1929 : Rudolf Minger est élu au Conseil fédéral. Ce membre du PAB (Parti des paysans, Artisans et Bourgeois), lointain ancêtre de l’actuelle UDC, est le premier de son parti à accéder au gouvernement. Il est placé à la tête de ce qu’on appelle alors le Département Militaire Fédéral (DMF). Cet agrarien comprend bien vite que la « pause » entre la Première Guerre mondiale et la suivante ne va pas tenir longtemps et lance des réformes qui aboutissent en 1935 (réorganisation de l’instruction) et 1936 (réorganisation de la structure de l’armée) tout en obtenant une augmentation du budget de défense. C’est que l’Allemagne réinstaure le service militaire et négocie un large accroissement de sa flotte avec la Grande-Bretagne en 1935, et remilitarise la Rhénanie en 1936. Dans le même temps, la France porte la durée de son service militaire à deux ans.
Malgré les périls croissants, la population et la classe politique ne perçoivent pas immédiatement la menace. Le pays reste profondément pacifiste et la fusillade de Plainpalais en 1932 est encore dans beaucoup de mémoires. C’est ainsi que les avertissements de Minger ne sont pas toujours pris au sérieux et les mesures idoines sont critiquées, comme la réorganisation de 1935. Celle-ci a pour but d’allonger, pour une grande partie des militaires, la durée de l’école de recrues de 23 jours pour la porter à trois mois (90 jours). Cette décision, relativement anodine en apparence, est contestée dans les urnes et n’est finalement acceptée que par 54,2% des votants, avec un taux de participation pharaonique de 79,9%, le 24 février 1935.
Quelques mois seulement après cette victoire arrachée de haute lutte, Minger fait une nouvelle proposition, plus audacieuse cette fois-ci : lancer un emprunt national pour la défense. Cela est approuvé en juin 1936, en même temps qu’un programme d’armement extraordinaire de 235 millions de francs. L’idée est de le financer entièrement grâce à l’apport des citoyens du pays. Chacun d’eux ainsi que les entreprises peuvent y souscrire. Et c’est un énorme succès ! Des 235 millions attendus, il y en a finalement… 335 ! Et cela en quelques jours seulement, la souscription se tenant du 21 septembre au 15 octobre. L’on parle ainsi de « plébiscite du porte-monnaie » par rapport à l’armée. En réalité, une très large propagande a été déployée à cette occasion et les souscripteurs peuvent compter sur un taux d’intérêt de 3% tout en étant au bénéfice de divers allègements fiscaux sur la somme prêtée à l’État. L’on est plus volontiers patriote si cela met du beurre dans les épinards…
Les finances de la Confédération n’étant aujourd’hui pas au beau fixe tandis que l’armée a d’énormes besoins d’investissement dans pratiquement tous les domaines, l’idée d’un « emprunt pour la sécurité » est revenue sur la table. C’est Andrea Gmür-Schönenberger (LC, LU) qui a déposé une motion en ce sens au Conseil des États, proposition qui vient d’être traitée par la chambre des cantons. Ce n’était toutefois pas la première fois que les politiciens s’inspiraient du passé pour trouver des financements pour la défense : Werner Salzmann (UDC, BE) avait demandé à ce que la chose soit étudiée au début 2024, avant de retirer sa proposition devant les arguments du gouvernement, tandis que Jean-Luc Addor (UDC, VS) avait déposé un texte similaire au début de cette année, celle-ci étant toujours pendante.
Le Conseil fédéral s’y est opposé par trois fois. Il indique d’une part qu’il s’agit d’un emprunt comme un autre, qui doit donc être budgétisé et amènera des charges supplémentaires. Il ne permettra donc pas de contourner le frein à l’endettement. En outre, le problème de la Confédération n’est pas de manquer de solutions pour trouver des crédits, mais que les dépenses augmentent plus vite que les recettes. Les sept sages arguent en outre que le budget militaire augmente déjà, et atteindra 1% du PIB d’ici 2032. Il est aujourd’hui estimé que Berne dépensera 89 milliards de francs pour sa défense entre 2026 et 2035, soit 27 milliards de plus qu’avant le début de la guerre en Ukraine. Le gouvernement ne voit donc pas dans cette proposition un moyen d’accélérer le rééquipement de l’armée sans grever les finances fédérales.
Les conseillers aux États ont malgré tout tenu à ce que l’idée soit étudiée par la commission des finances de leur chambre. Ainsi, il sera peut-être à nouveau possible à tout un chacun de financer notre armée… si le retour sur investissement est intéressant.
Sources :
STETTLER, Peter, « Rudolf Minger » in Dictionnaire Historique de la Suisse, 16.09.2010 : https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/004612/2010-09-16/
CAVALERI, Olivier, Votation populaire du 24 février 1935 concernant la modification de la loi sur l’organisation militaire, travail de séminaire d’histoire contemporaine, UNIL, 24.04.2017.
DEGEN, Bernard, « Emprunt de défense nationale 1936 » in Dictionnaire Historique de la Suisse, 30.03.2011 : https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/047223/2011-03-30/
Objet 24.3042, postulat Salzmann « Envisager l’emprunt de défense nationale comme autre possibilité pour le financement de l’armée », 28.02.2024 : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20243042
Objet 25.3408, motion Addor « Un emprunt de défense nationale pour moderniser notre armée », 21.03.2025 : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20253408
Objet 25.3978, motion Gmür « Emprunt pour la sécurité », 10.09.2025 : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20253978 Objet 25.3978, motion Gmür « Emprunt pour la sécurité », débat au Conseil des États, 18.12.2025 : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=70236