Invasion de l’Ukraine : quelles conséquences « militaires » en Suisse ?

Base navale d'Okachov en flamme. Celle-ci abritait des bâtiments modernes (financés par les États-Unis) pour permettre un suivi précis des opérations navales de la Marine. @ Air&Cosmos (https://air-cosmos.com/article/ukraine-le-fil-d-information-pour-tout-savoir-sur-le-deroulement-du-conflit-28580)

Cette nuit, et selon les informations trouvables sur internet, les forces armées russes ont lancé une opération militaire de grande ampleur contre l’Ukraine. Des missiles de croisière ont d’abord frappé un grand nombre d’aérodromes, empêchant ainsi les forces aériennes de Kiev d’opérer efficacement. À la suite de cela, les forces terrestres se sont mises en branle, depuis la Crimée, le Donbass et la Biélorussie, dans un énorme mouvement de prise en tenaille. Les combats semblent déjà très violents et les moyens déployés inédits depuis 1945.

Anecdote très intéressante : ce matin le chef de la Bundeswehr (armée de terre allemande) tweetait sans retenue que sa branche était « plus ou moins à sec ». Cela n’est guère étonnant, il en va de même dans pratiquement toute l’Europe, les nations du vieux continent étant très (trop ?) longtemps restées arque-boutées sur des positions passéistes en matière de défense, et très attachées aux fameux dividendes de la paix qui n’ont finalement jamais été qu’une chimère.

Dans ce cadre, il apparaît que l’Europe, même si elle le voulait, n’aurait pas un ascendant très important contre la Russie dans un engagement militaire, elle qui est totalement incapable de mettre sur pied une force armée d’une ampleur similaire à celle de Moscou dans un court laps de temps. En outre, elle ne serait guère homogène, que ce soit en termes de matériel ou de doctrine. L’on comprend dès lors mieux les traditionnelles déclarations ridicules de « fermes condamnations » et les réflexions sur des sanctions économiques : l’Occident n’a pas beaucoup d’autres options à disposition. Seuls les États-Unis auraient pu offrir un soutien militaire important, mais ceux-ci ne veulent et ne peuvent dégarnir le théâtre d’Asie du Sud-Est, la Chine n’attendant que cela. C’est donc toute la posture défensive de l’Europe qui est mise à mal et il faudra des années pour rééquilibrer les choses, si tant est qu’une telle volonté existe. Dans tous les cas, les industriels de l’armement s’en frottent déjà les mains.

Mais alors, qu’en est-il en Suisse ? Il ne s’agit bien évidemment que de conjecture, mais nous allons tenter de dégager 1-2 conséquences « concrètes », du point de vue militaire, ou de la politique de sécurité.

Premièrement, cette malheureuse actualité va certainement contribuer à replacer les enjeux de défense, si ce n’est au centre, au moins dans une meilleure position des préoccupations du monde politique et de la population en général. Même si nous ne savons pour l’heure pas la durée du conflit, ni sa véritable ampleur, il paraît probable que la diffusion massive d’images de guerre viendra certainement modifier la perception qu’ont les Suisses à l’égard de leur sécurité, de la même manière que la diffusion constante des manifestations et autres actualités climatiques ont largement modifié les opinions publiques à l’égard de l’environnement.

Ensuite, il semble que les théories de la gauche sur ce qu’est la guerre aujourd’hui ne résisteront guère plus longtemps à la dure réalité des faits. En effet, celle-ci répète depuis maintenant des années que la guerre « conventionnelle » n’existe plus, que les chars et l’artillerie ne sont aujourd’hui plus d’aucune utilité et que seules les catastrophes naturelles, les pandémies et la cyber-sécurité devraient dorénavant être prise en compte. Il est regrettable que nous devions faire face au plus grand conflit que l’Europe ait connu depuis la Seconde Guerre mondiale pour que cette imposture, pourtant évidente pour tout amateur qui s’intéresse de manière honnête à la question militaire, soit mise en défaut de manière large. Cette monumentale erreur, répétée depuis fort longtemps, pourrait coûter des voix au Parti socialiste et aux Verts lors des élections fédérales en automne 2023, tant leur aveuglement sera ici évident.

Dans le même ordre d’idée, le scénario de 2015 pourrait se rejouer. En effet, des images et des témoignages d’exode nous parviennent en masse. Ainsi, il est possible que l’Europe ait affaire à une nouvelle crise migratoire, bien plus forte que lors de la guerre en Syrie. L’Ukraine est bien plus peuplée que ce pays du Moyen-Orient, et les Ukrainiens n’ont guère qu’une direction vers laquelle fuir : l’Ouest. Partant du postulat que les mêmes causes ont les mêmes conséquences (à moins que les Européens n’aient plus d’empathie pour les Ukrainiens que les Syriens), cette potentielle arrivée en grand nombre de ressortissants étrangers pourrait déclencher la montée en force des partis de droite dans notre pays, et donc, une meilleure considération des questions de défense au Parlement. Le vote du Conseil des États, à très large majorité bourgeoise, sur la vente de RUAG nous laisse cependant quelque peu nuancé sur la question…

Enfin, et comme les attentats de Paris en 2015, la forte médiatisation de ce conflit, et son ampleur, pourrait aussi montrer à une jeunesse qui est trop jeune pour avoir connu les conflits dans les Balkans que la guerre en Europe n’est malheureusement pas une vue de l’esprit. L’intérêt pour le service militaire pourrait donc s’en trouver renforcé, de même que le sens donné à celui-ci. Les problèmes d’effectifs mis en lumière ces derniers mois pourraient donc se retrouver réglé par le contexte international.

En définitive, les événements de ces derniers jours auront fait voler en éclat de nombreuses certitudes en Occident et il n’y a guère de doute que cet événement laissera de nombreuses traces dans les politiques menées ces prochaines années.

Sources :

https://www.meta-defense.fr/2022/02/22/la-france-et-leurope-peuvent-ils-relever-le-defi-securitaire-russe/

https://www.letemps.ch/economie/lindustrie-defense-gagnante-economique-conflit-entre-russie-lukraine