
Fin juin dernier, les nations de l’OTAN étaient réunies à la Haye pour un sommet de leur organisation. Celui-ci visait notamment à aborder la question des budgets militaires des États membres et fixer des objectifs à atteindre dans ce domaine. Depuis 2014, et le précédent sommet y relatif, l’Alliance avait déjà pour intention que chacun de ses membres dépense 2% de son PIB pour ses forces armées. Si cet objectif a pendant longtemps été un vœu pieux, le début de la guerre en Ukraine a fondamentalement changé la donne. En effet, jusqu’alors, atteindre lesdits 2% de PIB semblait inatteignable pour nombre de pays, notamment de l’ouest de l’Europe, relativement éloignés de la Russie. Mais aujourd’hui, et aussi sous le coup du désengagement américain, les dirigeants des 32 nations membres de l’OTAN se sont fixé l’objectif de dépenser l’équivalent de… 3,5% de leur PIB dans la défense, auxquels s’ajoutent 1,5% pour les dépenses annexes, et notamment les infrastructures de transport, le tout d’ici 2035.
Si certaines nations, comme les Pays Baltes ou la Pologne sont très proactives sur la question et possèdent déjà des budgets significatifs, l’Espagne, la Belgique ou encore l’Italie oscillent pour l’instant entre 1,3 et 1,5% de PIB consacré à leurs forces armées.
Ainsi, même si la menace est plus tangible (encore) qu’en 2014, il reste probable que la quasi-unanimité affichée à la Haye ne soit qu’une façade et que certains États n’aient pas réellement pour objectif d’augmenter significativement leurs dépenses militaires. Au contraire essaient-ils simplement de contenter le locataire de la Maison blanche en attendant qu’il s’en aille. De plus, certaines nations ne peuvent pas se le permettre. En effet, soit elles sont déjà passablement endettées, soit leurs effectifs et leur appareil industriel ne peuvent pas absorber pareille hausse du budget en une décennie. D’autres, comme l’Allemagne, y voient tout autant, si ce n’est plus, un outil pour se réindustrialiser qu’une pure décision militaire. D’autres enfin se satisfont très bien de la dépendance militaire aux États-Unis et ne souhaitent pas fondamentalement changer la donne existante aujourd’hui. Le continent européen est donc bien moins uni que ce que les déclarations et les sourires de circonstance peuvent laisser penser.
Malgré tout, les dépenses de nos voisins augmentent. Le président français Emmanuel Macron a ainsi annoncé le 14 juillet dernier que son pays allait augmenter le budget de ses armées de 6,5 milliards d’euros en 2026, pour un budget total de 57 milliards d’euros, dans l’objectif d’atteindre 75,6 milliards en 2030. Dans le même temps, le budget ordinaire de la Bundeswehr allemande sera augmenté de 19 milliards d’euros, auxquels s’ajouteront 26 autres milliards issus du fonds spécial pour l’armée, portant le total à 109 milliards, dans l’idée d’atteindre 153 milliards d’ici 2029.
Notre voisin autrichien, très mal doté jusqu’en 2022, avec seulement 2,7 milliards d’euros (~0,6% du PIB), s’est très rapidement activé pour changer cet état de fait. Une première augmentation de 680 millions d’euros a été accordée dès 2023 à la Bundesheer, pour atteindre 3,38 milliards, avec l’objectif d’arriver à 5,25 milliards d’euros, soit 1.5% du PIB d’ici 2027. En 2033, le budget de l’armée fédérale devrait atteindre 6,44 milliards d’euros. Enfin, un peu plus loin de nous, la Pologne est en passe de devenir une grande puissance militaire. En effet, cette année, le budget de la défense atteint déjà 4,7% du PIB (environ 43 milliards d’euros), soit 15 à 20% du budget de l’Etat, argent avec lequel Varsovie multiplie les acquisitions.
Et la Suisse, dans tout cela ? Eh bien comme déjà expliqué ici, elle ne compte atteindre les… 1% du PIB que d’ici 2032. Le Parlement a récemment voté le plafond des dépenses pour les années 2025-2028, qui se monte à 29,8 milliards. Si le budget de l’armée augmente, l’on a tout de même constaté un problème, pour lequel le service de communication du DDPS n’a pas su nous répondre. En effet, la page relative aux questions financières liées à la défense indique que « Le Conseil fédéral et le Parlement prévoient pour 2025 un budget de 6,3 milliards de francs pour l’armée. Le budget prévu pour 2026, 2027 et 2028 est respectivement de 6,6, 7 et 7,4 milliards. » ce qui représente au total seulement 27,4 milliards de francs pour la période sus-mentionnée. D’où vient cette importante différence de 2,4 milliards ? Excellente question ! En outre, notons que le Conseil fédéral a la mauvaise idée de laisser les augmentations les plus importantes à plus tard (et notamment aux suivants) au lieu de lisser l’effort sur le long terme. En effet, de 300 millions de hausse en 2024 et 2025, il sera subitement question de 600 millions dès 2026.
Bien évidemment, tout n’est pas que question de point de PIB. Par exemple, les forces armées américaines disposent de budget faramineux, mais les dépensent très mal. On ne compte ainsi plus les programmes explosant leur budget ou étant tout simplement annulés en cours de route. En outre, difficile de comparer des pays ayant des armées de conscrits ou professionnelles, des armées ayant accès à la mer, ou non, etc. Sans parler du fait que notre PIB est tout simplement démentiel.
Toujours est-il qu’avec ces budgets, l’armée suisse aura toutes les peines du monde à moderniser son matériel et équiper entièrement ses troupes, sans parler des questions de numérisation et de cyber-défense, ainsi que de politique industrielle en matière militaire. En outre, le décrochage financier par rapport à nos voisins semble difficile à éviter. Or la crédibilité de notre neutralité dépend au moins en partie de celle de notre système de défense. Et il faudra énormément de pédagogie à nos diplomates pour faire croire à nos voisins que nous disposons d’une armée à même d’opérer en (relative) indépendance dans ces conditions.
Nos décideurs camperont-ils sur leurs décisions après le sommet de la Haye ? Ou trouveront-ils des solutions, des compromis, afin d’octroyer au DDPS les moyens qui lui sont nécessaires afin d’assurer sa crédibilité, tant à l’intérieur du pays qu’auprès du reste du continent ? Dans tous les cas, soyez assurés que Livret de service surveillera la chose comme le lait sur le feu !
Sources :
https://meta-defense.fr/2025/07/15/en-bref-lpm-2024-2030-296-md-scaf-f126/
https://meta-defense.fr/2025/06/25/europe-devenir-puissance-militaire-2035/
https://www.hartpunkt.de/deutschland-will-2029-rund-153-milliarden-euro-fuer-verteidigung-ausgeben/
https://www.bmlv.gv.at/cms/artikel.php?ID=11569
https://www.bmlv.gv.at/pdf_pool/publikationen/landesverteidigungsbericht_2023.pdf