Il en aura fallu de (trop) longs mois, mais la Commission de politique de sécurité du Conseil national (CPS-N) a enfin rendu son verdict quant au projet de modification de la loi fédérale sur le matériel de guerre (LFMG).
Pour rappel, l’Assemblée fédérale avait accepté en 2021 de durcir la législation concernant les exportations de matériel militaire. La raison était que le Conseil fédéral avait souhaité assouplir quelque peu celle-ci en permettant notamment que, dans certains cas, la Suisse puisse vendre du matériel de guerre à des pays en situation de guerre civile. La gauche et diverses associations, GSsA en tête, avaient alors brandi la menace d’une initiative. Pour éviter de prendre le risque de voir des règles strictes être ancrées dans la Constitution, le législatif avait donc donné un certain tour de vis, permettant le retrait du texte proposé par les milieux antimilitaristes.
La guerre en Ukraine se déclenchant quelques mois après ce changement législatif, il a immédiatement eu d’importantes répercussions, comme la décision de vendre RUAG Ammotec, d’ailleurs. En effet et comme relaté encore récemment, cela a placé l’industrie suisse de la défense, déjà relativement pauvre, dans une situation difficile. En effet, la Suisse a refusé que le Danemark n’envoie des véhicules Piranha, pourtant achetés il y a des décennies, à l’Ukraine. De la même manière, l’Allemagne a été empêchée de fournir des munitions de 35 mm à Kiev. Dans ce dernier cas, il n’était question que de quelques milliers d’unités et le tapage médiatique sur cette affaire avait sans doute pour objectif de masquer le faible niveau des stocks et l’impréparation militaire allemande.
Quoi qu’il en soit, plusieurs pays, comme l’Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas ou encore l’Espagne ont pris la décision de ne plus acheter d’équipement militaire à la Confédération, jugeant qu’un matériel dont on ne peut disposer comme on l’entend n’était guère intéressant. Même si cette clause était connue de longue date, les différents gouvernements ne s’attendaient sans doute pas à être confrontés à un conflit de haute intensité en Europe, d’une part, et espéraient peut-être un peu plus de souplesse de la part des autorités suisses d’autre part.
Quoi qu’il en soit, le continent se réarme à grande vitesse et la Suisse n’en profite guère. Le niveau des commandes reste même sensiblement le même qu’avant la guerre en Ukraine, tandis que des industriels se disent en difficulté, comme Swiss P Defence (anciennement RUAG Ammotec) ou, encore récemment, Saltech AG qui va délocaliser sa production de munitions de 12,7 mm en Hongrie.
Dans ce contexte, les différents partis sont chacun allés de leur proposition pour trouver une solution à cette conjoncture mortifère pour l’industrie de l’armement helvète, sans succès jusqu’ici. La gauche se satisfaisant très bien de la situation, elle ne voit pas trop de problème à ce que ces entreprises disparaissent ou délocalisent. L’UDC a quant à elle initialement adopté une position très ferme sur la neutralité, en totale contradiction avec toute sa politique jusqu’au déclenchement de la guerre en Ukraine. Ce n’est que ces derniers mois que sa position a quelque peu changé, justement dans l’optique de préserver le peu d’industrie de l’armement qui reste encore.
C’est ainsi que, depuis le début de l’année, une proposition de modification semble faire son chemin dans les différents couloirs du Palais fédéral. Globalement, il s’agit de donner au Conseil la possibilité de déroger aux principes de la LFMG. En avril, la Commission de politique de sécurité du Conseil des États s’était penchée sur ce projet et avait même souhaité aller plus loin. En effet, au lieu d’accorder des dérogations, la commission proposa de valider en règle générale les exportations et les réexportations, le contraire étant l’exception.
La CPS-N avait quant à elle pris plus de temps pour débattre de cet objet. En août, elle avait plutôt soutenu la proposition du Conseil fédéral, à savoir lui donner la compétence de déroger, sous conditions, à la loi sur le matériel de guerre. En revanche, elle a attendu jusqu’au 11 novembre dernier pour se prononcer sur le régime des réexportations. En définitive, elle propose de renoncer désormais en principe aux déclarations de non-réexportation, en laissant la possibilité au Conseil fédéral d’en demander si cela s’avérait être pertinent. À noter que la commission a également dû se pencher sur une initiative parlementaire déposée par une conseillère nationale écologiste, Marionna Schlatter (ZH) en septembre 2024. Celle-ci visait à interdire purement et simplement les exportations d’armes… Oui, vous avez bien lu. Fort heureusement, la CPS-N n’a évidemment pas donné suite.
Les deux chambres du Parlement n’étant pas d’accord, la session d’hiver devrait servir à éliminer les divergences entre les deux, et adopter un texte définitif, pour peu qu’il ne soit pas soumis à référendum de la part de la gauche.
Dès lors, et sûrement plus de 4 années après le déclenchement du conflit en Ukraine, peut-être aurons-nous une loi répondant aux enjeux du moment…
Sources :
Communiqué de presse de la Commission de politique de sécurité du Conseil des États, 01.04.2025 : https://www.parlament.ch/press-releases/Pages/mm-sik-s-2025-04-01.aspx?lang=1036
Communiqué de presse de la Commission de politique de sécurité du Conseil national, 12.08.2025 : https://www.parlament.ch/press-releases/Pages/mm-sik-n-2025-08-12.aspx?lang=1036
Communiqué de presse de la Commission de politique de sécurité du Conseil national, 11.11.2025: https://www.parlament.ch/press-releases/Pages/mm-sik-n-2025-11-11.aspx?lang=1036
Message concernant la modification de la loi fédérale sur le matériel de guerre, 12.02.2025 : https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/2025/650/fr
Objet 24.455, initiative parlementaire Mariona « Faire en sorte que la Suisse stoppe ses exportations de biens d’armement et qu’elle mène ainsi une politique de paix cohérent » : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20240455