
Le 29 novembre 2009, les électeurs se prononçaient à 68.2% contre une initiative visant à interdire l’exportation de matériel de guerre. Depuis cette votation, le Conseil fédéral a procédé à divers assouplissements sur les réglementations régissant ces ventes à l’étranger. En 2018, il a annoncé vouloir permettre, de manière exceptionnelle, d’exporter du matériel de guerre vers des pays en proie à la guerre civile. Cette décision a suscité une levée de bouclier parmi les milieux de gauche, le GSsA, mais aussi une partie du centre et des ONG. Une coalition a donc lancé une initiative visant à inscrire différentes interdictions dans la Constitution, à savoir :
- L’exportation d’armes vers des pays impliquées dans des guerres, qu’elles soient internationales ou civiles, avec quelques exceptions toutefois.
- Les ventes à des pays violant systématiquement et gravement les droits de l’homme
- Lorsque le risque que le matériel de guerre soit utilisé contre la population civile est élevé dans le pays de destination
- Lorsque le risque que le matériel de guerre soit transmis à un destinataire final non souhaité est élevé dans le pays de destination.
Les signatures ayant été récoltées assez rapidement, le texte a donc été soumis au Conseil fédéral et aux deux chambres parlementaires en juin 2019. Un contre-projet direct a été élaboré. Il a été discuté ce printemps au Conseil des États, et ces derniers jours au Conseil national. Si tous deux ont nettement rejeté l’initiative, notamment pour des questions de sécurité juridique auprès des partenaires commerciaux actuels, de flou dans le texte proposé et de diminution de la compétitivité des entreprises d’armement helvètes, ils ont en revanche adopté le contre-projet. Celui-ci prévoit notamment d’interdire l’exportation de matériel vers les pays en proie à la guerre civile, point qui a justement été à la base du débat politique. De même, il ne sera pas possible de vendre des armes à des pays violant systématiquement les droits humains.
Le Conseil fédéral voulait toutefois conserver la possibilité de passer outre ces interdictions lorsque des circonstances exceptionnelles le justifient. Cette disposition, âprement discutée au Conseil des États, a finalement été rejetée par 22 voix contre 20. Celle-ci aurait rendu les interdictions surnommées quelque peu caduques, et était bien trop large au goût des élus. Deux autres propositions, issues du camp rose-vert, ont en revanche été largement refusées. Les exportations ne seront interdites que s’il y a un risque que le matériel de guerre soit utilisé contre des civils dans le pays de destination. La livraison de pièces de rechange pour le matériel déjà autorisé sera elle possible.
Le même débat s’est plus ou moins tenu au Conseil national, avec le même résultat. Il s’en est à nouveau fallu de peu pour que l’exception voulue par le Conseil fédérale reste inscrite dans le contre-projet, mais les conseillers l’ont finalement écartée par 96 voix contre 91 et 6 abstentions.
Grâce à l’adoption de ce contre-projet sans la possibilité d’exception voulue par le gouvernement, les initiant ont déjà annoncé retirer leur initiative. Il s’agit là d’un compromis typiquement suisse : les initiants voulaient voir leur texte ancré dans la Constitution, de manière rigide, tandis que la droite voulait laisser au Conseil fédéral la possibilité de légiférer par ordonnance.
Au final, il s’agit bien d’une victoire pour les milieux opposés aux exportations d’armes, mais il faut aussi avouer que le Conseil fédéral avait certainement trop tiré sur la corde ; cette loi n’aurait pas vu le jour s’il n’avait pas proposé d’autoriser la vente d’armes aux pays en proie à la guerre civile. Après, l’on pourra rétorquer que ce sont justement les pays en guerre qui ont besoin d’armes… Quoi qu’il en soit, cette proposition pouvait choquer une partie non négligeable de l’opinion publique, et possiblement fédérer une majorité autour de l’initiative dite « correctrice ». L’on se demande également si la valeur des contrats rendus possibles grâce à l’ordonnance de 2019 égale celle des contrats perdus du fait de cette nouvelle loi. Sans être dans le secret des exportateurs d’armement, le Conseil fédéral et eux ont sans doute bien plus perdu que gagné dans cette affaire. À vouloir être trop gourmand…
En acceptant le contre-projet direct, les deux chambres évitent l’éventualité d’une votation, avec le risque qu’elle débouche finalement sur l’inscription de ce texte dans la Constitution, sans possibilité d’être adapté au contexte géopolitique. En effet, c’est bien l’organe législatif qui gardera la main sur ces règlementations, permettant de les adapter aux besoins. Compte-tenu du contexte international, il ne semble pas que de nouveaux durcissements devraient survenir prochainement, au contraire.
Enfin, l’on pourra souligner que même si les critères viennent finalement d’être durcis, l’industrie suisse de l’armement ne devrait pas être trop péjorée. Comme ses représentants et ses défenseurs aiment à le souligner, ses principaux clients et contrats se situent en Europe. En 2020, selon la RTS, la Suisse a exporté pour plus de 900 millions de francs de matériel de guerre. « Les cinq plus grands pays importateurs de matériel de guerre ont été le Danemark, avec des livraisons d’une valeur de 160,5 millions de francs, suivi de l’Allemagne (111,8 millions), de l’Indonésie (111,6 millions), du Botswana (84,9 millions) et de la Roumanie (59,2 millions). Suivent les Etats-Unis (43,8 millions), le Brésil (30,2 millions) et Oman (29, 5 millions). Plus bas dans le classement, les exportations vers la France se sont élevées à environ 19,1 millions, à 10,2 millions vers l’Arabie saoudite ou encore 4,6 millions vers le Bahreïn. » L’Europe, comme le reste du monde avec elle débutant une phase de réarmement, les industriels suisses ne devraient pas se retrouver de sitôt sur la paille.
Sources :
https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20210021
https://initiative-rectification.ch/korrektur-initiative/der-initiativtext