Le renouvellement de la flotte d’avions de combat helvètes est un feuilleton de très longue haleine. Top models n’a qu’à bien se tenir ! Si l’on voulait faire tout l’historique, il faudrait remonter à la sélection du Saab Gripen E/F par le Conseil fédéral en 2011, dossier alors passablement discuté, lui aussi. Mais nous ne remonterons pas si loin dans le temps.
Contentons-nous des 4 dernières années, ce sera déjà bien suffisant. Rappelons-nous qu’en juin 2021, le Conseil fédéral annonçait avoir sélectionné le F-35 de l’américain Lockheed-Martin afin de remplacer les F/A-18 et les F-5 des Forces aériennes. Selon le DDPS, l’appareil avait alors présenté « l’utilité globale la plus élevée tout en présentant les coûts les plus faibles ». Allez-y, essayez de le dire sans rigoler (jaune). À ce moment-là, il était question d’acquérir 36 appareils pour 5,06 milliards de francs tandis que « les coûts globaux qui regroupent les coûts d’acquisition et d’exploitation se montent à environ 15,5 milliards de francs sur 30 ans pour le F-35A. » En outre, les affaires compensatoires devaient se monter à 60% de la valeur du contrat, soit environ 3 milliards de francs.
Mais voilà, le coût a grimpé à 6,035 milliards de francs, en novembre 2021 déjà, « en raison de l’inflation ». Il est pour le moins cocasse que le département ait pu anticiper les coûts d’exploitation à un horizon de 30 ans, mais pas l’augmentation du coût de la vie sur 6 mois… Dans le même temps, le niveau des affaires compensatoires n’était pas ajusté à ce nouveau montant. Pis, sur ce volet, le DDPS a commencé à parler de 2,9 milliards de francs au lieu de 3, tandis qu’Armasuisse a dévoilé en 2025 que le surcoût induit par lesdites affaires compensatoires pouvait atteindre 800 millions de francs, dont 200 uniquement pour l’assemblage final de 4 malheureux F-35 en Suisse.
Mais, attendez, ce n’est pas encore tout, non. Parce que le prix fixe (qui avait donc déjà augmenté de près d’un milliard entre juin et novembre 2021) n’en était pas vraiment un. Ça alors, quelle surprise ! En effet, le 25 juin dernier, Martin Pfister et Urs Loher, respectivement chef du département de la défense et directeur général de l’armement, sont venus annoncer que, malgré la pléthore de juristes et d’avocats ayant planché sur ce contrat – le plus gros jamais signé pour une acquisition d’armement suisse – il y avait eu malentendu sur la question très secondaire du prix… L’on doit encore se pincer pour croire que cette conférence de presse fut bien réelle. Le gouvernement suisse pensait que le prix était fixe dans tous les cas, grâce aux mécanismes des Foreign Military Sales (FMS). En réalité, il n’en était rien. La Suisse allait effectivement profiter des tarifs facturés par Lockheed-Martin à Washington, mais ceux-ci n’étaient alors pas négociés.
Et non seulement nous sommes-nous fait entuber sur le prix de l’avion lui-même, avec un nouveau surcoût compris entre 600 millions et 1,3 milliards de francs, mais aussi sur le reste ! En effet, la mise à niveau des infrastructures, « curieusement » pas comprise dans l’offre initiale, connaît pour l’instant un surcoût de « seulement » 50% (180 millions de francs au lieu de 120) tandis que les aéronefs commandés ne disposent pratiquement pas de munitions.
Joli score, mais peut mieux faire. Et c’est bien ce que le Conseil fédéral a annoncé le 12 décembre dernier. C’est, comme nous le pensions, la solution du respect de l’enveloppe budgétaire qui a été privilégiée. La population ayant accepté d’un cheveu le crédit de 6 milliards de francs dédié au renouvellement de la flotte d’avions de combat, il paraissait difficile de passer outre, à moins de vouloir déclencher une crise institutionnelle nationale. Le nombre d’aéronefs commandés n’atteindra donc pas les 36. Combien seront finalement acquis ? Eh bien… le Conseil fédéral n’en sait strictement rien, car il ne connaît pas encore le prix final de ces appareils. Le contrat portant sur la 19ème tranche de production F-35, comprenant 148 machines dont 8 pour la Suisse, a certes été signé entre le gouvernement américain et Lockheed-Martin en novembre dernier, mais il ne comprenait pas les moteurs. Une broutille ! Ce n’est que lorsque cela aura été fixé que les Forces aériennes y verront plus clair.
Et ce n’est rien de dire que celles-ci doivent avoir hâte de le savoir, puisque le rapport « Avenir des Forces aériennes » datant de 2017, indiquait qu’une trentaine d’appareils permettrait de faire face à une situation tendue que durant une quinzaine de jours. Une situation de guerre nécessiterait entre 55 et 70 avions pour défendre le pays de manière autonome.
Il est aujourd’hui question d’une trentaine de machines, certains évoquant même 24. Or, toujours selon ce même rapport, « sur une flotte totale de 70 avions de combat, 42 pourraient être engagés ; sur une flotte de 40, 24 avions ; sur une flotte de 30, 18 avions ; et sur une flotte de 20, 12 avions. » Cette diminution entraînera une baisse non négligeable de la disponibilité des aéronefs. La flotte disponible ne permettra plus guère de faire autre chose que de la police du ciel, à un coût prohibitif, et d’entretenir les compétences de nos pilotes. Il n’y aura aucune marge de manœuvre pour faire face ne serait-ce qu’aux accidents aériens.
Aujourd’hui, ce n’est rien de dire que les électeurs et contribuables auront bu le calice jusqu’à la lie. En faisant le bilan de ce dossier, nous paierons plus cher pour avoir moins d’avions, ceux-ci pratiquement nus et avec des compensations industrielles en baisse. Fort de ce constat, il n’est pas possible de défendre honnêtement l’acquisition du F-35. Entre juin 2021 et décembre 2025, tout est allé de mal en pis, de scandale en scandale, de désillusion en désillusion. Avec un bilan pareil, comment en vouloir à ceux qui vouent aux gémonies l’armée et ses différents offices ?
Sources :
Communiqué de presse du DDPS, 30.06.2021 : https://www.vbs.admin.ch/fr/nsb?id=84275
Communiqué de presse du DDPS, 12.12.2025 : https://www.vbs.admin.ch/fr/newnsb/c-m_4s8iTFl4zuk2-mRCc
Objet 25.8128, question Molina « Avions F-35. Quand le Conseil fédéral va-t-il enfin se prononcer sur la suite de ce scandale, et combien a-t-il payé pour les quatre premiers avions ? », 08.12.2025 : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20258128
Objet 25.8178, question Seiler-Graf « Le gouvernement américain et la société Lockheed Martin se sont mis d’accord sur le lot 19. Les huit premiers F-35A de la Suisse en font partie », 10.12.2025 : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20258178
BOEGLIN, Philippe, « Finalement, l’avion de chasse F-35A coûtera quand même 6 milliards » in Le Temps, 26.11.2021 : https://www.letemps.ch/suisse/finalement-lavion-chasse-f35a-coutera-meme-6-milliards
WOLF, Fabrice, « F-35 suisses : Prix en hausse et compensations industrielles en baisse » in Méta-Défense, 30.11.2021 : https://meta-defense.fr/2021/11/30/f-35-suisses-prix-en-hausse-et-compensations-industrielles-en-baisse/
Communiqué de presse du DDPS, 22.09.2022 : https://www.vbs.admin.ch/fr/le-parlement-charge-le-conseil-federal-dacheter-les-avions-de-combat-f-35a
ATS, « Les coûts compensatoires des F-35 pourraient atteindre 800 millions, selon Armasuisse », in RTS Info, 27.06.2025 : https://www.rts.ch/info/suisse/2025/article/f-35-les-couts-compensatoires-pourraient-atteindre-800-millions-de-dollars-28927297.html
Objet 21.4427, interpellation Français « Acquisition des F-35A. Pour une clarification des chiffres communiqués », 14.12.2021 : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20214427
Communiqué de presse du DDPS, 25.06.2025 : https://www.vbs.admin.ch/fr/conseil-federal-f35-prix-ferme
DDPS, « Avenir de la défense aérienne », 05.2017 : https://www.vbs.admin.ch/dam/fr/sd-web/5iRYWwukq6cu/Air2030-Bericht-Zukunft-Luftverteidigung-fr.pdf
SCHMID, Adrian, « Das Geld reicht im Extremfall nur für 24 neue Kampfjets » in Tagesanzeiger, 13.12.2025 : https://www.tagesanzeiger.ch/f-35-kampfjets-schweiz-bekommt-moeglicherweise-nur-24-statt-36-791535445209