
La conjoncture était morose ces derniers mois dans le domaine des exportations d’armement helvète, mais deux nouvelles viennent quelque peu modifier ce constat.
Rappelons que depuis le début du conflit en Ukraine, l’industrie militaire suisse n’était, de manière contre-intuitive, pas en très grande forme. C’est que la position très stricte, voire obtuse, de Berne en ce qui concerne la réexportation du matériel produit sous nos latitudes en avait froissé plus d’un. Le Danemark avait en effet souhaité transmettre à Kiev des Piranha III acquis dans les années 90 tandis que l’Allemagne avait voulu envoyer à l’Ukraine un peu plus de 12 000 obus de 35 mm pour alimenter les systèmes antiaériens Gepard fournis à Kiev. Tous deux s’étaient toutefois heurtés au refus de Berne, déclenchant moult polémiques, en Suisse comme à l’étranger. Concernant l’Allemagne, il s’agissait peut-être aussi d’une sorte de contrefeu visant à masquer l’impuissance (ou le manque de volonté) de Berlin à soutenir l’Ukraine. 12 000 obus dans un conflit comme celui auquel nous assistons depuis maintenant plus de 3 ans ne représentent absolument rien.
Toujours est-il qu’à la suite de cela, les gouvernements danois, néerlandais ou encore allemands avaient déclaré ne plus vouloir se fournir en Suisse, tandis que nombre d’entreprises étrangères d’armement présentes en Suisse, comme Rheinmetall ou General Dynamics European Land Systems avaient pris la décision de ne plus investir dans notre pays. Les choses seraient-elles en train de tourner ? Comme dit en préambule, deux éléments permettraient de le penser.
Le Secrétariat d’État à l’Économie (SECO) vient de publier les chiffres des exportations de matériel de guerre au premier semestre 2025, et ils sont relativement encourageants. En effet, en six mois, la Suisse a vendu des armes à l’étranger pour près de 358 millions de francs, dont 160 millions uniquement à l’Allemagne. C’est le meilleur résultat depuis le début du conflit en Ukraine, 2022 excepté. En effet, cette année-là, ce montant avait atteint le record de 516 millions de francs. Il découlait toutefois de commandes ayant été engrangées parfois des années auparavant. Celles-ci s’étaient ensuite faites plus rares, avec 284 millions d’exportation en 2023 et 297 millions en 2024.
Il s’agit d’une bonne nouvelle pour le secteur, même si celle-ci doit être nuancée. Le SECO ne donnant pas de précisions quant à ce qui a été exporté, nous sommes réduits à des suppositions, mais il y a de fortes chances pour que la croissance observée en 2025 soit notamment due à un seul et même élément : la production de systèmes Skyranger par Rheinmetall Air Defence, anciennement Oerlikon Contraves, à Zürich.
Et ceci nous amène au second élément. Le Tages-Anzeiger a révélé hier que ladite entreprise comptait moderniser et agrandir son site en Suisse, ainsi qu’engager 600 personnes. Il est indiqué que c’est justement le système antiaérien, conçu dans notre pays, qui expliquait ce développement positif. C’est un énorme soulagement, tant les mauvaises nouvelles s’étaient accumulées depuis février 2022. En effet, Rheinmetall avait passablement renforcé son site italien de Rome et y produisait des systèmes semi-mobiles Skynex tandis que le site helvète de production de munitions de 35 mm avait été laissé tel quel, un nouveau étant bâti en Allemagne. L’on pouvait craindre que toute la production ne soit délocalisée à l’étranger. Ce ne sera apparemment pas le cas.
C’est que, malgré les déclarations tonitruantes, il n’est pas si facile de créer des lignes de production à partir de rien, et cela d’autant plus que le personnel qualifié est une denrée rare en Europe. En outre, l’Allemagne a déclaré récemment vouloir acquérir 500 systèmes ( !) Skyranger. Elle ne pouvait espérer les recevoir rapidement sans faire appel aux capacités de production suisses. De plus, soulignons que l’on n’acquiert en général pas un système d’armes dans le but de le fournir au voisin dans la foulée, la guerre en Ukraine, qui ne durera pas éternellement, constituant ici une exception. L’Allemagne peut donc certainement se satisfaire qu’une partie de ses Skyranger ne soient pas réexportables le cas échéant.
En outre, rappelons que le Conseil des États a proposé une modification de la loi sur le matériel de guerre, permettant que les armes suisses puissent circuler plus facilement. Celle-ci n’a pas encore été acceptée au National et elle prendra du temps à déployer ses effets. Il faut noter que, dans ce cas, un référendum pourrait encore survenir et mettre en danger ces adaptations législatives, vitales pour notre industrie de l’armement.
En définitive, le secteur est encore loin de voir la lumière au bout du tunnel. En outre, et comme à son habitude, la Suisse risque fort de se retrouver derrière une longue liste de clients si d’aventure elle souhaite enfin commander le Skyranger. Il faut bien se rendre compte que, monté sur Piranha, il serait un des très rares systèmes à être entièrement construit en Suisse. Mais le Conseil fédéral s’accroche à ses diverses planifications, et notamment son rapport intitulé « Avenir de la défense aérienne », datant de… 2017. Le Parlement devra peut-être forcer la main de l’exécutif, comme il l’a fait avec le système IRIS-T l’année dernière ou comme il essaie de le faire pour une commande de munitions supplémentaires cette année.
Sources :
https://www.tagesanzeiger.ch/skyranger-rheinmetall-schafft-in-zuerich-600-neue-stellen-702329433842
https://www.swissinfo.ch/eng/politics/italy-produced-swiss-weapons-active-in-ukraine/48493326
https://www.letemps.ch/economie/faute-munitions-suisses-lukraine-lallemagne-va-fabriquer
https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20250025