en parler, et d’entendre des propositions et propos audacieux, pragmatiques, mais aussi totalement farfelus. Ainsi en va-t-il de toute démocratie qui se respecte, dira-t-on.

Sources :

https://www.rts.ch/info/suisse/13097158-fautil-sortir-du-rebut-la-centaine-de-vieux-chars-leopard-de-larmee.html