Quel bilan pour Viola Amherd ?

Mme Viola Ahmerd, @Keystone / Peter Klaunzer

Le départ d’un membre de l’exécutif fédéral est souvent accompagné de son bilan, effectué par les médias traditionnels. Nous n’allons évidemment pas déroger à la règle, même si nos considérations seront peut-être un peu plus techniques. En même temps, elles ne le seraient pas qu’il y aurait de quoi s’inquiéter !

Pour rappel, Mme Viola Amherd, auparavant conseillère nationale du Centre haute-valaisanne depuis 2005 ( !) est entrée en fonction comme cheffe du DDPS le 1er janvier 2019. Ayant annoncé son départ pour le 31 mars 2025, elle aura donc officié pendant un petit peu plus de 6 ans. Avec quels résultats ? Voyons plutôt.

Si la presse romande évalue son mandat de manière globalement positive, notamment pour son engagement sur les questions de l’égalité homme-femme ou l’écologie, il faut bien préciser qu’il ne s’agit pas du cœur de métier du DDPS. En outre, il est plus ici question de comm’ que de résultats concrets, puisqu’elle s’était fixée comme objectif d’avoir 10% de femmes au sein de l’armée d’ici 2030, ce qui n’arrivera manifestement pas. Le nombre de militaires féminines a certes doublé, mais pour ne passer que de 0.7 à 1.4%, ce qui n’est de loin pas une performance. Avant son départ, elle aura au moins convaincu le Conseil fédéral de rendre la journée d’information obligatoire pour les femmes, mesure que nous préconisons depuis longtemps déjà. Nous y reviendrons dans un autre article. Quant aux questions d’écologie, l’on peut éventuellement penser à une stratégie et un calendrier pour assainir un certain nombre de places d’armes ou encore l’augmentation du nombre de mètres carrés de panneaux photovoltaïques installés sur les bâtiments du département, mais là encore, rien de bien bouleversant. Une mesure forte dans le domaine aurait été l’engagement d’équipes de monteurs dont l’objectif est de couvrir toutes les toitures du DDPS de panneaux, par exemple.

Mais comme indiqué plus haut, il ne s’agit de loin pas des problématiques les plus centrales et urgentes pour l’armée. Or, sur ces questions-là, justement, Mme Amherd n’a pas toujours montré un intérêt marqué. En effet, elle a loupé de grands exercices, n’a pas permis au Département de se dépêtrer de ses problèmes de gestion de projets et n’a pas non plus semblé avoir une vision bien précise de ce qu’elle voulait faire de notre outil de défense. C’est ainsi que notre armée n’est guère plus avancée qu’il y a 6 ans sur les questions d’équipements. L’on peut même dire que la situation s’est aggravée, du fait d’un certain emballement du DDPS sur les programmes informatiques, avec des débâcles à la clé comme pour le logiciel de logistique de guerre ou celui de surveillance de l’espace aérien. Tout au plus a-t-elle montré une plus grande considération que ses prédécesseurs pour les questions de cyberdéfense, mettant ce domaine sur pied d’égalité avec les Forces terrestres et aériennes. Un véritable office a donc été créé, ainsi qu’un commandement dédié.

Sur les questions budgétaires aussi, les médias généralistes semblent attribuer à la conseillère fédérale le mérite de la hausse des crédits militaires. C’est oublier bien vite que c’est le Parlement qui a forcé la main des sept sages, eux-mêmes poussés par la situation géopolitique. La haute-valaisanne semble s’être réveillée tardivement sur la question, seulement après avoir compris que son parti et le reste de la droite ne voulaient pas attendre autant que Karine Keller-Sutter le souhaitait. Les relations entre cette dernière et Mme Amherd n’étant pas toujours au beau fixe, l’on peut se demander si la cheffe du DDPS n’a pas saisi la balle au bond pour embêter sa camarade, plus que pour servir son propre département…

En ce qui concerne les ressources humaines, la Haute-valaisanne aura laissé un goût amer de son passage au Conseil fédéral. Elle aura en effet débarqué des militaires compétents comme Jean-Philippe Gaudin, l’ancien chef du Service de Renseignement de la Confédération, ainsi que les divisionnaires romands Mathias Tüscher et Guy Vallat. En ce qui concerne les engagements, elle aura également fait passablement parler d’elle avec des mandats extrêmement coûteux et à la pertinence contestable. Un bon point, qui ne contrebalance en revanche pas ces décisions discutables, est la nomination de Thomas Süssli au poste de chef de l’armée. En effet, ce dernier a travaillé dans l’informatique, ce qui n’a pas empêché, encore une fois, le DDPS de s’empêtrer dans d’innombrables difficultés sur le front de la numérisation. Son profil de milicien est en revanche un atout de poids à cette fonction très politique et permet sans doute de mieux comprendre le conscrit moyen qu’un officier de carrière n’ayant jamais quitté l’armée. Ses lacunes en français l’empêchent toutefois de briller de ce côté-ci de la Sarine.

La grande victoire qui lui est attribuée est celle de la votation de septembre 2020 sur les avions de combat. Là aussi, peut-on vraiment parler de victoire, alors que seuls 50.01% des votants ont approuvé l’acquisition ? À une année et demie à peine du déclenchement de la guerre en Ukraine, il s’agit, à notre sens, d’une énorme déconvenue pour le DDPS et sa cheffe. En outre, le choix de l’avion américain F-35 n’a pas fini de faire couler de l’encre. Nous ne saurons que d’ici une dizaine d’années s’il était pertinent ou si, comme certains le craignent, il entraînera des coûts très importants, obérant le reste des besoins de l’armée. Toujours est-il que Mme Amherd n’a pas voulu faire de cette acquisition une question politique, alors que tout achat d’avion de combat l’est infiniment. Elle aura simplement transmis le rapport des techniciens au Conseil fédéral. L’on ne peut toutefois guère lui reprocher cela, rappelant que le Gripen a certainement échoué dans les urnes parce que le Conseil fédéral n’avait justement pas suivi le collège d’experts, qui préconisait alors l’achat du Rafale français.

Enfin, ce sont probablement les nombreux rapprochements effectués en direction de l’OTAN qui auront fait couler le plus d’encre ces derniers mois, notamment avec l’European Sky Shield Initiative, le programme Military Mobility – PESCO (sur lequel nous reviendrons également) et d’autres collaborations. Certains, notamment les conservateurs, craignent d’y voir des atteintes à la politique de neutralité de la Suisse et une intégration à marche lente et invisible dans l’OTAN. D’autres y voient des mesures nécessaires à la préservation de capacités d’une Suisse qui n’a aucune profondeur stratégique ni expérience des opérations de combat. En bon citoyens, nous ferons dans le compromis en jugeant que si collaboration il doit y avoir, les accords signés ces derniers mois semblent ne pas toujours servir la Suisse.

L’un dans l’autre, ce n’est donc rien de dire que le passage de Viola Amherd à la défense n’aura pas laissé un souvenir impérissable, ni permis de moderniser l’armée et son image. La plupart des problèmes qui étaient là avant son arrivée le sont encore, certes avec quelques centaines de millions de plus dans l’escarcelle du DDPS, mais sans que l’on soit sûr que ces montants soient bien utilisés. Et c’est n’est pas le secrétariat d’État à la sécurité, organe dont on ne comprend pas bien le rôle mais qui permet de briller quelque peu dans le petit monde de l’administration fédérale, qui permettra de redresser les choses.

Il serait temps, mais l’on peut toujours rêver, que le Conseil fédéral ait dans ses rangs quelqu’un s’intéressant honnêtement aux questions de défense et qui donne un cap clair au DDPS, faut de quoi ce dernier est condamné à enchainer les scandales et rebuter les conscrits.