Nous en parlions il y a peu, la Commission de politique de sécurité du Conseil des États (CPS-E) avait proposé de solliciter le Conseil fédéral afin « de prendre les mesures nécessaires pour que les munitions de poche puissent à nouveau être remises aux militaires ». Pour rappel, il s’agissait de revenir à une pratique qui avait eu cours jusqu’en 2008 et qui consistait à fournir aux militaires des boîtes de munitions scellées à utiliser exclusivement en cas de conflit et dans l’optique de « dégager le chemin » pour se rendre sur les places de mobilisation.
Le rapporteur de cet organe, Werner Salzmann, UDC bernois dont les questions de sécurité sont la spécialité, a tenté d’arguer qu’il ne s’agissait pas de redonner immédiatement lesdites munitions aux soldats mais de mettre les éléments en place, notamment logistiques, afin que cela puisse être fait. Il a également fait valoir qu’il s’agirait là d’une manière de sensibiliser les conscrits à la dégradation du contexte géopolitique et une preuve de confiance envers eux. Bien évidemment, des arguments purement techniques ont aussi été mobilisés, tels qu’une amélioration de la capacité de défense de l’armée ou encore la menace terroriste.
Anticipant les arguments de la gauche, il a également indiqué que la CPS-E ne pensait pas que la distribution de munitions allait entraîner une hausse des suicides chez les astreints, arguant que c’était le renforcement du contrôle psychologique du recrutement qui avait permis de faire baisser le nombre d’homicides, et non forcément le retrait des munitions de poche. Toute personne ayant effectué le recrutement sait toutefois qu’à moins d’être bête à manger du foin, il est relativement facile de donner les réponses attendues lors de ces tests.
Cela n’a guère convaincu les socialistes et les écologistes. Une bonne moitié de leurs élus ont d’ailleurs pris la parole pour dire tout le mal qu’ils pensaient de cette mesure. C’est Daniel Jositsch (PS, ZH) qui a ouvert les feux, avec, il faut le reconnaître, de très bonnes réponses. Il a évidemment mobilisé plusieurs études faisant le lien entre munitions de poche et suicide/homicide, mais il a également contesté la pertinence militaire de la mesure. En effet, si les munitions et les armes restent à la maison, et c’est bien évidemment le cas, le gain de rapidité reste très contenu pour l’armée. En outre, il ne voit pas en quoi cela permettrait d’éviter des attentats tels que ceux de novembre 2015 à Paris et indiqué que ce genre d’opération était de toute manière gérée par la police.
Franziska Roth (PS, SO) a quant à elle rappelé qu’une motion déposée par Jean-Luc Addor (UDC, VS) demandant la même chose avait elle aussi été rejetée par le Conseil national en 2022 par 135 voix contre 45 et 9 abstentions. Seule l’UDC l’avait soutenue.
Le Conseiller fédéral Martin Pfister a expliqué que Werner Salzmann semblait se contredire lui-même car sa motion demandait explicitement que la munition soit redistribuée, et non que des mesures soient prises pour qu’elle puisse l’être. Il a surtout enfoncé le clou en indiquant ne pas imaginer de situation où cette mesure serait aujourd’hui nécessaire et pertinente. Au nom du Conseil fédéral, il a donc proposé de rejeter la motion, et c’est bien ce qui a été fait, par 31 voix contre 9 et 3 abstentions.
Cet objet, dont les conséquences techniques et financières étaient limitées, suscite tout de même quelques commentaires. D’une part, les élus bourgeois, ultra-majoritaires au Conseil des États, n’ont guère pris la parole pour expliquer le manque d’intérêt militaire de la mesure, laissant ainsi le micro à la gauche sur la question. Drôle de manière de donner le la en matière de politique de sécurité.
Ensuite, la recommandation de la CPS-E de soutenir cette proposition par 7 voix contre 5 démontre tout de même qu’une partie non négligeable de ses membres ont une conception pour le moins obsolète de la chose militaire. L’on cherche à remettre en place d’anciennes pratiques sans questionner leur pertinence, alors que l’armée a d’énormes besoins dans pratiquement tous les domaines, et des ressources limitées pour les combler.
Espérons que ces élus ont tiré les leçons de cet échec cuisant et mettent désormais leur énergie dans des objets et projets ayant plus d’intérêt pour notre outil de défense. Il en a grandement besoin.
Sources :
Objet 25.36.28, motion Salzmann « Remettre des munitions de poche aux militaires pour améliorer la disponibilité de l’armée et la volonté de défendre la Suisse », débat au Conseil des États, 03.12.2025 : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=69625
Objet 25.36.28, motion Salzmann « Remettre des munitions de poche aux militaires pour améliorer la disponibilité de l’armée et la volonté de défendre la Suisse », 17.06.2025 : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20253628