Un premier pas vers un retour du Réduit national?

Lance-mines bitube de 12 cm à Saxon, @CIPAD (https://cipad.ch/lance-mines-saxon/)

Ce week-end, le Blick a dévoilé que la Confédération avait publié un appel d’offres visant à étudier la manière de remettre en service certaines de ses fortifications afin d’en faire des « nœuds de défense difficiles à attaquer, équipés d’une électronique de pointe, mais nécessitant le moins de travaux structurels possible. » Il s’agit de disposer de positions capables de produire un feu sur une distance d’au moins 10 km, mais dans l’idéal jusqu’à 30, et capables également de se protéger contre des cibles antiaériennes jusqu’à un plafond de 10 km, le tout avec des solutions de calcul et de communication modernes.

Pour rappel, le Conseil fédéral avait proposé la mise hors service de l’artillerie de forteresse dans le Message sur l’armée 2018, considérant alors que ces ouvrages ne répondaient plus à une quelconque menace, tout en étant trop vulnérables. Ne restait alors que des canons « Bison » de 15.5 cm et des lances-mines de 12 cm. Cela ne faisait qu’entériner une décision de 2011, alors que le Groupe d’artillerie de forteresse accomplissait son dernier cours de répétition. Le Conseil fédéral estimait d’ailleurs qu’il fallait environ 250 millions de francs pour remettre ces systèmes au goût du jour. Leur entretien minimal revenait à… 2 millions de francs par année, soit moins que les 5 millions de francs économisés grâce à la suppression de la distribution de l’uniforme de sortie. Ironie du sort, la mise hors service de ces différentes positions, consistant notamment au démontage de leurs équipements, mais sans toucher à la structure, s’est terminée… l’année dernière. La motion déposée seulement quelques jours après le début du conflit en Ukraine par l’UDC zurichois Bruno Walliser et demandant de remettre en service les forteresses et les unités attitrées n’y aura rien fait, le Conseil national l’ayant rejeté très sèchement en juin 2022 par 124 voix contre 47.

Il semblerait donc que le Conseil fédéral aurait finalement changé son fusil d’épaule. Un peu comme avec l’affaire RUAG Ammotec, qui a connu peu ou prou la même temporalité et les mêmes conséquences…

Malgré tout, et contrairement à ce que la presse affirme (et notre titre accrocheur, aussi), il n’est pas forcément question de remettre en service le Réduit national tel qu’il est ancré au sein de l’imaginaire collectif. En effet, la stratégie mise en œuvre par le Général Guisan durant la Seconde Guerre mondiale visait à faire se replier le gros de l’armée dans des positions alpines fortifiées et d’y combattre l’ennemi sans esprit de recul et dans un long et coûteux combat. Cette stratégie avait cependant connu de nombreuses adaptations, et l’armée s’était redéployée en plaine à la fin du conflit déjà. Il faut aussi reconnaître que c’était une stratégie du pauvre : mal équipée, l’armée suisse aurait été balayée contre la très moderne Wehrmacht sur le Plateau.

En conséquence, ces plans avaient ensuite été abandonnés par le Conseil fédéral, à travers sa « Conception 1966 de la défense nationale militaire ». Plus question alors de se replier dans les régions montagneuses. La défense doit se faire dès la frontière, et s’appuyer tant sur des nombreux ouvrages que sur la puissante et pléthorique infanterie et arme blindée helvète. Les fameux bunkers ont dans ce cadre pour objectif de servir à la conduite des opérations, mais aussi de canaliser et de freiner l’adversaire et de fournir de points d’appui logistiques.

Comme le montre la carte ci-dessous, les ouvrages concernés, au nombre de 112, ne sont pour une bonne moitié, voire les deux tiers, pas localisés dans les Alpes, mais à la frontière Nord et Est du pays. Ils étaient équipés de lances-mines doubles de 12 cm, ce même calibre mis en service par les nouveaux Mortiers 16 montés sur châssis Piranha IV. Les munitions des premiers ont d’ailleurs été recyclées pour les seconds au travers du Programme d’armement 2023.

ANDREY, Dominique, « Quand la Suisse renforçait son terrain pour préparer sa défense – Évolution de la fortification aux XIXe et XXe siècles » in Revue Militaire Suisse, 2024/6, p. 44.

Ainsi, et au grand dam des nostalgiques des glorieuses années de Guisan, il ne sera pas question de remettre le Réduit en service. L’appel d’offres restant très vague, il sera très intéressant de suivre, autant que faire se peut, ce dossier. Quel(s) armement(s) seront sélectionné(s) pour équiper ces fortifications ? Les mortiers actuellement en service (et ceux retirés, d’ailleurs) ne correspondent apparemment pas aux besoins minimaux identifiés par le DDPS en termes de portée, puisque la plaquette d’information du RUAG Cobra donne une portée maximale de… 9 km. À moins qu’elle ne puisse être augmentée par des charges additionnelles ou autres fusées, il ne s’agit donc pas forcément de remettre en service des matériels qui ressemblent à ce qui a été retiré. Nous sommes dans le flou, car, rappelons-nous que le chef de l’armée avait indiqué en mai à la RTS que « Une réflexion serait que l’infanterie ou les troupes mécanisées, qui sont formées aux nouveaux lance-mines mobiles, reçoivent une deuxième formation pour les lance-mines de forteresse. » De même, la portée du système antiaérien semble impliquer des systèmes plus lourds que les simples Stinger ou autres Mistral, mais lesquels ?

On le voit, l’armée se lance à nouveau dans un long et coûteux processus de remise en service d’une défense territoriale. S’il est évidemment dommage que nos fortifications n’aient pas été conservées, il faut également avouer que l’armée n’avait plus les moyens de le faire jusqu’ici. Tout au plus peut-on regretter que la décision de stopper tout démantèlement n’a pas été prise dès février 2022.

Sources :

https://www.blick.ch/fr/suisse/armee-le-grand-retour-des-bunkers-face-a-la-guerre-en-ukraine-id21065017.html

https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/51269.pdf

https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20223066

https://www.vbs.admin.ch/fr/nsb?id=98708

https://www.vbs.admin.ch/fr/programme-armement-2023

ANDREY, Dominique, « Quand la Suisse renforçait son terrain pour préparer sa défense – Évolution de la fortification aux XIXe et XXe siècles » in Revue Militaire Suisse, 2024/6, pp. 41-47.

https://cipad.ch/lance-mines-saxon

https://ruag-ch.picturepark.com/v/UL8so0kL

https://www.rts.ch/info/suisse/2025/article/suisse-l-armee-envisage-de-reactiver-d-anciens-bunkers-lance-mines-28881637.html