Comme nous le rappelions encore hier, la situation de notre industrie de l’armement n’est pas bonne. Il ne devrait pourtant pas en être ainsi, dans la mesure où le conflit en Ukraine a entraîné une augmentation massive de la demande en équipements militaires. Mais voilà, notre législation est très stricte concernant les (ré)exportations d’armes frappées de l’écusson fédéral. À tel point que l’Espagne, le Danemark ou l’Allemagne ont indiqué ne plus vouloir se fournir chez nous. Si cela peut en partie être déclamatoire, nécessité faisant foi, le volume de commandes global auprès des fabricants tend à se tasser.
Dernier exemple en date, l’entreprise soleuroise Saltech AG. Fondée en 2003 et rachetée par le groupe tchèque Colt CZ en juillet 2023, la compagnie vient d’annoncer le transfert de la fabrication de munitions de 12,7 mm en Hongrie. Et la maison-mère ne passe pas par 4 chemins pour expliquer sa décision : la législation suisse est trop stricte.
Mais il n’en a pas toujours été ainsi, ou en tout cas pas dans pareille mesure. En effet, après la votation de 2009 visant à interdire l’exportation de matériel de guerre, le Conseil fédéral a procédé à divers assouplissements. Et en 2018, il a fait une proposition supplémentaire, à savoir permettre de vendre des équipements militaires à des nations en proie à la guerre civile. Cette proposition a hérissé le poil de diverses organisations et ONG, dont le GSsA, mais aussi de la gauche et d’une partie du centre de l’échiquier politique.
Dans ce cadre, une initiative visant à restreindre drastiquement les possibilités d’exporter et les inscrire dans la Constitution a été lancée. Pour éviter de voir cela arriver, la droite a proposé un contre-projet direct lors de la session parlementaire de juin 2019, puis tout cela a été débattu jusqu’en septembre 2021. Les deux chambres se sont alors accordées sur un compromis et l’initiative a été abandonnée. Tout est bien qui finit bien ? Non, car pour que la menace d’une votation populaire s’éloigne, il a fallu faire quelques concessions, et donc durcir la loi sur les exportations de matériel de guerre. Et cela à quelques mois du déclenchement du conflit en Ukraine…
Et depuis, les choses n’en finissent plus de ne pas bouger. En effet, la gauche antimilitariste voit certainement d’un bon œil l’affaiblissement de l’industrie de l’armement suisse tandis que l’UDC a adopté une posture très ferme, voire jusqu’au-boutiste sur les questions de neutralité. Les autres partis politiques, quant à eux, y vont chacun de leur proposition.
Malgré tout, il se pourrait que le Parlement parvienne à trouver un nouveau compromis permettant de remettre quelque peu en selle notre industrie de l’armement. En effet, le parti agrarien s’est rendu compte que sa position menaçait un pan important de notre relative autonomie militaire et a donc proposé une version édulcorée de son initiative sur la neutralité. Le Conseil fédéral a proposé un régime dérogatoire qui serait plus souple que le régime actuel, tandis que la Commission de politique de sécurité du Conseil des États a quant à elle proposé un changement important de paradigme : les exportations seraient en général autorisées, sauf avis contraire.
L’organe similaire du Conseil national s’est déjà penché sur la question en août, en penchant plutôt du côté du Conseil fédéral, mais n’a pas pu traiter tous les aspects de la loi. Elle n’a pas donné de nouvelles informations sur la question depuis, alors que le temps presse… Elle devrait toutefois se réunir et plancher sur la question dans ces prochains jours.
Espérons que grâce à cette prise de position, le Parlement puisse mettre sous toit une nouvelle mouture de la loi sur les exportations de matériel de guerre lors de la prochaine session. Même si ce devait être le cas, reste encore la menace d’un référendum qui ferait encore perdre de nombreux mois à notre industrie de l’armement… et encore faut-il que le souverain suive nos autorités !
Sources :
Communiqué de presse de la Commission de politique de sécurité du Conseil national du 12.08.2025 : https://www.parlament.ch/press-releases/Pages/mm-sik-n-2025-08-12.aspx?lang=1036
SCHMID, Adrian, «Krise in der Rüstungsindustrie: Schweizer Munitionsfabrik verlagert Produktion nach Ungarn», in SonntagsZeitung, 01.11.2025: https://www.tagesanzeiger.ch/munition-saltech-verlagert-produktion-nach-ungarn-771275177171
Page de présentation de l’entreprise Saltech : https://saltech.ch/en/company/
STAEHELIN, Konrad, « L’UDC est prête à tempérer sa propre initiative sur la neutralité », in 24 Heures, 09.09.2025 : https://www.24heures.ch/neutralite-ludc-prete-a-temperer-sa-propre-initiative-356637451884
Communiqué de presse de la Commission de politique de sécurité du Conseil des États du 01.04.2025 : https://www.parlament.ch/press-releases/Pages/mm-sik-s-2025-04-01.aspx?lang=1036