
Le 25 juin dernier, le « grand vieux parti » a réuni ses délégués à Andermatt pour aborder de nombreux sujets, et notamment celui de la sécurité de la Suisse. Après un débat animé entre la conseillère nationale Maja Riniker (AG) et Josef Lang (membre fondateur du GSsA), l’initiative « Stop F-35 » a été refusée à la quasi-unanimité par les délégués (1 oui, 236 non, 2 abstentions).
Les délégués ont ensuite un papier de position au sujet de la politique de défense. Celui-ci contient des revendications qui portent autant sur la doctrine que la politique extérieure ou les équipements. Certaines enfoncent des portes ouvertes, d’autres vont directement à l’encontre de votes très récents du PLR et certaines sont intéressantes. Voyons plutôt.
Premièrement, le parti demande à « Identifier clairement les risques en matière de politique de sécurité »… Ce qu’il est assez facile d’effectuer depuis février, et une évidence quel que soit le contexte. Simplement, il faut avoir assez de moyens pour ce faire. Or, le SRC ne dispose que de 400 employés, ce qui limite forcément ses capacités de détection. On l’a vu, la plupart des pays européens ne pensaient pas l’invasion de l’Ukraine probable, quand les services de renseignement américains diffusaient publiquement la date exacte de celle-ci. Sans doute que les énormes ressources de ces derniers leur permettent une bien meilleure précision que leurs homologues occidentaux et il serait illusoire de vouloir atteindre leur niveau. C’est pourquoi le parti libéral-radical demande également que les alertes soient mieux anticipées, notamment grâce au réseau diplomatique.
Ensuite, le PLR souhaite une « Meilleure anticipation grâce à la réflexion sur les scénarii ». Ce genre d’exercice prospectif permet en effet d’envisager de multiples cas de figure, pas forcément probables, mais permettant au moins d’envisager tous les champs des possibles, et les moyens disponibles et nécessaires pour y faire face. Si nous n’avons pas accès aux différents scénarii imaginés par les spécialistes du DDPS, notons toutefois que les exercices de terrain se basent malgré tout sur des scénarii probables (par exemple une « reproduction » miniature de l’annexion de la Crimée, juste après que celle-ci a eu lieu, et expérimentée par votre serviteur) ou plus inventifs, à tels points que la presse s’en donne à cœur-joie. On se rappelle en effet l’exercice Duplex-Barbara de 2013 lors duquel l’état-major helvète imaginait un État français en faillite et disloqué, dont l’une des régions lancerait une attaque contre la Suisse. Nos officiers ne semblent donc pas manquer d’imagination. En revanche, l’on peut se demander si les scénarios de nos états-majors ne donnent pas une importance trop grande à l’attaque. En effet, les manœuvres offensives sont souvent exercées, ce qui peut paraître surprenant pour une armée uniquement défensive. Or, avant de penser à d’éventuelles contre-offensives, encore faut-il avoir été capable de résister au premier choc.
Le papier comporte également le souhait de « Détecter les lacunes en matière de capacités », ce qui est plutôt cocasse, puisque les déficits actuels de l’armée sont notamment dus à la majorité bourgeoise du Parlement et du Gouvernement, dont le PLR est un membre important… En effet, malgré le discours simpliste ambiant, ce n’est pas la gauche, ou pas uniquement elle puisqu’elle n’en a pas la force, qui a entériné les budgets de défense et les coupes dans les moyens et les effectifs, mais bien la droite. Bien entendu, la gauche a propagé un discours pacifiste au sein de la population, mais la droite n’as pas fait grand-chose pour l’en empêcher, ou alors elle l’a mal fait…
Il continue avec la demande de porter le budget de l’armée à 7 milliards de francs, ce qui a déjà été accepté au Parlement. À noter que, selon Ueli Maurer, ce montant ne correspondra pas à 1% du PIB en 2030. À cette date et selon les projections du département des finances, ce pourcentage correspondra plutôt à 9.4 milliards de francs. Le PLR demande également que les effectifs soient portés à 120 000 hommes, objectifs qui paraît peu réaliste. En effet, compléter l’objectif actuel de 100 000 soldats étant une gageure, il sera déjà une bonne chose de réussir à l’assurer. Reste encore à voir l’incidence de la guerre en Ukraine sur le recrutement ceci dit.
Le papier de position se penche également sur le volet de la coopération, notamment avec une opérabilité avec l’OTAN : « Tous les nouveaux contrats d’armement doivent être examinés quant à leur compatibilité avec les systèmes de l’OTAN. » La Suisse ayant, contrairement aux anciennes républiques soviétiques ou la Finlande, acquis tout son matériel dans le camp occidental depuis le début de la guerre froide, on imagine que l’interopérabilité matérielle de la Suisse est déjà relativement bonne. Malgré tout, cela pourrait signifier quelques changements, comme l’abandon des « calibres suisses » GP11 et GP90. Le parti souhaite également que la Suisse réfléchisse à une participation au programme PESCO (Permanent Structured Cooperation) de l’Union Européenne. Celui-ci vise, entre autres, à soutenir financièrement le développement de matériels militaires développés en coopération par plusieurs pays d’Europe. Mais, on le voit aujourd’hui avec le programme de recherche Horizon, les 28 ne sont pas prêts à intégrer la Suisse à leurs programmes sans contrepartie diplomatique, notamment la reprise automatique du droit européen. Cette revendication ne fait donc probablement sens que si elle est intégrée à une réflexion plus large sur notre collaboration, voire intégration à l’Union européenne.
Les délégués souhaitent également que l’armée suisse soit capable de repousser une attaque conventionnelle « de manière autonome ou en réseau ». Si ces deux objectifs ne sont pas antinomiques, une défense autonome requiert des moyens importants, qui ne seront a priori pas disponibles, et ce même avec un budget de 7 milliards de francs. De plus, l’on ne voit pas tellement comment accomplir ce désir d’autonomie alors que le PLR a justement soutenu la vente de RUAG à Beretta… Manœuvre qui contrevient également quelque peu à l’objectif de disposer d’une Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD) « performante » et « à la pointe », de manière à « réduire la dépendance de la Suisse vis-à-vis des autres pays en matière de politique d’armement. »
Le PLR souhaite également que la capacité opérationnelle soit garantie. Comme on l’a vu en Russie ces dernières années, celle-ci a notamment augmenté les capacités techniques de ses forces armées en multipliant les exercices géants et les inspections surprises. Plus encore, le parti souhaite que des exercices réguliers soient organisés en collaboration avec les communes, les cantons, la Confédération et… l’OTAN.
Enfin, une idée « annexe » mais qui ne manquera pas de susciter nombre de réaction, le papier de position demande non seulement à multiplier le nombre de drones, dont l’efficacité n’est plus à prouver dans un contexte de guerre de haute intensité, comme dans le Haut Karabagh ou en Ukraine, mais également que ceux-ci soient armés. Contrairement à nos voisins, qui ont sauté le pas il y a plus ou moins longtemps, les drones Hermes 900 ayant récemment effectué leur premier vol en Suisse ne sont pas armés et ne peuvent pas l’être en l’état. Nul doute que le format et les missions de la flotte de drones suisse ne manquera pas d’être discutée au Parlement.
On le voit donc, le PLR milite assez clairement pour un franc rapprochement avec l’OTAN, tout en essayant de naviguer dans une posture de relative indépendance aux contours peu clairs, tant le parti est tiraillé entre son aile « conservatrice » sur les questions de défense, et son aile libérale, qui tend à vouloir s’arrimer à l’EU et à laisser le marché aussi libre que possible, quitte à mettre en péril les quelques rares entreprises de défense d’ampleur présentes sur notre sol.