DDPS : désespérant, dépassé, pathétique et scandaleux ?

Conférence de presse du 26.02.2025, @KEYSTONE/Peter Schneider

S’il y a bien une chose que l’on a apprise durant ces quelques années d’analyse de l’actualité militaire helvète, c’est que l’on peut toujours être surpris par les cadres du DDPS et par les décideurs politiques. Souvent en mal, malheureusement.

Ainsi, à toutes les difficultés que nous relatons habituellement (mauvaise gestion des programmes, problèmes de recrutement, etc.) s’ajoutent maintenant de nombreuses démissions et un nouveau scandale à RUAG MRO, un employé ayant manifestement monté une escroquerie au travers de la gestion des stocks de pièces détachées de chars Leopard I et II. Rappelons que RUAG n’en est pas à son coup d’essai, entre le piratage massif de 2016, la revente des mêmes chars à deux clients différents, l’achat douteux de Leopard I, et un nouveau piratage, par des voies externes ces derniers jours encore.

Dans le même temps, la conseillère fédérale Viola Ahmerd a annoncé sa démission en janvier, effective pour mars, de même que le chef de l’armée Thomas Süssli, avec effet d’ici fin 2025 tandis que le chef du Service de renseignement de la Confédération (SRC), Christian Dussey, partira en mars 2026. À cela, il faut ajouter le départ de Peter Merz, chef des forces aériennes, qui ira travailler pour Skyguide dès septembre et enfin celui de Darko Savic, chef du domaine d’activité Acquisitions de la Défense aérienne intégrée à Armasuisse, c’est-à-dire notamment des programmes Patriot et IRIS-T. Sacré exode.

Il n’est donc rien de dire que ce n’est pas la grande forme au DDPS. En fait, il est bien plus rapide de parler de ce qui va.

Comment en est-on arrivé là ? Il sera sans doute difficile et hasardeux de se lancer dans les conjectures, n’ayant pas une vision complète de la chose ni les motivations personnelles de chacune de ces personnes. L’on se risquera tout de même à avancer quelques pistes. On est joueur.

Premièrement, et l’on sera plutôt sympa, il y a peut-être tout simplement eu un problème de communication, et rien d’autre. En effet, il n’est pas surprenant que le chef de l’armée démissionne maintenant. Son mandat ayant débuté en 2020, son passage à la tête de l’armée n’aura été ni bref ni longue, mais dans la moyenne. En effet, celui de son prédécesseur, Philipe Rebord, n’aura duré que 3 ans, pour des raisons de santé il est vrai, tandis qu’André Blattmann y aura passé 8 ans. L’on peut dès lors dire que Süssli coupe la poire en deux, surtout lorsque l’on sait que les officiers supérieurs ne passent en général que quelques années à la tête de grandes unités, avant d’être nommés ailleurs. Christian Dussey a, quant a lui, eu toutes les peines du monde à rentrer dans les chaussures du chef du SRC. Dans ces conditions, l’annonce de sa démission n’était de toute manière qu’une question de temps. Si les autres départs ne peuvent être expliqués ainsi, cela fait déjà deux personnes sur cinq. Ajoutons-y le fait que ces deux personnes et Mme Amherd auraient chacune pris leur décision dans leur coin sans la communiquer aux autres, et vous avez peut-être ici tous les ingrédients réunis pour une coïncidence débouchant sur un scandale.

Maintenant que nous avons été bon prince, passons à une autre hypothèse : démissions pour cause de difficultés à venir, notamment sur la gestion des projets d’armement. Celle-ci deviendrait-elle trop explosive ? Les rapports sur les projets relatent dans tous les cas d’année en année des soucis latents, quand des surprises n’éclatent pas en cours d’année, comme c’est le cas pour de gestion de la logistique de l’armée confiée à l’allemand SAP, purement et simplement abandonnée en cours d’année. La guerre en Ukraine, avec le renchérissement et les goulets d’étranglement dans la production qu’elle a créé, ainsi que les pénuries probables de personnel d’ici quelques années, du fait des départs à la retraite de centaines de milliers d’actifs de la génération du baby-boom, ne laissent pas entrevoir une amélioration sensible et rapide de la chose. C’est d’autant plus le cas que le département doit gérer un budget accru, et donc plus de projets encore, et cela avec moins de spécialistes, puisque le Parlement, dans sa grande sagesse, a décidé de raboter… sur le personnel d’Armasuisse chargé de gérer ces programmes. Tout ne peut donc que bien se passer… L’on pourrait ainsi deviner que ces différents responsables souhaitent partir avant que le DDPS n’explose en vol sous les scandales de mauvaise gestion, si ce n’est déjà fait… Belle démonstration de courage, si c’est le cas.

L’on peut également penser que tout ce beau monde était habitué à un quotidien relativement tranquille, avec un département plan-plan, laissé un peu dans l’ombre et ne suscitant qu’un (dés)intérêt poli des uns et des autres. Ce n’est plus le cas depuis 3 ans maintenant et il est possible que ce nouveau climat, ces nouvelles attentes, ces critiques parfois, induisent une pression à laquelle tout se beau monde n’était pas forcément préparé. Ce qui serait curieux, quand on est militaire, tout de même.

Enfin, le DDPS n’a, semble-t-il, guère évolué depuis des décennies. L’on a fait en somme comme on a toujours fait, sans trop changer quoi que ce soit, et ça tournait plus ou moins. Le problème est qu’entretemps, les programmes d’armement et les projets informatiques se sont considérablement complexifiés, que la population a changé, de même que l’environnement (géo)politique. Des réformes, qui ne touchaient pas seulement à l’organigramme de l’armée ou au modèle de formation des cadres, étaient nécessaires mais n’ont pas été entreprises par les employés civils et militaires, de même que par les politiciens. Désintéressés par les questions de défense depuis 35 ans maintenant, ces derniers n’ont plus les outils intellectuels pour mener des réflexions, mettre en place des stratégies et effectuer des contrôles en ayant des connaissances approfondies sur le sujet. La décision de la commission de ne pas trop contrôler la procédure d’acquisition du F-35 en est peut-être une démonstration. Et cela ne se corrige pas en quelques mois. Ce sont des lectures, des discussions, des visites auprès des militaires et des industriels, en Suisse comme à l’étranger, et des recherches quotidiennes qui permettent de se forger une culture de la chose militaire. Qui au Parlement effectue ce travail ? Rares sont les politiciens spécialisés dans la sécurité. Et encore, ce n’est pas toujours gage de qualité, comme le prouve le président du PLR et conseiller aux États argovien Thierry Burkart, qui militait il y a 3 ans encore, alors que la guerre en Ukraine avait déjà débuté ( !) pour la privatisation de RUAG Ammotec et qui demande maintenant… de créer une unité étatique de production de munitions. Et le 24 Heures, qui n’est plus à une déconnade près, qui l’imagine comme candidat idéal pour reprendre le DDPS… Mais l’on s’égare.

L’on se répète beaucoup au fil de nos articles, mais il faudra bien un jour que nos 246 élus fédéraux effectuent ni plus ni moins que leur travail en ce qui concerne le domaine de la défense, faute de quoi l’armée est condamnée à n’être qu’une pure façade, au détriment de ceux qui s’activent corps et âmes pour elle, et de la population suisse en général, qui a le droit de ne pas voir ses impôts gaspillés en programmes mal gérés et la position internationale de leur pays menacée par l’incurie du monde politique et des hauts cadres de l’administration fédérale.

Quoi qu’il en soit, et pour conclure, il ne faut peut-être pas voir dans ces démissions les prémices d’un effondrement total du DDPS. En effet, avec plus de 12 000 collaborateurs, celui-ci va continuer à fonctionner comme de coutume. Mais c’est justement cette coutume qu’il s’agira de modifier quelque peu dans les années à venir.

Sources :

https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-104237.html

https://www.vbs.admin.ch/fr/nsb?id=103751

https://www.letemps.ch/suisse/securite-du-pays-decapitee-panique-a-bord-la-crise-au-ddps-inquiete-vivement-le-monde-politique

https://www.letemps.ch/suisse/le-manque-de-curiosite-des-parlementaires-sur-le-f-35-se-confirme

https://issuu.com/swissshooting/docs/tir_suisse_03-2024

https://www.24heures.ch/formule-magique-de-reve-voici-a-quoi-ressemblerait-le-conseil-federal-ideal-793398384782