Après l’engagement en Grèce, la Suisse doit-elle envisager de systématiser les interventions à l’étranger ?

Super Puma suisse en opération sur l'île grecque d'Evia, @Mark Hauser

Le DDPS et le DFAE l’ont annoncé de concert ce dimanche, les 3 Super Pumas et la quarantaine de spécialistes et personnels qui les accompagnaient ont terminé leur mission visant à maîtriser les intenses feux de forêts qui sévissaient dans diverses provinces hellènes, notamment l’île d’Eubée et le Péloponnèse. « Au total, les hélicoptères suisses ont effectué 226 rotations et déversé plus de 386 tonnes d’eau sur les feux. […] ils ont effectué 75.5 heures de vol. »

La « saison des incendies » étant manifestement loin d’être terminée, il n’est pas impossible qu’une nouvelle demande d’aide parvienne aux autorités suisses. Dans ce cadre, il convient de mettre en perspective quelques remarques et questions au sujet des interventions helvètes à l’étranger.

Premièrement, ces opérations, intelligemment médiatisées par le DFAE et le DDPS, permettent à la Suisse et ses forces armées de se montrer sous un jour avantageux, aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur. D’ailleurs, les articles y relatifs ont, semble-t-il, été très consultés et largement partagés sur les réseaux sociaux, avec des commentaires positifs. Ce genre d’aspect ne peut plus être oublié aujourd’hui, à l’heure où le monde numérique dicte le degré de notoriété d’une personne ou d’une institution. L’Armée suisse a et aura donc besoin à l’avenir d’occasions de se mettre en avant dans les médias, et pas seulement au travers d’exercices ou de considérations théoriques, mais d’engagement réels. Il n’en faudra pas moins pour effacer les différentes erreurs et lacunes largement mises en avant ces dernières années, comme la fameuse « affaires des heures de bureau. »

Ensuite, ces engagements permettent au personnel d’acquérir de l’expérience au travers de véritables interventions. Il va sans dire que celles-ci valent tous les exercices du monde, qui ne peuvent d’ailleurs pas toujours bien simuler une situation réelle. En outre, les pilotes d’hélicoptères devant effectuer un quota annuel d’heures, il paraît plus utile que celles-ci soient employées à éteindre des incendies qu’à transporter M. XY de l’administration fédérale.

Dès lors, la Suisse devrait-elle effectuer plus de missions de ce type ? Jusqu’ici, ce genre d’intervention n’était pas fréquent. La dernière remonte à 2017, quand le Portugal était lui aussi ravagé par d’importants incendies. 3 hélicoptères avaient alors été envoyés en soutien. Ainsi, on ne peut considérer ces missions d’aide comme fréquentes.

Il convient de rappeler que la Suisse intervient uniquement sur demande officielles des pays touchés par des catastrophes. Mais il n’est pas interdit de réfléchir à être proactif, et proposer une aide spontanée. Ces opérations de soutien, relativement limitées dans le temps et en moyens, permettent à la Suisse de renforcer ses relations avec ses voisins européens à moindre frais. Dans le contexte actuel, où les contacts avec l’Union européenne tendent à devenir plus froids et conflictuels, ce genre de preuve de bonne volonté permettrait d’envoyer un signal positif à nos voisins.

Si une telle décision était prise, alors il conviendrait de se poser la question des moyens. En effet, la flotte de voilures tournantes suisse est relativement limitée, puisqu’elle ne compte que 26 hélicoptères de transport Cougar/Super Puma et 20 appareils légers EC635. Ainsi, entre la formation, la maintenance et un appareil régulièrement engagé au Kosovo, il n’est pas certain que les Forces aériennes suisses disposent du volume suffisant pour assurer des interventions à l’étranger de manière soutenue. Les Cougars/Super Pumas pourraient être renforcés par quelques appareils d’occasion d’ici à ce que cette flotte soit remplacée, durant la prochaine décennie.

Une flotte de bombardiers d’eau ne serait pas forcément indiquée, car, selon Fabbio Regazzi (PDC, TI) en 2018, un appareil de type canadair « serait peu adapté aux caractéristiques de notre territoire selon les experts. » Or, il va sans dire que notre flotte doit d’abord être taillée pour nos propres besoins.

Enfin, si la politique d’intervention à l’étranger devait évoluer, il faudrait également songer à acquérir des avions de transports. En effet, il faut rappeler que la Suisse n’avait pas pu envoyer d’hélicoptères au Libéria en 2014 pour lutter contre l’épidémie d’Ebola, faute de trouver une nation prête à louer un appareil de transport pour ce faire. De même, elle dépendait intégralement de prestataires privés pour rapatrier ses concitoyens durant la première phase de la pandémie de coronavirus. En outre, le gouvernement suisse doit très fréquemment faire appel à d’autres nations ou entreprises pour effectuer des transports au bénéfice de la KFOR, au Kosovo. Malgré tout, une telle acquisition n’est pas à l’ordre du jour, même si le débat revient fréquemment au Parlement. Pour rappel, une telle capacité figurait au programme d’armement 2004, avec l’achat de deux avions CASA C-295M pour 109 millions, mais celle-ci a été biffée par le Conseil national.

Le sujet des interventions à l’étranger pose bien évidemment des questions de politique de sécurité plus large. Les moyens financiers globaux de l’Armée doivent-ils être augmentés pour financer ce volet, ou simplement pris sur le budget existant, quitte à opérer une certaine réorientation des missions de l’Armée ? Et dans quelle mesure la Suisse pourrait et devrait-elle augmenter ses interventions à l’étranger ? Doit-elle intégrer des opérations plus larges, ou monter les siennes pour rester indépendantes ?

Aujourd’hui, il semblerait bien que de telles réflexions ne sont pas à l’ordre du jour. Les rapports sur l’avenir de la défense aérienne et sur l’avenir des forces terrestres, qui vont structurer les développements de nos forces armées jusqu’en 2032, ne consacrent pas de chapitre sur ce sujet. En outre, il paraît aujourd’hui difficile d’obtenir un consensus au Parlement. La droite n’acceptera pas que des investissements soient faits dans ces secteurs au détriment des moyens de combat. L’UDC voit quant à elle les opérations à l’étranger d’un mauvais œil, et rechigne donc à soutenir des acquisitions dédiées à cela. La gauche, pour sa part, n’acceptera pas d’augmenter le budget de l’armée, arguant qu’elle devrait plutôt faire l’impasse sur les moyens de combat lourds et se concentrer sur la cyber-défense et le soutien aux autorités civiles suisses et étrangères, comme elle ne manque pas de le rappeler à chaque occasion.

Il est donc peu probable que la Suisse augmente significativement ses interventions à l’étranger dans ces prochaines années. Cela étant, rien ne coûte d’y réfléchir !

Sources :

https://www.vbs.admin.ch/fr/home.detail.nsb.html/84714.html

https://www.eda.admin.ch/…/fr/meta/news/2017/8/19/67786

https://www.vtg.admin.ch/…/moyens-d…/luft/cougar.html

https://www.parlament.ch/…/suche-curia-vista/geschaeft…

https://www.checkpoint-online.ch/…/Arm0047…

https://www.letemps.ch/…/suisse-nenverra-dhelicopteres…