
Ce n’est rien de dire que l’existence de RUAG n’est pas un long fleuve tranquille ces dernières années. En effet, la holding d’armement et d’aéronautique, propriété à 100% de la Confédération jusqu’à 2020, a connu plusieurs affaires : l’importante cyber-attaque de 2015 et révélée en janvier 2016 à la suite de renseignements transmis par l’Allemagne, les énormes difficultés à terminer le développement du lance-mines « Cobra » acheté par l’Armée suisse sous le nom de « mortier 16 » et la cession des activités cyber qui ont rencontré de grandes difficultés et un certain nombre de lacunes.
RUAG a déjà connu passablement de bouleversements depuis la fin de la Guerre froide. La réforme Armée 95 a amené les Fabriques Fédérales d’Armement à devenir RUAG, holding regroupant plusieurs entreprises actives dans l’aéronautique, l’armement, l’électronique et les munitions. L’objectif était alors de diversifier les activités du groupe et de les rendre rentables, tandis que les collaborateurs perdaient leur statut de fonctionnaires, et voyaient leur nombre baisser significativement.
Aujourd’hui, RUAG connaît une nouvelle évolution significative : la Confédération souhaite se séparer de tous les secteurs de l’entreprise qui ne seraient pas directement liés aux activités de l’Armée suisse, notamment l’aérospatiale et les munitions. Ainsi, MRO International (notamment le site d’Oberpfaffenhofen en Bavière), qui compte 630 employés et s’occupe de la maintenance, la réparation et l’exploitation des avions d’affaires et des hélicoptères militaires ainsi que la production des Dornier 228 a déjà été cédée à General Atomics Europe. Un autre objectif serait de vendre RUAG Ammotec (2200 collaborateurs, dont 380 à Thoune), filiale spécialisée dans les munitions et poule aux œufs d’or de RUAG. Cette division a en effet contribué aux résultats annuels 2020 par un chiffre d’affaires record de 487 millions de francs et un bénéfice de 44 millions de francs. La direction indique en outre qu’une « croissance robuste est également attendue » pour les années suivantes.
Seulement, il semblerait ces restructurations sont fraîchement accueillies au Parlement. Le Conseil national s’est en effet prononcé contre cette vente, notamment pour RUAG Ammotec (110 voix contre 79 et 2 abstentions). La droite s’y oppose en effet pour des questions de souveraineté industrielle, tandis que la gauche craint la perte de savoir-faire et de capacités d’innovations dans le domaine spatial. Le Conseil des États soutient en revanche cette réorganisation. D’après Thomas Minder (sans parti, groupe UDC), cette vente permettrait de donner plus de libertés à RUAG Ammotec, notamment celle d’investir à l’étranger. En outre, certains conseillers aux États regrettent que l’entreprise soit devenue « un magasin général avec la fabrication et la vente de munitions et d’accessoires de chasse ».
Lors de la cession d’été, le conseiller aux États Josef Dittli (PLR, Uri), initialement favorable à la vente de RUAG Ammotec, a demandé à débattre sur la question à la suite d’informations parues dans l’émission Rundschau de la RSF. Celle-ci a indiqué que le dégroupage des différentes filiales de RUAG n’était de loin pas finalisé. Cela signifie que l’entreprise n’aurait pas encore terminé la scission entre ses activités publiques et privées, rendant possible des fuites d’informations sensibles de la Confédération. Le CEO de RUAG International n’a pas manqué de réagir, en envoyant un message électronique dans lequel il réfutait de nombreuses accusations, tout en affirmant qu’une analyse complète de l’ensemble du paysage informatique montrerait qu’il existe encore de graves faiblesses et qu’il est nécessaire d’agir. Pas vraiment de quoi rassurer les conseillers aux États, donc.
Dans la foulée, le Contrôle fédéral des finances a publié le rapport « Audit de sécurité informatique » sur Ruag MRO Holding AG, c’est-à-dire la partie suisse de Ruag, dans lequel il est indiqué que le transfert de données avait eu lieu et que celles-ci étaient désormais sécurisées. Mais cet organe de surveillance indique également que, malgré les résultats positifs, il existe encore des domaines inachevés en matière de sécurité informatique, ce qui n’a pas manqué de faire les gros titres de la presse.
Aussi reste-t-il des doutes quant au degré d’accomplissement du dégroupage de RUAG MRO avec RUAG Ammotec. Le Conseil des États a donc décidé de sursoir sa décision finale à la session d’automne, de manière à prendre en compte ces éléments et mieux intégrer et analyser sa divergence avec le Conseil national.
Quoi qu’il en soit, cette réorientation de la politique suisse en matière d’armement interpelle, d’autant plus que la pandémie a bien montré l’utilité de disposer sur son sol des industries pouvant devenir critiques en cas de crise, et, mieux encore, de les contrôler directement. En outre, quel intérêt à vendre une entité qui, chiffres à l’appui, fonctionne extrêmement bien ? Enfin, et même s’il faudra certainement plus de temps pour juger de l’efficacité de cette réorganisation, RUAG MRO n’atteint pour l’instant pas tous ses objectifs (notamment celui de ne pas dépasser 20% du chiffre d’affaires auprès d’autres clients que le DDPS) et aucune comparaison n’est disponible avec les années précédentes. La réorganisation des anciennes Fabriques Fédérales d’Armement n’a donc pas fini de faire parler d’elle !
Sources :
https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/041663/2011-04-14
Allgemeine Schweizerische Militärzeitschrift – juin 2021 « Démarrage sous-optimal »
https://www.24heures.ch/suisse/ruag-perdu-conquete-cyberespace/story/26498663
https://www.letemps.ch/economie/restructuration-ruag-suscite-une-avalanche-critiques