
En août 2022, la vente de RUAG Ammotec à l’italien Beretta était finalisée, et ceci après que le Conseil des États a soutenu la décision du Conseil fédéral de procéder comme tel. Mais ce n’est rien de dire que la décision ne fut pas des plus heureuses.
En effet, vendre une fabrique de munitions à l’aube d’un conflit militaire de haute intensité en Europe devait forcément susciter des appétits, d’autant plus que les conséquences de la guerre en Ukraine n’avaient pas été prises en compte par l’État lors de l’établissement du prix de vente de son entreprise. En outre, ce ne serait apparemment pas le mieux-disant, Czechoslovak Group, qui aurait remporté la mise, et cela pour des raisons pour le moins obscures. De plus (mais attendez, ce n’est pas encore fini), la Confédération aurait supprimé du contrat une clause permettant de racheter RUAG Ammotec, au motif que cela aurait diminué le prix de vente, ce qui vient évidemment contredire les deux premiers points sus-cités…
Ajoutez à cela le fait que l’entreprise était leader du marché européen des munitions de petit calibre et que cette position permettait à Berne d’encaisser pour environ 40 millions de francs de dividendes par an et vous aurez une des affaires commerciales les plus moisies de ces dernières décennies. Et devinez qui s’est chargé de cela ? Ueli Maurer, pour ne pas changer ! Celui-ci, entre la rénovation des DURO pour un demi-milliard de francs, l’achat des mortiers 16 et des drones ADS15 connaissant tous deux d’énormes retards, l’échec de la votation sur le Gripen ou encore le scandale Crédit Suisse, n’avait pas encore assez de casseroles au cul et se devait donc d’en faire quelques-unes avant de céder sa place. Il est vrai qu’il aurait été dommage de partir sans un dernier coup d’éclat…
Quoi qu’il en soit, il avait été stipulé lors de la conclusion de cette vente que Beretta devait garantir la pérennité du site de Thoune pendant au moins cinq ans, c’est-à-dire pas grand-chose. Mais, figurez-vous que les choses pourraient aller bien plus vite que cela, l’industriel italien ayant indiqué que la rentabilité du site, aux mains d’une filiale nommé SwissP Defence, n’était guère assurée. La faute revient au SECO qui n’en finit pas de mettre des bâtons dans les roues de nos industriels, aux commandes de l’armée suisse en diminution, malgré les augmentations de budget votées, ainsi qu’à la politique générale d’exportation et de réexportation de notre pays, qui a placé la Suisse dans une situation difficile, puisqu’elle revient à dire que l’on n’accepte de produire des armes de guerre mais seulement… pour ne pas faire la guerre et que les pays nous ayant acheté des équipements il y a des décennies de cela ne peuvent pas les utiliser comme ils le souhaitent.
Il est d’ailleurs plutôt piquant de constater que les politiciens UDC étaient, avant la guerre en Ukraine, de fervents soutiens de l’industrie de l’armement, souhaitant régulièrement supprimer des restrictions aux exportations. Seulement leurs positions jusqu’au-boutiste adoptées depuis le début du conflit ont évidemment eu d’importantes conséquences pour ce secteur. La gauche, se satisfait évidemment de cette situation, elle qui a toujours voulu liquider ce pan de notre économie tandis que le PLR ne sait plus à quel saint se vouer : libéralisme ? Autonomie stratégique ? Bien malin qui saurait le dire ! D’ailleurs, l’un des architectes de cette vente, le président du parti et conseiller aux États argovien Thierry Burkart a indiqué déplorer la vente de RUAG Ammotec dans le journal de la Fédération Suisse de Tir, tout en se gardant bien de préciser qu’il en était, en partie, à l’origine ! Sans douter de rien, il soutiendrait même la recréation d’une filière de production étatique de munitions de petits calibres. Quand il y a de la gêne…
Quoi qu’il en soit, et malgré des déclarations datant d’il y a seulement 2 mois, le DDPS s’est engagé à augmenter ses commandes de munitions pour pérenniser le site de Thoune. Si la réactivité du département est à saluer, cela dénote également un singulier manque de vision stratégique de la part du Conseil fédéral sur les questions de défense et de politique industrielle. Il est vrai que l’exécutif est jusqu’ici resté arcbouté sur des positions très libérales, et très minoritaires en Europe aujourd’hui, irritant même les plus libéraux du Parlement.
Ainsi, malgré une situation que l’on pourrait cyniquement qualifier d’idéale pour l’industrie de l’armement helvétique, celle-ci ne semble guère au mieux de sa forme, le Conseil fédéral et le Parlement adoptant des décisions court-termistes et contradictoires, comme celle de reprendre les sanctions de l’Ouest contre la Russie, tout en refusant catégoriquement que des armes achetées il y a des décennies de cela ne soient envoyées en Ukraine par leurs propriétaires. De tout cela découle évidemment une position très difficilement compréhensible pour nos partenaires européens et des conditions-cadres floues et donc négatives pour les rares entreprises produisant encore de l’armement dans notre pays. Au vu de la qualité de nos politiciens sur les questions géopolitiques, industrielles et diplomatiques, les présents déboires de notre armée et notre industrie ne seront de toute évidence pas les derniers.
Sources :
https://www.ruag.com/en/news/sale-ruag-ammotec-completed
https://www.24heures.ch/ruag-a-finalise-la-vente-dammotec-a-beretta-munitions-389042801318
https://www.24heures.ch/la-privatisation-de-ruag-met-le-boss-du-plr-dans-lembarras-525949267997
https://www.parlament.ch/de/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20247694