Le remplacement du Pistolet 75 faisant parler de lui ces derniers jours, nous avons pris sur nous d’aborder la situation actuelle de l’armement individuel de la troupe, mais aussi de son avenir, en débutant par celui du fusil d’assaut.
Mais avant cela, effectuons un petit rappel historique. Durant les années 1950, la Suisse décida de s’équiper du Fusil d’Assaut 57 (F ass 57) produit par SIG, en remplacement des autres armes alors en service comme les fusils et mousquetons à culasse rectiligne Schmidt-Rubin ou encore le Fusil-mitrailleur 25. Il s’imposa face au prototype proposé par la Waffenfabrik Bern, car il était moins onéreux à fabriquer, quand bien même il n’était pas pour autant bon marché. Imaginée par Rudolf Amsler, l’ingénieur en chef de SIG, l’arme reprend le mécanisme de la Mitrailleuse 51 mise en service quelques années auparavant, et quelque peu adapté pour le nouvel usage prévu. Utilisant la cartouche de 7,5 mm GP11, ce fusil était long et lourd. Il était en revanche très fiable, solide et précis.
Très peu de temps après, cependant, un nouveau calibre commença à être utilisé au sein des nations de l’OTAN, le 5.56 mm. Les travaux commencèrent rapidement en Suisse pour développer une cartouche similaire, moins lourde et encombrante que la GP 11, mais ils s’enlisèrent, entre des versions raccourcies de la munition en service, un calibre de 6,45 mm et un projectile se rapprochant de la SS 109 belge, celle qui sera finalement adoptée pour le nouveau fusil, de calibre 5,6 mm.
Entretemps, SIG s’était allié à l’italien Beretta de manière éphémère. Mais de cette fugace collaboration naquit le SIG 540, un fusil dont les lignes annonçaient déjà la future arme d’ordonnance. SIG utilisa globalement le mécanisme de l’AK-47 soviétique, l’adapta à la nouvelle GP90 et reprit le design évoqué ci-dessus. C’est ainsi que le SIG 550 vit le jour. L’arme fut adoptée en 1981 déjà, à nouveau au détriment de la proposition de la Waffenfabrik Bern, avec son C42. Mais il fallut du temps pour qu’elle soit fabriquée en quantité et ce n’est qu’en 1986 que les premières furent livrées aux unités. Au moins 450 000 exemplaires ont été commandées, les dernières étant produites en 1999. Très simple à prendre en main, elle est, comme son « ancêtre », fiable, précise et solide, tube des gaz excepté. En revanche, elle est longue et peu évolutive, dans le sens où des accessoires ne peuvent pas lui être ajoutés de manière simple. Ainsi, les troupes sont obligées de changer les garde-mains à chaque fois qu’il s’agit d’y adjoindre une simple lampe.
Les forces spéciales et la police militaire ayant des besoins particuliers, elles ont fait l’acquisition de la version raccourcie de l’arme d’ordonnance, à savoir le SIG 553, appelée localement F ASS 07. D’autres fusils ont pu être observés aux mains des forces spéciales, comme le SIG 751 SAPR chambré en 7.62 OTAN.
En 2024, le DDPS a annoncé que 16,3 millions de francs seraient consacrés à l’acquisition de nouvelles sangles pour le F ASS 90 ainsi que des appareils de pointage et de nouvelles lampes. De ce fait, l’armée estime que ce fusil restera son arme d’épaule d’ordonnance durant au moins encore 10 ans.
Que se passera-t-il à l’issue de ces 10 années ? Il est encore bien tôt pour le dire, mais une récente acquisition pourrait donner quelques indices. En effet, en décembre 2024, le DDPS a passé commande du F ASS 25, qui remplacera le F ASS 07. Selon Alain Baeriswyl, instructeur de tir depuis plusieurs décennies pour l’armée suisse, ce dernier était devenu difficilement maniable du fait de l’ajout d’accessoires. Or ce sont eux qui, aujourd’hui, font la valeur et la qualité d’une arme. Notre interlocuteur souligne d’ailleurs que lesdits accessoires sont souvent plus onéreux que le fusil lui-même. Le DDPS indique quant à lui que ces armes étaient de plus en plus coûteuses à entretenir. Curieuse justification, au vu du peu d’exemplaires dont il est question, et de leur âge moindre que celui des F ASS 90.
La nouvelle acquisition de l’armée, probablement le MARS-L 5,56, est basée sur la plateforme AR-15, avec quelques éléments distinctifs comme l’élément supérieur de la carcasse fabriqué d’un seul bloc, et donc relativement robuste, un système de changement rapide du canon et un agencement modulaire ambidextre. Achetée auprès du fabricant américain LMT Defense, en collaboration avec SWISSLOXX AG, cette arme sera chambrée en 5.56 OTAN et recevra différents accessoires dont la nature n’a pas été précisée encore. Le DDPS n’a pas voulu indiquer le volume de cette acquisition, secret-défense oblige. Comme pour le F ASS 07, il s’agira d’une arme de corps que les militaires ne pourront ramener à la maison.
Pourquoi ce fusil a-t-il été choisi ? Le département nous indique que 16 fabricants ont été contactés. De nombreux tests et essais ont été réalisés et c’est le produit de LMT qui a été déclaré vainqueur. Marco Damaso, ancien officier des forces spéciales, précise que si cette arme a été acquise, c’est grâce à la qualité des fusils de LMT, et aussi à la bonne réputation de l’entreprise, qui fournit différentes forces armées comme celles de la Grande-Bretagne, la Nouvelle-Zélande, l’Estonie et… la Suisse, avec le MARS-H en 7,62 OTAN, déjà auprès des forces spéciales. Outre la maniabilité et la modernité de l’arme, des questions d’interopérabilité ont peut-être présidé à cette décision. En effet, cette notion est de plus en plus prégnante au sein de l’armée suisse. Vu les volumes relativement restreints acquis, si cet aspect a été pris en compte, cela n’est probablement qu’à la marge.
Les premières de ces armes seront livrées à la fin de cette année encore. Elles seront progressivement introduites auprès des différentes troupes concernées, soit le Détachement de reconnaissance de l’armée 10 (DRA), le Détachement spécial de la police militaire (MP Spez Det), les bataillons de grenadiers 20 et 30 et la Compagnie de Reconnaissance Parachutiste 17 (Fsch Aufkl Kp 17), ainsi que toutes les unités de la police militaire. RUAG MRO sera en charge de l’entretien.
Cette acquisition préfigure-t-elle de l’avenir de l’armement léger en Suisse ? S’il est encore (bien) trop tôt pour le dire, force est de constater que les fusils de type AR-15 se sont imposés partout en Europe, notamment chez nos voisins avec la HK416. Le volume de l’armée suisse s’étant considérablement réduit depuis l’époque du F ASS 90, il ne sera pas forcément facile pour la Confédération de poursuivre son propre chemin sur la question des armes légères, quand bien même les fabricants locaux, comme B&T ou SIG continuent de proposer des armes de qualité, comme l’APC 223 pour le premier ou le SIG 561 pour le second. En outre, la collaboration avec nos voisins étant en plein renforcement, les fameuses questions d’interopérabilité vont prendre de plus en plus d’ampleur.
Alors, va-t-on vers la fin d’une ère et voir l’armée suisse être équipée d’armes d’épaule conçues, ou même fabriquées à l’étranger ? Nous le saurons dans quelques années. Ce qui semble en revanche probable, comme le souligne Alain Baeriswyl, c’est que ce dossier risque bien d’être à l’origine d’un débat très animé.
Sources :
WEISSWANGER, Jan-Phillipp, «Schweizer Armee beschafft LMT MARS-L – ein neues Sturmgewehr 25 im Arsenal?» in Soldat und Teknik, 08.03.2025: https://soldat-und-technik.de/2025/03/bewaffnung/42646/schweizer-lmt-mars/
KLUSÁK, Cécile, « Armee beschafft Sturmgewehr 25 von US-Hersteller LMT», in Schweizer Soldat, 03.03.2025: https://www.schweizer-soldat.ch/2025/04/armee-beschafft-sturmgewehr-25-von-us-hersteller-lmt.html
DAMASO, Marco, «LMT’s Sturmgewehr 25 for the Swiss Armed Forces», in Dashuyn, 12.03.2025: https://www.dashuyn.ch/post/lmt-s-sturmgewehr-25-for-the-swiss-armed-forces
DAMASO, Marco, «The Multifunctional Assault Rifle: Future Standard or Unrealistic Dream?», in Dashuyn, 15.08.2025: https://www.dashuyn.ch/post/lmt-s-sturmgewehr-25-for-the-swiss-armed-forces
MCCOLLUM, Ian, « SIG PE-57: Swiss Roller-Delay!», Forgotten weapons, 22.02.2017: https://www.youtube.com/watch?v=Y73Zcg9icJc&t=113s
MCCOLLUM, Ian, « WF Bern C42 & E22: Stgw90 Trials Rifles to Compete With SIG», Forgotten weapons, 24.12.2018: https://www.youtube.com/watch?v=2zmVYfTS4kk&t=10s
MCCOLLUM, Ian, « SIG 550 / Stgw 90: The Swiss Kalashnikov», Forgotten weapons, 04.07.2022: https://www.youtube.com/watch?v=vz8YiMPZSZA
