Salve de questions sur le F-35 lors de la session d’hiver

Présentation du F-35A le 23.03.2022 à Emmen, @Neo-Falcon Creations,

Lors de la dernière session parlementaire de l’année, le F-35 a suscité passablement de questions et d’interpellations de la part des conseillers nationaux. Celles-ci provenaient tant de l’UDC valaisan Jean-Luc Addor que des socialistes Priska Seiler Graf (ZH), Pierre-Alain Fridez (JU) et Franziska Roth (SO), tous membres de la commission de politique de sécurité. Si certaines de ces interrogations ne sont pas de haut vol (oui, il y aura un jeu de mot du genre à chaque fois, merci), d’autres semblent tout à fait pertinentes. Dans tous les cas, cela démontre qu’à gauche comme à droite, les parlementaires sont encore loin d’être rassurés sur le dossier des avions de combat. Cela n’est guère étonnant dans les rangs socialistes et écologistes. En revanche, le scepticisme des agrariens est bien plus problématique pour l’avion américain. Une alliance contre nature de la gauche et de l’UDC pourrait en effet encore faire capoter le programme au Parlement, même si cela semble aujourd’hui peu probable.

Ainsi, Jean-Luc Addor s’est interrogé : les communiqués du DDPS par rapport aux affaires compensatoires étaient-ils conformes aux décisions du Parlement ? En effet, le conseiller national UDC s’est demandé pourquoi, alors que le prix de l’acquisition avait été revu à la hausse, à 6,035 milliards de francs, les affaires compensatoires annoncées se montent à 2.9 milliards de francs (soit 48% du montant du contrat), et non 3.6 milliards, comme décidé par le Parlement.

Le Conseil fédéral a répondu que s’il avait effectivement été décidé que 60% du montant du contrat devaient être compensés, ce taux ne prenait pas en charge les taxes sur la valeur ajoutée, le supplément pour risques et les mandats confiés directement par la Confédération à des entreprises suisses. Dès lors que ces valeurs sont retranchées, l’on obtient 4.8 milliards de francs, pour lesquels 2.9 milliards d’affaires compensatoires correspondent effectivement à 60%. Malgré tout, l’on ne peut s’empêcher d’être pour le moins intrigués par cette réponse. En effet, le DDPS, le Conseil fédéral et les différents soutiens du projet ont toujours articulé le montant de 3.6 milliards d’affaires compensatoires, notamment lors de la votation. Dans ce cadre, diminuer ce montant de 700 millions ne peut que mal passer, et le fait que l’un des conseillers nationaux romands défendant le plus l’armée au Parlement doive poser cette question le montre bien. Comme pour la prise en compte de l’inflation, le Département de la défense se prend joliment les pieds dans le tapis dans sa communication. À moins que cela ne soit pas une erreur de communication, mais bien un souci dans les négociations avec Lockheed-Martin… Il sera dans tous les cas intéressant d’expliquer aux citoyens que le prix est passé de 5.068 à 6.314 milliards, alors que les compensations diminuent dans le même temps de 3.6 à 2.9 milliards de francs. Les adversaires de l’acquisition du F-35 useront forcément de ces arguments et ils auraient bien tord de s’en priver tant le DDPS enchaîne les bourdes, les corrections et les « oui mais en fait… » qui ne sont pas des plus convaincants.

Une autre interrogation pour le moins intéressante est celle de Franziska Roth (PS, SO), qui demande si le DDPS se a pris la peine de comparer les différents tarifs fournis par le constructeur avec d’autres chiffres disponibles. La réponse à celle-ci, pour le moins lapidaire, est la suivante : « La Suisse n’a pas accès aux contrats qui lient le gouvernement américain à d’autres Etats. Elle n’est dès lors pas en mesure d’effectuer des comparaisons. ». Pourtant nous disposons aujourd’hui des chiffres du budget norvégien, et des différentes analyses de la cour des comptes américaines, qui donnent des informations pertinentes et basées sur l’utilisation effective de l’avion et non sur les promesses du constructeur. Les acteurs soutenant l’appareil et le DDPS indiquant que la machine de Lockheed-Martin est acquise aux mêmes conditions en Suisse qu’en Norvège (et qu’aux États-Unis, d’après le site du DDPS) grâce au programme Foreign Military Sales (FMS), il serait tout de même douteux qu’absolument aucune donnée pertinente ne puisse être extraite de ces chiffres. Or, ceux-ci sont loin d’être rassurants.

Les conseillers socialistes Priska Seiler Graf (ZH) et Pierre-Alain Fridez (JU) se sont quant à eux inquiétés que les données des autres constructeurs soient détruites, comme relaté dans certains médias. Faisant tous deux partie de la commission de politique de sécurité, peut-être auront-ils effectivement l’occasion de consulter ces documents, au moins en partie. Nul doute qu’ils tenteront de se servir de ces données, de manière plus ou moins pertinente, pour mettre à mal le choix du DDPS.

Enfin, Mme Priska Seiler Graf a posé trois questions. La première, visant à savoir si la furtivité était autorisée pour le service de police aérienne en temps de paix, laisse forcément un sourire aux amateurs de la chose aérienne. Les deux autres permettent quant à elles d’avoir quelques informations intéressantes au travers des réponses fournies. La première, concernant la possible obsolescence de l’armement, nous apprend que « le paquet d’acquisition du F-35A comprend 36 missiles Sidewinder. Il ne s’agit pas d’acquérir des bombes MK-82, mais douze pièces de chacun des deux types de munitions de précision. L’un de ces types de munitions utilise la MK-82 comme ogive. » Ainsi, et comme annoncé de longue date, le programme Air2030 permettra aux Forces aériennes de retrouver une (maigre) capacité air-sol.

La seconde question visait à savoir si le DDPS comptait acquérir un avion auquel beaucoup plus de missions seraient attribuées alors que la formation en l’air serait bien moins importante. Mme Viola Amherd a indiqué qu’entre 2018 et 2020, environ 18 200 décollages et atterrissages ont été effectués avec les F/A-18 et environ 7300 avec les F-5. Cela représente donc 8500 mouvements par année, pour environ 7200 heures de vol. La conseillère fédérale a indiqué vouloir passer à 4100 mouvements et 5000 heures de vol annuellement avec les F-35, soit une diminution de 52% et 31% respectivement. De telles baisses permettront-elles aux pilotes helvètes d’avoir suffisamment d’entraînement ? Cela ne représente en effet que 138 heures de vol par avion, or les Forces aériennes disposent certainement de plus d’un pilote par appareil. Même si cette donnée est classifiée, les calculs semblent néanmoins rapidement effectués… Il est probable qu’avec le F-35, nos pilotes s’entrainent moins de 100 heures par année aux commandes de leur machine.

L’année 2022 sera donc, à nouveau l’occasion de s’écharper gaiement sur ces questions, auxquelles les réponses données par le DDPS ne sont pas forcément les plus convaincantes et rassurantes. L’initiative de la gauche visant à mettre en place un moratoire sur l’acquisition de F-35 semblait mal partie. Il faut en effet que, par rapport à septembre 2020, 6 cantons changent de camp. Seulement, au fil des annonces, l’on se demande si cet objectif est si inatteignable que cela. L’avenir nous le dira !

Sources :

https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=55341

https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=55340

https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=55339

https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=55052

https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=55050

https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=55804

https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=55706

https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=55646