
La Suisse adopte l’IRIS-T SLM, recalé en 2016 pour ses limites tout temps, mais choisi en 2025 pour ses performances prouvées et son intégration dans l’ESSI, renforçant ainsi sa défense aérienne.
Le 15 juillet 2025, la Suisse a officialisé l’acquisition de cinq systèmes de défense aérienne IRIS-T SLM pour 500 millions de francs, marquant un revirement inattendu après leur rejet en 2016 dans le cadre du programme DSA 2020. Initialement écarté en raison de doutes sur sa capacité d’engagement tout temps, ce système de moyenne portée, développé par l’entreprise allemande Diehl Defence GmbH & Co. KG, a su convaincre grâce à ses améliorations techniques, son efficacité démontrée en Ukraine, et son intégration dans l’European Sky Shield Initiative (ESSI). Complémentaire au Patriot, l’IRIS-T SLM renforce la défense multicouche suisse tout en respectant sa neutralité. Le présent article explore les caractéristiques de ce système, les raisons de ce choix stratégique, et ses perspectives pour la sécurité helvétique.
1. Retour sur un rejet : l’évaluation de 2016 (DSA 2020)
Dans le cadre du programme Défense Sol-Air 2020 (DSA 2020), la Suisse cherchait à partir de 2010 à remplacer ses systèmes obsolètes (Stinger, Rapier, Skyguard), incapables de contrer efficacement les menaces aériennes modernes comme les avions à haute altitude ou les missiles de croisière. L’IRIS-T SLM, évalué par l’Office fédéral de l’armement (Armasuisse), fut testé pour répondre aux exigences helvétiques, notamment dans un environnement montagneux couvrant 70 % du territoire. Cependant, en 2016, le conseiller fédéral Guy Parmelin, alors ministre de la Défense, décida de suspendre le projet en raison de réserves quant à sa capacité à opérer dans toutes les conditions météorologiques. À l’époque, l’autodirecteur infrarouge du système était jugé sensible au brouillard, à la pluie intense et aux nuages bas, fréquents en Suisse. Ces limitations conduisirent à écarter l’IRIS-T SLM, en l’occurrence à abandonner le programme DSA 2020 et à opter cinq ans plus tard pour le système américain Patriot produit par Raytheon (acquis en 2022 dans le cadre du programme Air 2030), un système par ailleurs mieux adapté à la défense à longue portée.
2. L’IRIS-T SLM : un système de défense sol-air désormais performant
L’IRIS-T SLM (InfraRed Imaging System – Tail/Thrust Vector-Controlled, Surface Launched Medium Range) est un système de défense sol-air de moyenne portée conçu par Diehl Defence. Dérivé du missile air-air IRIS-T, entré en service dans la Luftwaffe allemande en 2005, il protège les infrastructures critiques, zones urbaines et formations militaires contre des menaces variées : avions de combat (y compris furtifs), hélicoptères, missiles de croisière, drones, missiles air-sol, roquettes de gros calibre et missiles balistiques de courte portée.
Caractéristiques techniques
- Portée : jusqu’à 40 km.
- Altitude maximale : 20 km.
- Guidage : combinaison de navigation inertielle, GPS et liaison de données en phase de croisière, avec un autodirecteur infrarouge (CNS IIR) en phase terminale, résistant aux contre-mesures électroniques (IRCCM, DIRCCM).
- Moteur : moteur-fusée à propergol solide (diamètre 152 mm, contre 127 mm pour la version air-air).
- Maniabilité : contrôle aérodynamique (ailettes) et vectoriel de poussée, avec verrouillage après lancement (LOAL).
- Ogive : fragmentation avec fusée de proximité (radar), optimisée pour la défense antimissile.
- Lancement : vertical, depuis des conteneurs en fibre de verre renforcée.
- Maintenance : conception robuste nécessitant un entretien minimal.
Composition d’une batterie
Une batterie IRIS-T SLM comprend :
- Un centre de commandement (TOC), connecté par radio ou fibre optique, intégrable à des réseaux comme l’ESSI ou l’OTAN.
- Un radar multifonctionnel, principalement le Hensoldt TRML-4D (AESA, bande C), capable de suivre plus de 1 500 cibles simultanément (portée : >120 km pour les avions, >60 km pour les missiles supersoniques).
- Trois à quatre lanceurs (châssis MAN 8×8 ou équivalent), chacun équipé de 8 missiles (temps de mise en position : 10 min ; rechargement : 15 min).
- Un soutien logistique avec véhicules de maintenance et conteneurs ISO transportables (camion, navire, avion).
Capacités opérationnelles
L’IRIS-T SLM offre une couverture à 360°, engageant jusqu’à 24 cibles simultanément avec une batterie standard. Fonctionnant 24/7 dans toutes conditions météorologiques grâce au radar TRML-4D et au guidage combiné, il s’intègre aux systèmes multicouches (Patriot, NASAMS) et a prouvé son efficacité en Ukraine (taux de succès de 90-99 % contre missiles et drones).
3. Production et montée en puissance de Diehl Defence
Pour répondre à la demande croissante, portée par le conflit ukrainien et l’ESSI, Diehl Defence a intensifié sa production :
- Systèmes : 3 à 4 unités produites en 2024, avec un objectif de 8 en 2025 et 10 par an dès 2026. Un nouvel atelier à Nonweiler (Sarre) sera opérationnel fin 2025.
- Missiles : production triplée en 2023 (200-250/an), doublée en 2024 (400-500/an), avec une ambition de 800-1’000/an dès 2025 (non confirmé).
- Livraisons : 6 systèmes à l’Ukraine (février 2025), 6 commandés par l’Allemagne (livraison d’ici 2027), et 5 pour la Suisse (2028-2031). 658 missiles livrés à l’Ukraine, 1’280 commandés par l’Allemagne.
- Investissements : 1 milliard d’euros pour l’extension des capacités, avec 4’400 employés en 2025 (contre 2 800 en 2021).
4. Un revirement pragmatique : pourquoi l’IRIS-T SLM en 2025 et pas en 2016 ?
En 2024, Armasuisse lança un appel d’offres pour le programme de Défense Sol-Air de moyenne portée (DSA MP), visant à combler les lacunes dans ce domaine. L’IRIS-T SLM fut retenu après le retrait des concurrents (MBDA, Kongsberg/Raytheon).
Ce choix s’explique par :
- Améliorations techniques : depuis 2016, le système intègre le radar TRML-4D et un guidage combiné (inertiel, GPS, liaison de données), réduisant la dépendance à l’infrarouge et garantissant une efficacité tout temps, validée lors des tests effectués par armasuisse à Homberg et Emmen (du 31 mars au 11 avril 2025).
- Performances en combat : un taux d’interception de 90-99 % en Ukraine, notamment contre des missiles de croisière russes.
- Coopération européenne : l’adhésion de la Suisse à l’ESSI en 2023 et un protocole d’accord passé avec l’Allemagne en 2025 favorisent l’interopérabilité et les économies d’échelle.
Quelques remarques sur le calendrier, toutefois. Notons tout d’abord que si Guy Parmelin n’avait pas stoppé ce dossier en 2016, les premières batteries nous auraient peut-être déjà été livrées, et seraient restées améliorables. Elles auraient alors couté moins cher, l’inflation et l’importante demande dues au conflit ukrainien n’étant alors pas intervenues. De plus, cela nous aurait permis de disposer d’un système en attendant que celui acquis auprès des USA nous parvienne. Aujourd’hui, nous sommes quasiment sans défense, Stinger et canon DCA 63/90 exceptés. Mais ceux-ci n’opèrent que dans les basses couches du ciel…. La livraison effective de ces systèmes restera quant à elle soumise aux impératifs géostratégiques, comme c’est le cas des batteries Patriot. Nous serons ainsi rassurés le jour où nous les aurons toutes réceptionnées. Enfin, et comme nous l’avions déjà souligné, l’intégration de ce système à l’informatique de l’armée sera l’un des gros défis à résoudre, le DDPS ayant toutes les peines du monde à faire face à tous les besoins actuels en numérisation.
5. Situation actuelle et perspectives
- Acquisition : le 15 juillet 2025, le Conseil fédéral a autorisé l’achat de cinq systèmes IRIS-T SLM (500 millions de francs ; l’investissement total s’élève à 660 millions), incluant missiles, logistique, station d’entraînement et formation. Les livraisons, prévues entre 2028 et 2031, renforceront la défense suisse face aux avions, missiles et drones, en complément du Patriot, dès que celui-ci aura été livré à la Suisse.
- Neutralité suisse : intégré via l’ESSI, le système reste sous contrôle national exclusif, préservant la souveraineté suisse tout en bénéficiant de synergies européennes.
- Signal politique : en choisissant un système européen, la Suisse soutient l’industrie de défense européenne, et prouve qu’au contraire d’autres pays, elle ne se paie pas uniquement de déclarations d’intention, mais qu’elle passe des commandes.
- Usage : le DDPS annonce que l’IRIS-T permet de lutter contre les obus de mortier. Il est clair qu’en l’état, utiliser cette arme contre des projectiles légers et des drones ne pourra être qu’une stratégie perdante, ces derniers étant bien moins onéreux que les intercepteurs du système anti-aérien allemand. Détruire un objet à 10 000 francs avec un autre à 200 000 francs (chiffre aléatoire) n’est pas tenable sur la durée. Il faudra donc soit que des missiles bien moins chers soient développés et acquis par la Suisse ou que celle-ci opte pour un autre système (on ne fera pas l’affront de parler une fois encore du Skyranger… même si quand même un peu).
- Évolutions futures : Diehl Defence développe l’IRIS-T SLX (80 km, 30 km d’altitude, opérationnel vers 2028) et l’IRIS-T Block II, offrant des perspectives d’amélioration à long terme.
En conclusion, l’acquisition de l’IRIS-T SLM marque une étape majeure dans la modernisation de la défense sol-air suisse, répondant aux menaces aériennes grâce à un système éprouvé et amélioré depuis son rejet en 2016. En optant pour cette solution européenne via l’ESSI, la Suisse renforce sa sécurité tout en envoyant un signal politique clair pour plus de souveraineté de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE). Avec des livraisons prévues entre 2028 et 2031 et des évolutions prometteuses comme l’IRIS-T SLX, ce choix garantit une défense sol-air robuste et autonome, respectant la neutralité helvétique tout en s’inscrivant dans une dynamique de coopération européenne renforcée.
Cet article a été rédigé en collaboration avec François Monney. Et quand on parle de collaboration, ça veut dire que c’est lui qui a fait 90% du travail. On maîtrise le management moderne! Et si l’article contient des bêtises, c’est à coup sûr dans les 10% dont Livret de service est responsable.
Sources
DSA MP : le contrat d’acquisition en coopération pour la défense sol-air de moyen portée est signé – armasuisse, communiqué de presse, 22 juillet 2025
La Suisse renforce sa défense sol-air avec des système allemands – RTSinfo, 23 juillet 2025
Projet DSA 2020 : un suspension politiquement compréhensible – le rapport d’enquête recommande plus de transparence – Secrétariat général du DDPS, communiqué de presse, 22 septembre 2016
Guy Parmelin soutenu pour sa gestion du projet de défense aérienne – RTSinfo, 13 avril 2016
https://www.vbs.admin.ch/fr/projet-defense-sol-air-moyenne-portee
https://meta-defense.fr/2024/04/16/iris-t-slm-vs-aster-15-30-europe/