
Alors que Nina Christen, et la Suisse avec elle, brille aux jeux olympiques de Tokyo, le milieu du tir helvétique est sous pression. L’adoption de la directive européenne sur les armes en 2019 n’en est que la démonstration la plus parlante de ces dernières années. Le débat portant sur le programme d’armement 2021 en est une autre illustration. En effet, la gauche du Conseil national revient systématiquement sur la question des achats de munitions servant aux sociétés de tir à l’occasion du débat sur le programme d’armement. Ainsi, Priska Seiler Graf (PS, ZH) a proposé de supprimer ceux-ci et de réduire de 10,2 millions le montant de 772 millions destiné à l’acquisition de matériel.
La proposition a été logiquement soutenue par les Verts, au travers de Fabien Fivaz (V, NE), pour qui ce montant finance des activités qui n’ont aucun lien direct avec l’armée. « La Confédération pourra continuer à soutenir ces sociétés comme n’importe quelle autre société sportive via les subventions de l’Office fédéral du sport » a-t-il ajouté. Franziska Roth (PS, SO) a poursuivi en indiquant que la « subvention » de 10.2 millions de francs était injuste par rapport à d’autres sports, qui permettent également aux jeunes conscrits d’entrer en bonne condition physique à l’armée. Elle a ajouté que ce poste, grâce auquel des munitions sont fournies à prix coûtant aux stands, n’avait fait que grossir ces dernières années. Les Verts-Libéraux se sont également montrés circonspects quant à cette dépense. François Pointet (VL, VD) a par exemple exposé ses griefs : « Affirmer qu’en stand, on entraîne le tir de combat, me laisse généralement dubitatif. Nous sommes conscients qu’il existe une base légale pour ce soutien, mais nous devrions enfin attaquer ce problème sous l’angle de l’efficacité. » Enfin, il apparaît que certains membres du Centre, notamment féminins, commencent également à remettre en question ce poste.
Stefanie Heimgartner (UDC, AG), Jean-Luc Addor (UDC, VS), Rocco Cattaneo (PLR, TI), Alois Gmür (le Centre, SZ) et Viola Amherd ont tous défendu ce montant. Pour eux, « le tir hors service, c’est-à-dire le tir obligatoire, revêt une grande importance pour le DDPS, car il est dans l’intérêt de notre défense nationale et constitue également une grande partie de l’entraînement au tir. » Ils soutiennent également que les sociétés de tir permettent de décharger l’Armée d’une partie de l’instruction et offrent ainsi une meilleure disponibilité opérationnelle des soldats. Si les sociétés de tir cessaient leurs activités, ce qui pourrait arriver si elles devaient payer les munitions au tarif plein, alors l’Armée devrait prendre en charge une partie importante de la formation au tir, avec tous les coûts que cela suppose. Il n’en résulterait donc pas forcément une économie pour l’État. Mme Viola Amherd a précisé que des mesures avaient été prises pour diminuer les coûts, comme par exemple l’arrêt de la fourniture de munitions spéciales, non utilisées par l’Armée. De plus, le nombre de munitions distribuées aurait diminué de 10% depuis 2010. Malgré tout, Rocco Cattaneo n’a pas hésité à dire que la suppression de ce montant mettrait en danger les associations de tir, donnant quelque peu raison à la gauche du Parlement.
La motion Seiler Graf a finalement été refusée par 108 contre 80 voix. Toutefois, Ida Glanzmann Hunkeler (Le Centre, LU) a indiqué qu’un débat sur la question de la poursuite des tirs obligatoires et la politique de soutien au tir allait prochainement avoir lieu, et le résultat pourrait bien être plus serré cette-fois ci.
Cet épisode nous amène deux commentaires. Le premier, relativement trivial et pas forcément lié aux affaires militaires, est qu’il est assez surprenant de voir que le Conseil national perd du temps à répondre chaque année à la même question, et cela depuis longtemps. La durée consacrée à ce poste est inversement proportionnelle à son importance budgétaire, et cela d’autant plus que la réponse était déjà connue bien avant la session. Que la gauche tente la manœuvre périodiquement, en début de législature, pour prendre la température, paraît sensé d’un point de vue politique. Il est en revanche bien plus discutable de revenir à chaque programme d’armement sur le sujet, vu que la majorité n’a pas bougé entretemps. On pourrait s’imaginer que le temps économisé permettrait de débattre sur d’autres objets, ou amener des idées, mais l’efficacité et l’envie d’améliorer les choses ne sont manifestement pas les objectifs de tous les parlementaires.
Deuxièmement, et nous n’allons pas nous faire des amis, mais il apparaît que les critiques de la gauche ne sont pas totalement infondées. L’utilité des tirs obligatoires dans leur forme actuelle est largement contestable. Il paraît évident que ce n’est pas en tirant 20 cartouches par année que l’on conserve de bonnes aptitudes. Pour que l’exercice fasse sens, il faudrait augmenter la fréquence des tirs obligatoires à 3-4 fois par année. Dans l’état actuel des choses, cela représente effectivement une rente déguisée aux sociétés de tir, bien plus qu’un entraînement efficace au tir et au maniement de l’arme. En revanche, les clubs permettent effectivement de décharger l’Armée d’une partie de l’instruction ; les soldats ayant eu affaire à un officier étant passé par la case « jeunes tireurs » voient certainement la différence avec des cadres ayant touché un fusil d’assaut pour la première fois lors de leur l’école de recrues. Dans tous les cas, la suppression de cette subvention et l’achat de munitions à prix plein qui en découlerait mettrait un certain nombre de sociétés de en difficulté. Il reviendra donc au parlement de se prononcer sur la politique de soutien au tir qu’il souhaite accorder, et dans quelle mesure les clubs doivent être liés à l’Armée.
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