
Épisode 4 : l’utilisation des militaires SL après l’ER
Pour notre quatrième épisode sur le rapport du Contrôle fédéral des finances (CDF) à propos du modèle de service long (SL), nous allons voir de quelle manière les militaires affectés à ce modèle sont mis à profit après leur école de recrues (ER).
Au cours des dernières années, les unités constituées de militaires en service long ont été déployées à plusieurs reprises : approvisionnement en eau des animaux sur les alpages en 2015 et 2017, construction d’un pont de secours suite à l’ensevelissement d’une route d’accès causé par de fortes pluies dans les Grisons en 2017 et les différentes opérations menées sur la commune de Bondo après l’éboulement du Piz Cengalo en 2017.
Le CDF constate en premier lieu qu’il y a très peu de missions qui nécessitent un haut niveau de préparation (temps de réponse inférieur à 24 heures). Outre les militaires SL, les professionnels assurent également ces missions, notamment au sein des Forces Aériennes. Dans la majorité des missions examinées, il s’est écoulé entre un et plusieurs jours entre la demande soumise à l’armée et le début du déploiement des militaires. Cela est dû au fait qu’il faut tout de même du temps à ces unités pour se préparer et que l’armée n’intervient que de manière subsidiaire. Dans tous les cas, le rapport note que la réforme Développement de l’Armée (DEVA) et ses deux départs d’école de recrues a créé un vide de militaires en service long entre avril et mai, puisqu’aucune formation de ce type n’est en service durant 5 semaines environ.
Ces quelques engagements signifient que durant le reste de la période post école de recrues, appelée Instruction en formation 2 (IFO 2), il ne se passe pas toujours grand-chose. Certains bataillons sont déployés pour soutenir les autorités civiles (manifestations d’ampleur, compétitions sportives, etc.) ou aider d’autres organismes et unités de l’armée (le bataillon logistique fournit des prestations à la Base Logistique de l’armée, le bataillon de fusiliers fournit des protagonistes lors des exercices des formations CR, protège les ambassades, effectue des services d’honneur, etc.). Le CDF indique toutefois clairement que, pour la moitié des conscrits, la motivation est faible pour ces services, dont ils ne perçoivent d’ailleurs pas le sens. Seuls les militaires du bataillon d’aide en cas de catastrophe gardent un niveau de motivation satisfaisant.
En d’autres termes, et pour l’avoir expérimenté, durant l’IFO 2 : on s’emmerde ! Les soldats s’ennuient à mourir, et tous les jeux vidéo et séries Netflix disponibles n’y font rien. Une partie s’occupe en mangeant et prend donc du poids tandis que d’autres présentent certains signes de déprime, dus à l’inactivité patente. L’étude et l’expérience du rédacteur sont d’ailleurs plutôt d’accord sur le constat : le temps des militaires en service long est extrêmement mal utilisé. Plutôt que de profiter pour parfaire le niveau d’instruction de ces militaires, les cadres préfèrent les faire attendre, ou garder des lieux parfaitement vides, et ce parfois des jours durant. Le SL pourrait être l’occasion d’avoir des militaires mieux formés que leurs confrères en CR. Rappelons qu’en France, là où l’armée est professionnelle, l’école de recrues dure de 28 à 36 semaines, contre 18 en Suisse. Ce n’est donc pas comme si nous avions en Suisse trop d’instruction de base… Les éventuels engagements ne nécessitant manifestement pas de disposer d’unités prêtes « à la minute », il serait tout à fait envisageable de continuer l’instruction durant l’IFO 2. De plus, n’oublions pas que ces soldats communiquent une fois de retour dans leurs foyers. Au vu du contenu de ce rapport, l’on peut se douter qu’ils ne le font pas forcément de manière très positive à l’égard de l’armée, ce qui peut avoir un impact sur le nombre de conscrits, et sur l’image de notre outil de défense en général. Le résultat de septembre 2020 n’en témoigne malheureusement que trop bien.
Même lorsqu’ils sont mis à profit durant l’IFO 2, les militaires SL ne jugent pas toujours très positivement leur engagement. Pour ce qui est des exercices, et notamment au profit des formations CR, les conscrits ont très souvent l’impression que ceux-ci sont mal organisés et que leur présence n’est nécessaire que pour les tâches impopulaires. Pour ce qui est des engagements au profit des autorités civiles, la pertinence militaire de faire le service d’ordre pour l’open air de Frauenfeld, ou le secrétaire pour la fête fédérale de tir 2015 à Rarogne n’est pas toujours perçue… et à raison ! Un changement de pratique serait donc profitable à tous points de vue. Les cadres semblent être au courant de ces problèmes, mais n’ont pour l’instant articulé aucune proposition pour y remédier. Le CDF ne recommande quant à lui que de faire des évaluations périodiques, ce qui semble être largement insuffisant, d’autant plus que le constat est aujourd’hui sans appel.
Ainsi, l’armée a encore une très bonne marge de progression en ce qui concerne l’utilisation et l’occupation des militaires en service long une fois l’école de recrues terminée. Pour tout dire, l’on ne comprend pas bien pourquoi il semble si compliqué d’occuper intelligemment ces hommes en continuant à les former…
Sources :