
La session parlementaire étant toujours en cours, nous tâchons de vous relater ce qui s’y dit par rapport à la politique de sécurité. Nous nous excusons du délai entre les débats et les publications s’y rapportant, la quantité de document à traiter étant importante, et en majorité en allemand, qui plus est ! Actuellement, ce sont 125 pages de débats que nous avons traduites et/ou lues, et c’est n’est pas encore tout ! Nous pourrions bien entendu nous contenter de reprendre et modifier quelques peu les communiqués édités chaque jour par les services du Parlement, mais il s’avère que de très nombreuses et intéressantes informations figurent dans ces PV. Nous tenons ainsi à en prendre connaissance avant de rédiger nos articles.
Cette petite précision étant faite, place aux actualités !
Il y a quelques années, le Conseil fédéral a décidé diviser l’entreprise de défense et de technologie RUAG, propriété de la Confédération à 100% jusqu’à il y a peu. Ainsi, RUAG MRO, active dans la maintenance et la production de pièces et équipements à 80% pour le compte du DDPS, resterait en mains publiques tandis que le reste doit être vendu.
Il y a dix jours, le Conseil des États a âprement débattu de ce sujet, et plus spécifiquement de la vente de RUAG Ammotec. Les discussions ont d’ailleurs été bien plus fournies que celles concernant le Message sur l’armée 2021. C’est que la commission de politique de sécurité de la chambre des cantons était particulièrement divisée sur la question, 6 de ses membres recommandant de voter « oui », et 6 de voter « non » à une motion allant dans le sens du maintien de cette entreprise dans le giron public. En outre, une autre motion visant à privilégier les acheteurs stratégiques nationaux a été proposée en commission et soutenue par celle-ci par 7 membres sur 13. Les discussions ont donc été très nourries, chaque conseiller y allant de son argument. En voici un petit florilège :
Werner Salzmann (UDC, BE) a par exemple mis en avant les recettes fiscales et les emplois que cette entreprise fournit, et le danger que représente donc la vente de celle-ci à des acteurs étrangers.
Thierry Burkhart (AG), le futur président du PLR, a pour sa part tenu une ligne très libérale, arguant que les composants et matière première des munitions devaient de toute manière être achetées à l’étranger, empêchant ainsi la Suisse d’être autonome dans ce domaine.
Daniel Jositsch (PS, ZH) a déclaré que « Fondamentalement, vous pouvez toujours dire que nous ne pouvons pas nous procurer nos équipements de défense de manière autosuffisante ; c’est bien sûr vrai. Mais il y a des gradations entre cent et zéro pour cent. Je crois que plus vous pouvez vous organiser, mieux c’est. Je voudrais juste vous rappeler la situation des masques et l’épidémie de Covid 19. »
Ruedi Noser (PLR, ZH) lui a rétorqué que « il est certainement difficile de manquer de masques pendant deux mois. C’est difficile, mais honnêtement, nous devons dire que c’était comme ça pendant deux mois. Après ça, les stocks étaient disponibles à nouveau. On a fait remarquer que les choses auraient pu être différentes si nous avions eu notre propre production de masques. Je veux juste attirer votre attention sur ce point : Si vous aviez produit six millions de masques en 2019 et avant parce que les dentistes et les médecins ont besoin de six millions de masques, puis que la demande est passée à 600 millions en un jour, ne pensez-vous pas que cette production interne aurait eu un problème pendant deux mois ? Il aurait eu exactement les mêmes problèmes, peut-être même des problèmes plus importants. Je suppose que l’histoire dira que la garantie de la sécurité d’approvisionnement était en fait excellente pendant cette période. »
Josef Dittli (PLR, UR), initialement inquiet au sujet du dégroupage, c’est-à-dire la scission entre les activités publiques et privées de RUAG, ce qui pourrait rendre possible des fuites d’informations sensibles de la Confédération, s’est finalement rangé du côté des conseillers favorables à la vente. Il a également ajouté que les produits fabriqués par RUAG Ammotec achetés par l’armée suisse (munitions de petit calibre et grenades à main) étaient relativement simples et ne couvraient de loin pas l’ensemble du spectre des achats de munitions effectués par le DDPS. Il a continué en indiquant que les munitions pouvaient facilement être stockée, et sur une longue durée. « S’il y a une chose qui est suffisamment disponible en Suisse, je peux vous l’assurer, ce sont les munitions. » a-t-il donc lancé à l’assemblée. Il a terminé son allocution en indiquant que RUAG Ammotec avait très récemment investi dans son site de Thoune, en faisant un des plus modernes dans le domaine en Europe. Lui et un certain nombre de conseiller estiment que cela représente une garantie du maintien du site par un acheteur potentiel.
Heidi Z’graggen (Le Centre, UR) a pour sa part craint que l’on ne vende RUAG Ammotec pour financer la restructuration du reste de RUAG. Elle s’est en outre étonnée que le Conseil fédéral veuille vendre une entreprise lui rapportant 40 millions de francs suisses par an. D’autres sénateurs se sont inquiétés de savoir s’il était cohérent de vendre une entreprise d’armement alors même que les deux chambres venaient tout juste de s’accorder sur un durcissement de la loi sur l’exportation d’armes.
Ueli Maurer a terminé cette passe d’armes oratoire en faisant un rappel historique : si RUAG tirait 90% de ses revenus des activités militaires à sa création, ce pourcentage était de moins de 50% en 2015. L’entreprise s’est en effet développée dans le secteur civil, et notamment celui de l’aviation et de l’aérospatiale, dans lesquels le Conseil fédéral ne veut pas voir la Confédération être partie prenante. En outre, 20% du chiffre d’affaire de RUAG est issu des ventes à l’armée suisse, le reste étant fourni par ses exportations et activités à l’étranger. Le Conseil fédéral a donc estimé qu’il ne voulait pas être propriétaire d’entreprise ayant des succursales à l’étranger, ou ayant besoin d’exporter dans une quarantaine de nations pour être rentable. En outre, le gouvernement a estimé que l’entreprise serait plus apte à faire face à la concurrence en étant aux mains d’acteurs privés.
Suite à ces prises de parole, les deux motions visant à s’opposer à la vente de RUAG et à privilégier la vente à un acteur stratégique helvétique ont finalement été repoussées par le Conseil des États.
Ainsi, RUAG Ammotec devrait pouvoir être vendue à un acheteur, de préférence suisse comme indiqué par le Conseil fédéral. Malgré tout, et comme souligné par certains lors du débat, l’État perd le contrôle sur un domaine régalien et les enseignements issus des épisodes de pénurie durant la pandémie n’ont manifestement pas été tirés.
Sources :
Allgemeine Schweizerische Militärzeitschrift – juin 2021 « Démarrage sous-optimal »