Les Piranhas allemands seront fabriqués… en Allemagne

Piranha 8X8 StratCom, @GDELS (https://www.gdels.com/en/products/wheeled-vehicles/piranha)

Si nous avons parlé hier du succès de Pilatus sur la scène internationale, l’entreprise de Stans fait figure d’exception dans le paysage industriel de défense suisse. En effet, les inquiétudes se sont largement emparées de tout le secteur, non sans raison.

Comme déjà expliqué à plusieurs reprises, depuis le début de la guerre en Ukraine, la position très stricte de la Confédération vis-à-vis des réexportations d’armes à direction de Kiev aura coûté très cher aux filiales suisses de Rheinmetall, Berettat avec Swiss P Defence (anciennement RUAG Ammotec) et autre General Dynamics European Land Systems (GDELS). En effet, l’Allemagne souhaitait envoyer à l’Est une poignée d’obus de 35 mm pour les systèmes antiaériens Gepard, de même que le Danemark, qui désirait transmettre des véhicules blindés Piranhas. Le refus sec et net de Berne n’aura pas tardé à entraîner des mesures de rétorsion de la part des gouvernements européens, ainsi que des diverses entreprises d’armement internationales implantées chez nous : les premiers souhaitent restreindre au maximum leurs importations militaires provenant de Suisse tandis que les secondes limitent leurs investissements sur sol helvétique.

Dans ce cadre, Swissmem, la fédération des entreprises industrielles et technologiques suisses, a émis un signal d’alerte il y a quelques jours : les exportations d’armes suisses sont en chute libre et le secteur pourrait être tout simplement menacé à relativement court terme. Cette organisation a ainsi expliqué que B&T, entreprise basée à Thoune et fabriquant notamment des pistolets-mitrailleurs, a été contrainte d’ouvrir une filiale en Allemagne, tandis que SwissP Defence a dû licencier 22 collaborateurs, faute de commande. Mowag, propriété de GDELS, qui a récemment obtenu une importante commande de la part de l’Allemagne pour des Piranha V 8X8, les produira intégralement dans le pays de l’acheteur, et ce dès 2026. Rappelons que ce contrat porte sur un maximum de 256 véhicules et que la seule première tranche de 58 véhicules représente déjà un volume d’acquisition de plusieurs centaines de millions d’euros. Le Piranha Korsak de reconnaissance, dont la commande finale devrait quant à elle porter sur 252 exemplaires, sera lui aussi produit sur ce site. GDELS, par la voix de Thomas Kauffmann, vice-président de GDELS et directeur général de GDELS Allemagne, annonce en outre que l’Allemagne « constituera à l’avenir un pilier porteur de la production internationale de Piranha », menaçant ainsi directement le site suisse de l’industriel implanté à Kreuzlingen. Pour résumer, c’est une catastrophe pour Mowag Suisse.

Cela est d’autant plus paradoxal, et même rageant, alors que, d’une part, la Suisse a un besoin important et rapide de modernisation, et, d’autre part, la demande est également très forte sur le continent, l’Union Européenne ayant adopté un livre blanc sur la défense, intitulé ReArm Europe, visant dans les grandes lignes à investir 800 milliards d’Euros dans la défense.

Même si ce document invite la Suisse à participer à l’effort industriel, il semble fort qu’elle va passer à côté de ce qui semble être une importante opportunité industrielle et, plus encore, risque de se retrouver encore plus dépendante de l’étranger pour son (ré)équipement. Le Covid, malgré ce que certains ont très bêtement dit au Parlement lors de la vente de RUAG Ammotec, a bien montré que lorsque toutes les nations souhaitaient le même produit en même temps, il n’y en avait pas pour tout le monde et qu’il valait dès lors mieux disposer de capacités industrielles propres. Rien que de très logique nous direz-vous, et pourtant… (gros soupire). Les revirements de Washington au sujet de sa politique européenne ont également montré combien il était important d’être le plus autonome possible.

Nos autorités politiques, cependant, préfèrent comme de coutume tergiverser et prendre des décisions à l’encontre du bon sens. Ce ne sont pas les différentes positions dogmatiques de la gauche et la droite qui aideront, la première étant manifestement toujours empêtrée dans un pacifisme suranné, tandis que l’UDC compte nombre de jusqu’au-boutistes de la neutralité dans ses rangs. Or, comme l’a résumé Watson, « la Suisse a besoin d’une industrie de défense forte pour préserver sa neutralité, mais cette même neutralité l’empêche de la maintenir. » Le plus grand parti de Suisse devra rapidement expliquer comment il compte concilier ces deux impératifs contradictoires, lui qui a pourtant soutenu l’industrie de défense bec et ongle… jusqu’en février 2022.

Quel que soit le rythme auquel le Parlement réagira à cette très importante menace industrielle – et la rapidité est rarement son fort – notre industrie de défense ne semble jamais avoir été aussi proche du gouffre. N’est-il pas déjà trop tard ?

Sources :

https://www.rts.ch/info/monde/13512342-lallemagne-fait-pression-sur-berne-pour-pouvoir-exporter-des-munitions-suisses-vers-lukraine.html

https://www.watson.ch/fr/suisse/ukraine/659958618-comment-le-danemark-s-est-ridiculise-en-faisant-don-de-chars-a-l-ukraine

https://www.24heures.ch/le-fabricant-darmes-rheinmetall-fait-de-bonnes-affaires-sauf-en-suisse-222181742854

https://www.swissmem.ch/fr/themes/politique-de-defense-et-de-securite/les-restrictions-concernant-les-exportations-de-materiel-de-guerre-mettent-la-securite-de-la-suisse-en-danger.html

https://www.gdels.com/pr.php?news=203

https://www.hartpunkt.de/tawan-gdels-piranha-5-bundeswehr/

https://www.hartpunkt.de/serienfertigung-der-piranha-5-fuer-die-bundeswehr-erfolgt-in-sueddeutschland/