
Les bonnes nouvelles sont rares dans le dossier F-35. Ainsi, lorsqu’il y en a, le DDPS met les petits plats dans les grands du point de vue de la communication.
Ainsi, le 9 octobre dernier, le département a annoncé que RUAG MRO, la partie de RUAG restée en mains fédérales, allait effectuer l’assemblage de 4 avions F-35 sur les 36 acquis par la Suisse. Enfin, 36, si le Conseil fédéral décide de conserver la cible initialement prévue, ce qui signifierait un crédit complémentaire, porte ouverte à un scandale politique et une potentielle nouvelle votation. Martin Pfister a d’ores et déjà laissé entendre que la Confédération pourrait s’épargner ces difficultés en diminuant simplement le nombre d’appareils commandés. Et nous parions que c’est bien vers cette variante, la moins douloureuse politiquement parlant, qui sera sélectionnée par le Conseil fédéral. D’un point de vue opérationnel, ce serait en revanche une tout autre affaire…
Quelle que soit la taille de la flotte, le site d’Emmen de RUAG MRO servira donc à monter 4 des appareils commandés par la Suisse, et cela entre 2027 et 2031. 120 emplois seront créés à cette fin, assurant quelques retours économiques, en Suisse-allemande comme en Romandie, tous ces postes n’étant pas localisés à Emmen. Payerne devrait en effet en bénéficier également.
D’après les grands pontes du DDPS, ce projet, bien que très limité par le nombre d’aéronefs impliqués, permettra à la Suisse de développer des compétences rares en Europe, puisque seule l’Italie a les capacités d’assembler des F-35 sur le Vieux continent. Elle permettra aux techniciens helvètes de disposer d’un savoir-faire avancé pour assurer la maintenance de nos futurs avions, permettant un gain de souveraineté.
Le département indique aussi que grâce à cela, « RUAG MRO acquiert de nouvelles compétences dans la construction de la structure des avions de combat. La Suisse prend ainsi une longueur d’avance sur la plupart des autres pays exploitant les F-35A. » Une longueur d’avance, peut-être, mais pour faire quoi ? L’entreprise en mains fédérales compte-t-elle se lancer dans le développement d’un avion de 6ème génération ? La question n’est qu’à moitié rhétorique, tant il est vrai que les projets européens dans le domaine patinent et se cherchent donc de nouveaux partenaires. Une carte à jouer pour notre petit pays ?
S’il s’agit sans doute d’une petite performance pour notre pays, rappelons toutefois que le périmètre des affaires compensatoires s’est réduit depuis la votation de septembre 2020 tandis que le coût de l’acquisition a pris l’ascenseur. En effet, l’offre américaine était initialement de 4.6 milliards de dollars, puis a rapidement été ramenée à 6.08 milliards, en raison de l’inflation, avant de connaître une nouvelle augmentation en août dernier, comprise entre 650 millions et 1,3 milliard de francs suisses, et cela alors que le nombre de munitions comprises dans le contrat était extrêmement bas. Dans le même temps, les affaires compensatoires sont passées de 3.6 à 2.9 milliards de francs.
Dans ce contexte d’augmentation des coûts, de diminution des retours industriels et de craintes par rapport au calendrier de livraison qui ne pourrait être tenu, ce projet est très contesté, tant au sein de la population qu’au Parlement. Un sondage effectué par le groupe Tamedia et publié ces derniers jours indique, sans surprise, que les citoyens ne soutiennent plus guère le Conseil fédéral dans ce dossier tandis que la gauche annonce dans la presse dominicale le lancement d’une « initiative-turbo » afin de faire annuler cet achat.
Cette menace semble quelque peu curieuse dans la mesure où il se passe en général plusieurs années entre le lancement d’une initiative et la votation populaire sur le sujet. En outre, cet outil vise à inscrire un nouvel article dans la Constitution, ou en abroger/modifier un. Ce n’est donc rien de dire que ce n’est pas l’instrument le plus adapté dans le cadre d’une acquisition militaire.
Mais qu’importe. Dans un contexte aussi négatif, le DDPS se sent certainement dans l’obligation de donner des gages à ses derniers soutiens, à droite de l’échiquier politique et dans les milieux industriels. Cela sera-t-il suffisant pour étouffer la grogne régnant actuellement en Suisse au sujet de la saga F-35 ? Réponse dans ces prochains mois !
Sources :
Communiqué de presse du DDPS du 09.10.2025 : https://www.vbs.admin.ch/fr/newnsb/umVZC6TiZYJmGkhseGC-5
S. A. « Martin Pfister : « Pour 6 milliards, il est possible qu’on achète moins de 36 avions » », in RTS Info, 25.09.2025 : https://www.rts.ch/info/suisse/2025/article/f-35-martin-pfister-envisage-moins-d-avions-pour-respecter-le-budget-29008709.html
PASSER, Christophe, « À Payerne, Martin Pfister est passé rêver des F-35 », in 24 Heures, 09.10.2025 : https://www.24heures.ch/payerne-pfister-examine-la-maintenance-des-f-35-a-venir-870114120607
SCHMID, Adrian, « Le PS et les Verts préparent une initiative turbo contre le F-35 », in 24 Heures, 12.10.2025 : https://www.24heures.ch/f-35-la-gauche-envisage-une-turbo-initiative-pour-stopper-lachat-695458062526
ZUERCHER, Caroline, « Les Suisses ne veulent pas payer plus pour les jets », 24 Heures, 10.10.2025 : https://www.24heures.ch/f-35-moins-dun-suisse-sur-cinq-veut-payer-plus-pour-les-jets-857808019575
WOLF, Fabrice, « Les révélations sur le programme F-35 suisse mettent en cause la sincérité de la compétition de 2021 », in Méta-défense, 30.06.2025 : https://meta-defense.fr/2025/06/30/revelations-f-35-suisse-sincerite-2021/#des-appareils-livres-aux-forces-aeriennes-helvetiques-sans-munitions